SilMach : la révolution horlogère en marche
Entreprise. Avec The TimeChanger la première montre à pile équipée d’un micromoteur en silicium, la deeptech bisontine SilMach entend donner un nouveau souffle à l’horlogerie française.
Scientifique de formation et physicien avec une spécialisation en matériaux, Pierre-François Louvigné a repris, avec Jean-Baptiste Carnet, spécialisé dans la finance d’entreprise, la direction de SilMach (Silicium Machinery), entreprise pionnière en micromécanique en silicium créée en 2003 à Besançon, par Patrice Minotti, chercheur au CNRS, parti à la retraite en octobre 2021.
Toujours président du conseil de SilMach, ce dernier est arrivé à Besançon en 1998 avec une ambition : donner vie à l’échelle industrielle aux premières micromachines Micro-electro-mechanical systems (Mems) hybrides combinant micromécanique au silicium et mécanique classique. Pendant 20 ans, le chercheur et son équipe vont repousser les limites de la miniaturisation, comme avec son emblématique nanodrone bio-inspiré « Libellule » développé pour la défense ou encore leur microcapteurs pour la santé, avant de donner naissance au plus petit et autonome micromoteur « cœur silicium » au monde.
Ce dispositif qui ne compte que cinq pièces fabriquées à Besançon par des procédés automatisés constitue une véritable rupture dans l’industrie horlogère. « Depuis 1936, le moteur qui alimente des milliards de montres à piles dans le monde n’a pas changé. Inventé par Marius Lavet, il s’agit d’un moteur pas à pas (notamment composé de bobines) qui nécessite un assemblage manuel par vissage sur les cartes électroniques. Par rapport à cette technologie, notre solution offre des avantages concurrentiels inégalés, affirme Pierre-François Louvigné.
Il y a d’abord sa taille, il est deux fois plus petit aussi bien en hauteur d’en épaisseur, ce qui permet l’ajout au sein du boîtier de d’avantage de composants électroniques : un vrai plus dans l’univers des montres connectées. Notre micromoteur, contrairement au Lavet et à ses bobines, est également insensible aux champs magnétiques, son fonctionnement sans lubrifiant ainsi que sa robustesse et sa durabilité exceptionnelles font de lui un véritable exploit technologique.
Alimenté par une pile et fonctionnant par phénomène électrostatique le cœur silicium se distingue également par sa frugalité énergétique (-25 % de consommation énergétique par rapport à un moteur classique), qui offre une autonomie de batterie de plus de dix ans, inatteignable pour les moteurs de montres traditionnelles. Sa précision jusqu’à dix fois supérieure à la norme chronométrique COSC, avec une variation de seulement plus ou moins 0,5 seconde par jour permet un pilotage des aiguilles pas-à-pas, dans les deux sens (horaire et anti-horaire), avec des accélérations et des décélérations fluides.
Ce contrôle précis de la vitesse dans les deux sens de rotation offre une expérience client inédite aux amateurs de montres et une lecture nouvelle du temps. Enfin, notre innovation peut être soudée sur les cartes électroniques comme un composant standard grâce à la technologie automatisée de montage en surface (SMT). Cette caractéristique ouvre la voie à une production locale en France, enfin concurrentielle d’un assemblage manuel dans des pays à bas coûts ».
Montre vitrine et industrialisation
Conscient qu’il n’est pas forcément facile de faire bouger les lignes dans le monde de l’horlogerie, SilMach décide de rendre tangible sa “révolution” en réalisant la première montre au monde à intégrer un cœur en silicium. Baptisée « The TimeChanger », elle a été éditée en série limitée à 1088 exemplaires numérotés disponibles à la vente, depuis la mi-octobre sur Kickstarter, au prix de 1.850 euros.
Elle est le fruit d’une association avec groupe horloger américain Timex et plus particulièrement sa filiale bisontine Fralsen. Un rapprochement qui a donné naissance à une nouvelle société, basée à Besançon, spécialement dédiée à la fabrication des composants de la montre. « C’est en avril 2018 que nous avons contractualisé avec Timex Group avec un objectif clair : que la société commerciale et le premier site de production soient basés à Besançon. Aider à faire renaître l’industrie horlogère bisontine est pour nous plus qu’un engagement, c’est une conviction. Notre techno est née ici, dans la capitale horlogère et réaliser aujourd’hui une montre 100 % locale, jusqu’au bracelets en cuir d’exception, provenant de la manufacture française Jean Rousseau établie à Pelousey depuis 1954, est une vraie fierté », confie Jean-Baptiste Carnet.
Ce virage industriel a nécessité un investissement de plus de dix millions d’euros, soutenu notamment par Grand Besançon Métropole, la région BFC, l’Europe (fonds Feder à hauteur de 5,4 millions d’euros pour le projet de recherche industrielle Next Watch). L’entreprise bisontine qui compte une vingtaine de personnes a obtenu la plus haute récompense au CES 2024, le plus important salon consacré à l’innovation technologique en électronique grand public.
« Sur les 32.000 exposants, seuls une dizaine est primée et c’est sur ce petit nombre de privilégiés que nous avons obtenu le titre de “best innovation” dans la catégorie technologie embarquée. C’est une opportunité immense de se faire connaître à l’international, notamment auprès des Gafam », raconte Jean-Baptiste Carnet qui prévoit pour 2024 « d’intensifier encore notre bascule dans l’industrialisation.
Aujourd’hui avec notre salle blanche nous sommes en mesure de produire une centaine de millier de pièces. Dès l’année prochaine, nous prévoyons de tripler sa surface pour être en capacité de distribuer des millions d’unités à l’horizon 2025. Nous allons également solliciter les designers car notre montre ouvre aussi dans ce domaine le champ des possibles, là où le monde du quartz ne permet que trois ou quatre modèles de montres. De même, nous avons l’ambition de rendre notre micromoteur plus sexy, à la manière des belles mécaniques horlogère et de créer in fine une montre squelette ».