Résidence L’isle Doubs Seniors : l’anti Orpéa
Social. Depuis plus de dix ans Olivia Gaiffe, infirmière libérale, porte à bout de bras un projet hors norme : la construction dans sa commune d’une résidence de services pour seniors de 18 chambres. Ouverte en mars, la structure était attendue dans un territoire ou 30 % de la population a plus de 60 ans.
Olivia Gaiffe est titulaire d’une licence professionnelle des métiers de la Santé et de l’Environnement des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Infirmière libérale depuis 2016, elle est également pompier volontaire au grade d’infirmière capitaine et a été médaillée de bronze en 2005 pour acte de courage et de dévouement.
C’est sur ce terreau du service à la personne et de la dévotion envers son prochain qu’Olivia murit depuis plus de dix ans le projet de donner vie, dans sa commune d’Isle-sur-le-Doubs, à une résidence pour seniors qui aurait pour seul objectif le bien-être des résidents.
« Ici nous avons 2.935 habitants et une personne sur trois qui a plus de 60 ans. Nous sommes dans un territoire reconnu en Zone rurale à revitaliser (ZRR). Nous avons une problématique d’isolement prégnante. Et c’est à force de côtoyer des personnes âgées confrontées à la solitude, vivant dans des maisons devenues trop grandes, ayant perdu jusqu’à l’envie de cuisiner, que j’ai eu l’idée de faire sortir de terre une structure privée non médicalisée qui accueillerait prioritairement des personnes âgées de plus de 60 ans originaires du territoire ou ayant des attaches familiales sur la commune ou les communes environnantes. Le faire ici est un pari que plus d’un établissement bancaire parmi les nombreux que j’ai rencontrés a jugé assez risqué, car la population a un faible pouvoir d’achat, mais le besoin est réel et c’est la seule motivation qui vaille », défend Olivia Gaiffe.
De 2018 à 2020, elle prend son bâton de pèlerin et sillonne la France, visitant plus d’une centaine de maisons seniors et autres Ephad, notant à chaque fois ce qui lui plaît et ce qu’elle ne veut surtout pas reproduire. « Petit à petit s’est ainsi dessiné un cahier des charges d’un habitat façon “famille” avec de vraies valeurs. Par exemple, tout comme moi qui n’aimerait que mes sous-vêtements soient lavés avec ceux de ma voisine, je propose aux résidents une prise en charge du linge individualisée. Dans le même ordre d’idées, chaque chambre possède une décoration différente pour créer un sentiment d’appartenance ».
En 2021, une banque accepte enfin de suivre cette entrepreneuse, mère de deux enfants, pleinement aidée dans son projet par son mari Michael. La résidence est chiffrée à 2,7 millions d’euros avec 280.000 euros de capitaux personnels. « J’ai été accompagnée par BGE Franche-Comté qui m’ont bien orienté sur le volet prévisionnel. J’ai également été nominée en décembre 2021 au concours régional Initiative au féminin, puis finaliste du prix espoir national BGE 2022 et lauréate 2022 du Réseau Entreprendre Franche-Comté. Ces derniers m’ont accompagnée pendant deux ans. Ils m’ont aidée à trouver ma posture de chef d’entreprise, m’ont coachée sur les aspects financiers, aidée à trouver un logo, encouragée à travailler en équipe, à pratiquer la mise en commun des idées… Toutes ces structures sont autant de béquilles dans un parcours entrepreneurial semé d’embûches. C’est un réseau, une écoute neutre, un guide, la rencontre de personnes confrontées au même questionnement que vous », témoigne Olivia Gaiffe.
Home sweet home
Le concept L’isle Doubs Seniors, est bâtie sur un modèle d’habitation partagé pour seniors inspiré des « homes suisses » et de l’émergence des résidences serviles. Extérieurement la structure privée non médicalisée ressemble à une grande maison contemporaine de 1.000 mètres carrés sur deux étages (avec ascenseur), posée sur un terrain de 36 hectares.
Entièrement adaptée et équipée aux normes PMR, elle compte 18 logements individuels pouvant accueillir des personnes autonomes ou en situation de légère dépendance, ainsi que deux studios avec cuisine. « Ces derniers pourront accueillir temporairement, de 15 jours à trois mois, pour 20 à 40 euros par jours, la famille des résidents qui vit éloignée et qui veut venir, par exemple, pour des vacances ou pour accompagner une sortie d’hospitalisation ou encore la fin de vie de ses proches. Ces appartements pourront également servir de logement à nos personnels encore étudiants ».
Le bâtiment qui a ouvert ses portes au printemps et dont les premiers coups de pelles ont été données par des entreprises locales en février 2022, propose également différents espaces collectifs (cuisine, salle à manger, salons, salle d’activités, de sport, de bien-être), et six garages, dont cinq pour les locataires possédant encore une voiture. Pour 50 euros supplémentaires par mois, l’espace pourra également servir à entreposer des biens personnels.
Le loyer mensuel est fixé à 2.400 euros, avec un reste à charge d’environ 1.600 euros aides déduites (les couples ne payent qu’un loyer).
« J’ai cherché à trouver l’équilibre budgétaire tout en proposant des choses de qualité (lit double électrique avec literie gamme hôtel, ligne téléphonique dans chaque chambre avec téléphone grosses touches…) et un mode de vie “comme chez soi” qui se traduit par la liberté d’aller et venir et où chacun organise sa journée comme bon lui semble et conserve des activités et des relations avec son environnement habituel. Cuisinés traditionnellement sur place en privilégiant les circuits courts et servis dans une ambiance conviviale, les repas conçus par une diététicienne sont variés et équilibrés. Les résidents peuvent, s’ils le désirent, participer à leur préparation, mettre la table avec la belle vaisselle mis à leur disposition. L’animation est présente dans tous les actes de la vie quotidienne : chacun peut apporter sa participation selon ses envies et ses capacités... De plus, des activités sont quotidiennement proposées (jeux de sociétés, de cartes, abonnement journal quotidien, rencontres avec le club du troisième âge, anniversaires, sorties diverses, pique-nique avec les familles, art floral, travaux manuels, promenades extérieures, échanges intergénérationnels, notamment via la crèche suitée juste à côté de l’édifice et avec qui j’ai déjà pris contact...) », développe Olivia Gaiffe qui est accompagnée d’une équipe composée d’une gérante, de six personnes polyvalentes et une téléassistance 24h/24 et 7 jours/7.
« Pour le recrutement, j’ai travaillé avec Ideis, la Mission Locale. J’ai reçu 75 Curriculum vitae. Le choix a été difficile car il conditionnait toute la suite de l’aventure. J’ai sélectionné 11 personnes et j’en ai gardé six dont certaines en situation de handicap et habitant toutes à cinq minutes de la résidence, dans un souci d’ancrer pleinement mon projet dans le local y compris au niveau RH », raconte l’entrepreneuse qui a déposé une demande d’agrément Entreprise sociale et solidaire (ESS).
Si la demeure a déjà accueilli ses premiers résidents, les extérieurs restent à aménager. « J’ai ouvert une cagnotte Leetchi à hauteur de 150.000 euros. L’objectif, c’est d’avoir des espaces accueillants avec du mobilier confortable, des équipements de loisirs comme un terrain de boules, une table de ping-pong, des jardinets potagers en hauteur, un poulailler, une aire de jeux pour enfants, un barbecue, un four à pizza, un parcours pour seniors… les idées ne me manquent pas pour améliorer le quotidien des aînés ».