Vers une nouvelle votation suisse pour les avions de chasse ?
Défense. Alors qu’Armasuisse, l’Office fédéral de l’armement, n’a pas encore donné de réponse sur une éventuelle nouvelle votation concernant le nouveau processus d’acquisition des avions de chasse, nombre de Suisses rencontrés toutes classes et activités confondues, ne comprennent pas pourquoi leur pays ne choisit pas une solution voisine géographiquement et réclament une nouvelle consultation sur ce choix qui leur parait incohérent. Qu’en est-il des réalités apparentes et sous-jacentes depuis déjà l’ancien choix de l’avion suédois Gripen rejeté ?
Sans révéler trop de secrets de réunions et d’échanges, certaines décisions poussent tout de même à s’interroger sur leurs réalités.
Un précédent article à charge et à décharge sur les réalités du F-35, avion marketing étasunien pour l’Europe, avait souligné les intérêts belges, même discutables, nous souvenant aussi que les avions français occupent beaucoup de place dans le musée de l’espace de Bruxelles. Il en va cette fois de la Suisse, certes non partie prenante de l’UE, mais qui peut participer potentiellement à la défense européenne. Rappelons que le pays est partenaire pour la paix avec l’Otan sur un strapontin avec une indépendance vis-à-vis de l’Otan, comme avec l’UE. Elle peut participer à un engagement européen dans toutes les missions même sans être dans l’UE sans toutefois en accepter certaines règles de fonctionnement. Le pays promeut la paix mais est très armé et affiche son esprit de résistance et l’obligation de prévoir un coût d’envahissement. Un ancien diplomate affirmait qu’elle avait besoin d’une aviation efficace détenue ou assurée par ses voisins, dont la France, non seulement pour les missions de police mais pour protéger l’arsenal sur son sol et notamment ses trois brigades blindées, avec plus de chars en service que la France, sans toutefois le besoin de maintenance des Opex.
Selon certaines sources, les dépenses de défense devraient s’accroitre d’environ 1,4 % dont des dépenses d’armement de 16 milliards de francs suisses entre 2023 et 2032, se rajoutant au budget annuel de cinq milliards de francs.
La Suisse vole actuellement avec des appareils étasuniens et a donc bien le droit de continuer. Mais il convient de noter qu’il s’agit ici d’un changement de constructeur donc d’un choix non plus logique mais plutôt sans doute diplomatique en dehors de toute cohérence opérationnelle ou stratégique dissuasive, étant donné qu’il ne s’agit pas de mettre de bombe nucléaire sous les ailes. Elle détient également des hélicoptères français anciennement assemblés ou fabriqués localement.
Si le Rafale français et l’Eurofighter européen (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Espagne) se sont vus remercier pour le remplacement des F-5 Tiger, plus proches des Gripen, qui n’avaient finalement pas été achetés suite à un refus populaire à 53 %, dont 74 % en suisse romande et dans le canton du Jura, ils le sont cette fois face au F-35 de Lockeed Martin pour le remplacement des F-18 de Boeing et finalement des F-5 restant en service.
Même si peut-être moins reconnu comme vecteur numérique que le F-35, le Rafale a été à chaque fois le mieux noté sur le volet opérationnel. Pour autant, il ne compte que pour 55 % de la note finale, le reste réparti entre l’assistance, la coopération et les compensations, en dehors du prix d’achat et d’entretien. Avec le désormais rapprochement franco-suédois et des avionneurs Airbus et Dassault-aviation sur le projet SCAF, on aurait pu imaginer une Concurrence intelligente entre le Rafale, le Gripen et l’Eurofighter pour au moins tenter de remporter le marché.
On sait parfaitement que le coût du Rafale est désormais maitrisé, d’autant plus réalisé en mono constructeur, la coopération s’avérant plus chère dans le militaire que dans le civil, par rapport à l’Eurofighter réalisé en coopération et surtout au F-35 qui est finalement aussi un programme en coopération avec certains sous-traitants européens, présentant ses avantages et ses inconvénients. Le Rafale et son concurrent européen sont désormais éprouvés en Europe et à l’export par leur technicité mais également facilité par leur positionnement géopolitique, en alternative aux États-Unis.
Le problème viendrait-il de l’offre de Dassault Aviation qui sait ne pas vendre à perte en réponse des contreparties demandées et parfois évite d’optimiser l’offre de maintenance qui représente des montants cachés et supérieurs à ceux de l’acquisition et qui peut aussi apporter des solutions de facilité de vente et de bonne gestion au-delà des stocks initiaux ? On se rappelle peut-être moins en France du scandale de 1964 de la demande du Conseil fédéral de rallonge de crédit et la première commission parlementaire de l’histoire de la Suisse, réclamant de fait la réduction du nombre de Mirage 3 commandés, et fabriqués chez désormais Ruag à Emmen. Cela risque sans doute d’arriver pour un F-35 non encore mâture et dont l’offre initiale de Lockheed Martin rentrerait davantage dans l’enveloppe autorisée par la population. Les Suisses auraient-ils finalement mieux apprécié les offres étasuniennes qui peuvent aussi faire jurisprudence en Europe ?
On connait les pratiques des avionneurs étasuniens préférant faire un chèque que remplir leurs engagements d’Offset, souvent au détriment des sous-traitants, en conservant de plus leur technologie et les données mais qui peuvent vendre aux conditions étatiques de leur pays, qui parfois aussi peut accorder des prêts, mais sans objet pour la Suisse. Celles des européens tentent des coopérations plus larges, certes avec coefficients de valorisation, mais réduisant aussi les risques de pertes de compétences.
L’argument de la proximité avec la France, comme avec l’Allemagne et l’Italie, pourquoi pas dans une stratégie alpine, est mis en avant notamment pour l’entretien et la formation. Le gouvernement répondra sans doute, comme les Polonais déjà lors de l’achat des F-16, que ces avions volent partout en Europe et achetés par la Belgique. Même s’il s’agit de faire fonctionner les industriels suisses de fait des demandes de contreparties, des impacts industriels locaux auraient néanmoins pu être créés entre sous-traitants suisses et français, notamment la région Bourgogne Franche-Comté avec une filière aéronautique de 210 entreprises directes et 340 sous-traitantes soit 6.300 emplois directs et 14.500 indirects. La Suisse s’était autrefois déclarée intéressée par notre nouveau projet de symposium d’achats industriels croisés.
Un élément clé qui n’est pas toujours mis en avant est le rôle potentiel du Service industriel de l’aéronautique, dont un établissement à Ambérieux, entité étatique dépendant du ministère des armées, pouvant statutairement également agir à l’export avec une garantie de qualité, surtout chez ses voisins.
On connait aussi les pratiques étatiques étasuniennes de pression pour casser les dynamiques européennes, et surtout pour ne pas partager le ciel. Mais après tout, la Suisse est indépendante et ne fait pas partie de l’UE. Notons bien que la Direction générale pour l’armement (DGA), assez agressive vis-à-vis de la Belgique suite aux achats quasi obligés de F-35, n’a pas cette fois fermé les portes après l’annonce de l’achat des F-35, et a acheté de nouveaux Pilatus pour le compte des forces françaises, attendant peut-être aussi une nouvelle décision. S’agissant des attitudes diplomatiques suisses, notons parfois la non-reconnaissance de certaines positions protectrices, qui est pourtant un véritable laboratoire pour l’Europe, mais donc aussi en Interdépendance avec les États-Unis comme quasiment tous ses membres, unis dans la diversité.
Économiste, expert relations européennes et internationales, ancien responsable d’affaires industrielles de défense, dont de maintenance aéronautique et politique de contreparties, président de l’Institut de Recherche et de Communication sur l’Europe (I.R.C.E.