Agnès Vitteaut, une présidente à l’offensive
Crémants. Agnès Vitteaut est depuis le 19 janvier dernier, la présidente de l’Union des producteurs et des élaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB). Le marché est vivace, mais le secteur a encore des combats à mener.
Agnès Vitteaut (Domaine Vitteaut-Alberti, à Rully en Saône-et-Loire), présidente de l’Union des producteurs et des élaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB), le syndicat pour les appellations d’origine contrôlées Crémant de Bourgogne et Bourgogne mousseux reconnu Organisme de défense et de gestion (ODG) par l’INAO, l’institut national des appellations d’origine et de qualité.
L’UPECB représente l’ensemble des producteurs de raisins, caves coopératives, vinificateurs et élaborateurs, et maisons de négoce soit 3.840 opérateurs habilités (dont 1.700 déclarants de récolte et 138 élaborateurs) sur l’aire géographique des appellations Crémant de Bourgogne et Bourgogne mousseux : la Côte-d’Or, le Rhône, la Saône-et-Loire et l’Yonne - 2.900 hectares d’engagement parcellaires sur toute l’aire d’appellation.
En 2022, 22,6 millions de bouteilles ont été produites, qui ont été exportées pour 46%. Si le marché se porte bien, les Crémants de Bourgogne ont encore à batailler : sur l’autorisation de mention des origines, les cépages, la commercialisation…
Le Journal du Palais. Un Crémant « de Bourgogne », en quoi est-ce important vis-à-vis des autres crémants ?
Agnès Vitteaut. On essaye de faire en sorte que ce soit important car on a la valeur du terroir qui en Bourgogne est quand même bien spécifique. On se bat pour faire reconnaître cela, rappeler que ce sont les mêmes terroirs et les mêmes parcellaires que les grands vins de Bourgogne. Donc c’est un atout.
Sauf qu’aujourd’hui, indiquer l’origine sur l’étiquette n’est pas autorisé…
C’est aujourd’hui une des batailles qui va être de faire reconnaître auprès de l’INAO pour pouvoir modifier notre cahier des charges et être autorisé à mentionner les terroirs et indiquer les types de cru sur nos étiquettes. Aujourd’hui la segmentation se fait via les mentions Éminent et Grand Éminent (voir encadré).
C’est très long, il faut l’avis des autres ODG, il y a toute une procédure. Et ce n’est pas simple car il y a des enjeux géopolitiques dans tout cela assez importants. Or nous faisons peur car nous sommes sur une aire d’appellation très large, nous sommes toujours en concurrence avec les bourgognes.
Votre cahier des charges vient néanmoins de connaître certaines évolutions en 2021. Qu’est-ce que cela a changé ?
La grosse évolution a été le Gamay : on a pu augmenter la part de Gamay de 20% maximum par cuvée à 30% après des essais très concluants avec ce cépage qui apporte de la puissance et de la force ce qui sur certaines cuvées peut être très intéressant. Et l’approvisionnement également est important dans ce cépage qui est autorisé par le cahier des charges à condition d’être produit en aire bourgogne.
Nous sommes une appellation qui reste opportuniste, longtemps on a vendu pas cher : cela a permis de faire connaître en grande distribution. Mais aujourd’hui il faut valoriser notre process qui est long : nous avons des frais de stockage, d’élevage. Nous avons le cahier des charges qui est le plus restrictif des vins de Bourgogne !
Cela signifie aussi faire se rassembler les producteurs ! Les vignerons du Châtillonnais ne parlent pas forcément à ceux du Rhône…
C’est en effet très cloisonné avec chacun ses problématiques, ça se bouscule d’une année sur l’autre en fonction des cours… Le foncier aussi est un problème : il y a encore des parcelles qui ne sont pas dans l’appellation.
Il faut déjà référencer ce qui existe et qui n’est pas utilisé, comprendre pourquoi ce n’est pas utilisé avant de s’étendre ailleurs. Le problème est d’attirer ceux qui ont planté pour qu’ils se disent : je ferais bien du Crémant pour me diversifier.
Comment se placer face aux champagnes ?
Ce n’est juste pas le même produit ! Nous sommes un produit de terroir, mais c’est un autre terroir… C’est un effervescent parmi d’autres, une AOC au même titre que le champagne que l’on ne pourra jamais remplacer.
On ne peut pas rivaliser : la région Champagne ne fait que du champagne et historiquement elle est plus forte que nous, même si la mention de Bourgogne mousseux est très ancienne selon les chercheurs avec lesquels nous travaillons. Nous devons aussi le faire savoir.
Nous ne sommes pas nés en 1975 avec la naissance de l’appellation ! Nous avons une commission « segmentation » qui vient de se mettre en place au sein de l’Union qui justement travaille en réunissant à la fois l’aspect technique et l’aspect communication pour travailler cette valorisation.
Il faut faire une communication ciblée, en fonction du public visé, par segment. Et nous avons un travail de terrain à faire chez nous, en tous cas, se rendre plus désirables auprès de nos vignerons qui peuvent choisir chaque année de faire du Crémant… ou non.
Il y a des gammes de plus en plus Premium dans les maisons de Crémant. Comment voyez-vous l’évolution de la commercialisation dans les années à venir ?
Il faut que cela monte encore un peu ! Le prix moyen est actuellement à 10,25 euros la bouteilles à peu près, donc il y a de la marge ! On commence à se heurter au champagne aux alentours de 15 euros qui dans la tête du consommateur est le prix d’un premier champagne.
Mais il faut y aller il n’y a pas de raison ! Mais il faut justifier pour valoriser. Or les gens se disent proches du terroir, consomment local : alors justement ! Au lieu d’aller boire un champagne, regardons chez nous, il y a du Crémant !
Comment lutter contre cet a priori tenace selon lequel le Crémant est le « champagne du pauvre » ?
Il faut moderniser l’image. Même les vins tranquilles le font, les jeunes vignerons sont en avance sur nous ! Au Domaine Vitteaut-Alberti, nous avons une gamme classique, mais à côté nous faisons des cuvées un peu olé-olé. Il faut y aller ! En plus c’est un produit festif : si on ne se lâche pas là-dessus, on n’attirera jamais les jeunes ! Il faut s’adapter.
Côté communication, c’est aussi du côté de la Fédération nationale qu’il faut regarder. Nous faisons aussi des choses : il faut bien cibler les médias et les prescripteurs, plutôt qu’une grosse campagne de pub nationale que l’on ne pourra pas assurer. Il faut aller au charbon !