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Vis ma vie de travailleur en situation de handicap

Emploi. Le duo day inversé a permis à des salariés de Initial Rentokil de découvrir la réalité des travailleurs de l’Esat de Mirande. Une initiative qui a pour cadre la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.

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Photo de l'employé Stéphane et Olivier Vannieuwenhuyse
Stéphane, 48 ans, est employé depuis 17 ans à l’Esat de Mirande, dans la zone « sale » de la buanderie en milieu protégé. Au fond, on aperçoit Olivier Vannieuwenhuyse, directeur des Esat de Semur-en-Auxois, Montbard, Châtillon-sur-Seine et Mirande. (Crédit : JDP)

Depuis 2018, les duo days permettent à des personnes en situation de handicap de découvrir durant une journée le monde du travail en entreprise. Cette année en Côte-d’Or, la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), en collaboration avec les acteurs de l’inclusion des personnes en situation de handicap, a conçu une action innovante : les duo days « inversés », un dispositif offrant cette fois à des salariés d’entreprise du milieu ordinaire d’appréhender la réalité du travail en milieu protégé. Une initiative qui permet la découverte des prestations offertes par ces établissements spécialisés, ainsi que leur fonctionnement, adapté aux besoins spécifiques des travailleurs.

Parmi ces salariés, Tewfik Elorch, HR Business Partner pour le Grand Est du groupe Rentokil Initial qui propose des services de blanchisserie industrielle sur son site de Longvic. Il était à l’Établissement et service d’aide par le travail (Esat) de Mirande qui offre lui aussi, parmi d’autres services, des prestations de blanchisserie pour des clients du secteur hospitalier, de cuisine centrale ou de l’hôtellerie haut de gamme à Dijon : « Nous sommes à la fois dans une démarche de découverte, mais aussi pour étudier la possibilité de synergies positives », témoigne-t-il, alors que le groupe Rentokil Initial est très engagé dans l’inclusion des personnes en situation de handicap, notamment via le programme Made in TH (service personnalisé en lien avec le handicap).

Olivier Vannieuwenhuyse, directeur de l’Esat de Mirande ainsi que des Esat de Semur-en-Auxois, Châtillon-sur-Seine et Montbard, confirme : « Ce type de journée permet de faire connaître nos activités, nos compétences et d’espérer changer le regard sur le handicap. Il n’y a pas de blocages apparents, tout le monde est prêt… mais ce genre de stage permet aussi de se rendre compte de la nécessité d’adapter le travail. Rien n’est rédhibitoire, mais tout doit être fait par étape. »

Les Esat réformés depuis 2022

Derrière cette volonté de familiariser le monde de l’entreprise du milieu ordinaire avec celui du travail protégé, un cadre : le plan de transformation des Esat, présenté en 2021 pour une mise en œuvre à partir de 2022 par Sophie Cluzel, alors secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée des personnes handicapées. L’enjeu est « d’impulser une nouvelle dynamique en confortant la mission des Esat d’accompagnement des personnes dans une trajectoire professionnelle ».

Selon Sophie Cluzel, « nous devons garantir à chaque personne en situation de handicap la possibilité d’engager un parcours professionnel, qu’il soit en ESAT, en entreprise adaptée (EA) ou en milieu ordinaire. Ce plan global est très concret et transformateur à de nombreux égards : équilibré, répondant aux attentes des personnes, ambitieux et créant le consensus des organisations gestionnaires qui nous ont fait part de leur satisfaction, quant aux principes et objectifs posés. Nous portons désormais une responsabilité collective avec le secteur : celle de faire aboutir sur le terrain nos engagements communs partagés, afin que les établissements se les approprient et les mettent en œuvre au bénéfice des personnes ».

Dans les structures, cela signifie faciliter la sortie des personnes porteuses de handicap vers le milieu ordinaire quand cela est jugé possible. À l’Esat de Mirande, quatre personnes ont pu s’engager dans ce dispositif et travaillent pour l’une dans un grand établissement hôtelier de Dijon, pour les autres dans un restaurant de la zone du Cap Vert. Ces sorties en milieu ordinaire peuvent être aménagées en temps partiel. Des sorties qui nécessitent, avant tout, l’accord du travailleur. Ainsi à Mirande, en zone « sale » de la buanderie, Stéphane, 48 ans, s’affaire au tri du linge avant le passage dans les machines à laver.

Pesée, choix des programmes, organisation des textiles par usages et tri par client (établissement hospitalier, cuisine centrale…) : cela fait 17 ans qu’il travaille à l’Ésat et il ne se verrait pas ailleurs, tant l’aménagement du poste et les compétences qu’il a acquises ici lui conviennent : « Je dirige beaucoup, assure-t-il, parce que je suis un ancien ! ». Un bien-être ressenti aussi côté encadrant : Denis Bidault, éducateur technique spécialisé a choisi pour sa reconversion le travail en milieu protégé après une carrière en industrie ; il apprécie ici l’accompagnement et la bienveillance, ainsi que l’adaptation des postes aux besoins des travailleurs.

La BFC engagée

La région Bourgogne Franche-Comté affiche des indicateurs plutôt meilleurs que la moyenne nationale quant à l’inclusion des personnes en situation de handicap, avec un taux de 3,9% de travailleurs porteurs de handicap (contre 3,5% au niveau national) employés dans les entreprises assujetties, indique Anne Marie Segaud, déléguée régionale Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées).

Les entreprises y ont d’ailleurs tout intérêt. D’abord, pour satisfaire à leurs obligations légales : les entreprises privées et les établissements publics industriels et commerciaux de 20 salariés et plus ont en effet l’obligation d’employer des travailleurs en situation de handicap à hauteur de 6 % de leur effectif, au risque de devoir payer une pénalité, appelée contribution financière au titre de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés ; elles bénéficient d’ailleurs d’aides pour embaucher, mais aussi pour adapter les postes.

Depuis la loi du 22 mai 2019, le code du travail impose aussi « un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les personnes en situation de handicap ». Ensuite, parce qu’employer des personnes en situation de handicap est bon pour la politique RSE et la « marque employeur » de l’entreprise. Enfin, parce qu’ouvrir ses recrutements à ce public est bénéfique pour l’entreprise, comme l’affirme Armelle Léon, la récemment nommée directrice de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités de la Côte-d’Or : « ce sont des salariés impliqués, assidus et qui s’inscrivent sur le long terme dans leur emploi ».

À l’heure où de nombreux secteurs sont en tension et que bon nombre de chefs d’entreprise se plaignent de la relation au travail des nouvelles générations, ce type de compétences n’est pas à négliger… Pourtant, il faut rester vigilant : « En temps de crise, les personnes en situation de handicap souffrent plus que les autres demandeurs d’emploi », rappelle aussi Armelle Léon.

Un secteur concurrentiel

Reste que le travail protégé est un secteur économique soumis à la concurrence, au même titre que ceux du milieu ordinaire. Le coût des prestations est scruté par les clients, qui sont également intransigeants sur la qualité de celles-ci. Côté travailleurs, les indemnités qui leur sont versées au titre de leur contrat d’accompagnement par le travail sont financées en partie (85%) par l’État, le reste par l’Esat : cela implique pour ce dernier de générer du chiffre d’affaires pour fonctionner, le reste de son budget de fonctionnement étant abondé par les dotations sociales versées par les ARS dans le cadre de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie médico-social – notamment pour financer les personnels sociaux d’accompagnement – et sur un complément de subvention de l’État couvrant le déficit résiduel.

Pour accroître leur chiffre d’affaires (6,5 M€ en 2023 pour les Esat dirigés par Olivier Vannieuwenhuyse qui accueillent 425 travailleurs et 120 salariés dans les fonctions direction, administration, logistique…), les établissements et service d’aide par le travail sont, comme les autres, contraints à la recherche de nouveaux clients quand leurs postes (leur nombre est limité par agrément) sont plutôt rapidement pourvus.