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Le méthaniseur de Cérilly se dévoile

Investissement. À Cérilly dans le Châtillonnais, Alliance BFC et son partenaire danois Nature Energy (groupe Shell) ont construit l’un des plus importants méthaniseurs en France. Conçu pour produire 230.000 MWh/an de biométhane, il fonctionne par des apports 100% végétaux dont 90% de CIVEs (cultures intermédiaires à vocation énergétique), fournies par un réseau de 150 exploitations locales. Un investissement de 95 M€, qui créée de l’emploi et de l’innovation agricole dans une zone notoirement appauvrie du département.

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  • Vue aérienne du méthaniseur de Cérilly
    Vue aérienne du méthaniseur de Cérilly. L’équipement s’étend sur 15 ha et comprend, outre les cinq unités de méthanisation, quatre silos de stockage des Cives collectées chez les agriculteurs, qui peuvent aussi les acheminer sur site, ce qui influe sur le prix payé à la tonne. (Crédit : Alliance BFC)
  • Photo de Thomas Lorin et Laurent Druot
    Thomas Lorin (à gauche), directeur de l’unité Sécalia. Laurent Druot (à droite), responsable de l’équipe développement énergies renouvelables dans le groupe Dijon Céréales. (Crédit : JDP)

Cet été 2024 marquera l’injection dans le réseau GRDF des premiers m³ de biométhane produits par le méthaniseur de Cérilly. Un projet hors normes par sa dimension et l’ampleur de son investissement (voir encadré ci-contre), comme par son objectif de production et sa nature même : créer de l’emploi, de l’innovation et un débouché économique dans une zone, le Châtillonnais, où le secteur agricole pâtit lourdement du changement climatique. « Le projet remonte à 2017-2018, sur fond d’agronomie. L’idée est vraiment d’adapter l’agriculture à la nouvelle donne climatique et essayer de trouver des intercultures qui allongent la rotation, ce qui a plusieurs vertus, détaille Laurent Druot, responsable de l’équipe développement énergies renouvelables du groupe Dijon Céréales. Cela limite les adventices et réduit de fait l’usage de produits phytosanitaires ».

L’idée : utiliser des CIVEs (cultures intermédiaires à vocation énergétique) pour offrir un nouvel horizon de rentabilité à une agriculture majoritairement céréalière (orge, blé, colza) sur des terres notoirement pauvres, souffrant aussi de la sécheresse, de la concurrence du vulpin... : « En 2018, on avait divisé par cinq la surface de colza dans le Châtillonnais », rappelle Laurent Druot. Menée sans obérer la culture principale destinée à l’alimentation humaine ou animale, la culture intermédiaire a pour but d’alimenter un site de production énergétique : c’est ainsi qu’est né le projet de méthaniseur, porté par la société Sécalia, impliquant 150 exploitations du Châtillonnais qui consacrent 10 à 15% de leur surface utile aux CIVEs. Concrètement, du seigle fourrager, variété choisie pour ses performances agronomiques, est cultivé par ce réseau d’exploitants qui l’amènent sur site, ou sur les plateformes de stockage situées dans six autres communes (Louesme, Savoisy, Lucenay, Mosson, Touillon et Poiseul-la-Ville).

Valoriser aussi le CO₂

Ce seigle ensilé, est amené ensuite dans les unités de méthanisation pendant 90 jours, chauffé à 52° (l’énergie utilisée représente 10% de celle produite sur site) permettant aux bactéries de dégrader la matière organique pour produire d’une part le digestat qui se sédimente ainsi que des gaz (biométhane pour 60% et CO₂ pour 40%). Concernant ce dernier, et même s’il est considéré comme neutre dans le processus puisque le seigle en a capté pour effectuer sa croissance, Sécalia a pour ambition dans un second temps de le valoriser : « On pourrait le liquéfier et le commercialiser vers des industries type boissons gazeuses ou conservation des aliments, affirme Laurent Druot. Le CO₂ de qualité alimentaire est un marché porteur. On serait au final très vertueux sur le plan de notre empreinte carbone car tout le gaz sera valorisé ».

Hors liquéfaction, le méthaniseur de Cérilly affiche déjà une économie de 36.000 tonnes de CO₂ par an par rapport au gaz naturel. Ce chiffre pourrait monter à 60.000 tonnes en incluant cette filière de liquéfaction du dioxyde de carbone produit. En fin de process, le digestat est solidifié et l’eau issue de l’évaporation - « qualité rivière certifiée par la Dreal », assure Laurent Druot - réinjectée en milieu naturel.

Pour lui, ces données devraient rassurer les détracteurs du site, qui avaient mis en garde contre son gigantisme et les risques de nuisances, ainsi que son impact sur l’environnement, notamment vis-à-vis du trafic routier. « L’impact du transport ressemble à ce qu’il est en période de récolte qui est quand même globalement limité dans le temps, tempère-t-il. C’est comme une moisson. Le reste de l’année, c’est quatre camions, roulant au biogaz produit ici qui vont faire des rotations entre les plateformes décentralisées et Cérilly. »

Revenus agricoles garantis

Pour les agriculteurs, le projet constitue une source de diversification de leurs revenus, avec des conditions avantageuses : contrats de 15 ans, « prix fixe et indexé à la hausse, détaille Laurent Druot. Entre 90 € et 120 € la tonne, selon que l’agriculteur livre ou non, stocke chez lui ou non la matière première ». Le gaz revendu est contractualisé dans les Plans pluriannuels de l’énergie, avec un mécanisme de soutien de l’État (prix garanti pendant 15 ans et décorrélé du marché, autour de 100 €/MWh). Après ce laps de temps, quel sera l’avenir du site ? Nature Energy (filiale de Shell), le partenaire constructeur et exploitant du site de Cérilly, possède une solide expertise sur ce type d’installation qui peut vivre une quarantaine d’années « avec pas mal de maintenance et de remise à niveau », assure Laurent Druot. Concernant les débouchés, après les 15 ans de contrats publics, « il y a de plus en plus d’entreprises privées intéressées pour contractualiser de gré à gré avec les méthaniseurs. » De quoi assurer une rentabilité à l’équipement dans un contexte global de nécessaire mutation du métier d’agriculteur.