Hommes et chiffres

CRCC : un mandat en trois actes

Finances des entreprises. Rapport sur la durabilité pour les sociétés dès 2025, prise en main des outils numériques et de l’IA dans les cabinets, apports de la profession au développement des PME : Thomas Paulin, président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes Besançon-Dijon, fait le point sur les enjeux de son mandat, débuté en novembre dernier.

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Le Journal du palais. Quels sont les enjeux de ce mandat de quatre ans débuté en novembre 2024.

Thomas Paulin. Il y a trois grandes lignes directrices : la première est le marché de la durabilité, la seconde porte sur le volet numérique et l’entrée des outils numériques dans nos cabinets, la troisième enfin concerne le marché des PME.

La « durabilité » est ce que l’on connaît mieux sous le nom de RSE, « Responsabilité sociétale des entreprises...

Photo de Thomas Paulin
Thomas Paulin est président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes Dijon-Besançon depuis novembre 2024. Le territoire de la CRCC s’appuie sur le périmètre des cours d’appel : Côte d’Or, Doubs, Jura, Haute Marne, Haute-Saône, Territoire de Belfort. (Crédit : Arnaud Caillou - CNCC.)

Les commissaires aux comptes sont dorénavant en charge de l’audit des informations de durabilité, qui relèvent en effet, de manière communément admises, de la RSE. Ce travail s’inscrit dans la directive CSRD (Corporate sustainability reporting directive, qui vise à renforcer la transparence et à responsabiliser les entreprises sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance, Ndlr), transposée en droit français en décembre 2023 et qui impose un certain nombre d’obligations aux plus grandes entreprises en France en termes de préparation de ce qu’on appelle un « rapport de durabilité », un rapport avec des règles très claires répondant aux normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards, permettant d’encadrer et d’harmoniser les publications des sociétés, Ndlr), comportant un certain nombre d’informations prescrites et qui doivent être communiquées dans ce rapport.

De quelle nature sont ces informations ?

Il y a trois grands thèmes : l’environnement, avec des indicateurs comme les émissions de gaz à effet de serre, la pollution, la préservation des ressources marines, de l’eau, l’économie circulaire ; il y a un volet social, avec tous les éléments en lien avec le respect des droits humains, des droits des travailleurs, des parties prenantes – consommateurs notamment. Enfin, un volet en lien avec la gouvernance. Le volet environnemental nécessite beaucoup de travail pour les entreprises car il y a énormément d’indicateurs et de données à fournir sur les impacts environnementaux directs et indirects, de l’ensemble de la chaîne d’activité des entreprises (Scopes, Ndlr). Ils sont étudiés à l’échelle de l’entreprise, de ses fournisseurs et des utilisateurs finaux. C’est un nouveau champ qui se déploie pour les commissaires aux comptes, à la fois auditeurs d’informations financières et extra-financières.

Pourquoi est-ce un enjeu majeur pour la profession dans notre région ?

Il y a eu une première vague d’application, qui concernait les sociétés cotées, sur les informations au 31 décembre 2024. Mais elles y étaient préparées, car elles étaient soumises depuis 2017 à la publication de la DPEF (Déclaration de performance extra-financière, Ndlr), même si ce rapport était beaucoup moins normé, c’était plus un outil de communication. La directive, elle, a bien un caractère plus normé. Sur le périmètre de la compagnie régionale, on est peu concerné par ce type de société. Nous le serons davantage sur la deuxième vague d’application, qui porte sur les données au 31 décembre 2025 et concerne les groupes qui font plus de 60 M€ de chiffre d’affaires, plus de 250 salariés ou les sociétés individuelles qui font plus de 50 M€ de chiffre d’affaires et plus de 250 salariés. Là, on commence à entrer dans le champ des belles PME régionales, qui auront l’obligation de publier ces informations.

Que se passera-t-il en cas de manquements de l’entreprise sur ces indicateurs ?

C’est la grande question ! À l’issue de son travail d’audit, le commissaire aux comptes émet un rapport d’assurance que l’on appelle, pour le moment, « limité » et dans lequel il va relater les défaillances éventuelles constatées. Soit sur l’identification des impacts qui sont incomplets, soit sur le chiffrage de ceux-ci. On s’attend à ce que les premières années, il y ait dans les rapports des points sur lesquels l’information ne sera pas exhaustive, simplement parce que c’est un exercice complètement nouveau pour les entreprises. Certaines ne sont absolument pas structurées pour le faire, il faut refaire le lien avec la RSE, sachant qu’en plus il y a un souci pour trouver des profils compétents pour réaliser ce travail. C’est une chose qui est en train de se construire, aussi bien au sein des entreprises pour pouvoir collecter les données et construire celles-ci, identifier les impacts… et c’est aussi en train de se construire au niveau des cabinets, qui doivent construire leur méthodologie d’audit et constituer leurs équipes. Tout le monde est en train de se rendre compte que le délai est court pour pouvoir produire nos premiers rapports de certification à partir du printemps 2026 !

Il y a donc un enjeu d’information ?

Au niveau de la profession, la première chose est en effet d’arriver à bien informer les entreprises de leurs obligations, car elles ne sont pas toutes au courant et de leur faire prendre conscience qu’au-delà de la nécessité inscrite dans la loi, il y a un enjeu lié à leur business futur. S’interroger sur son impact environnemental, cela fait peut-être encore partie des choses secondaires dans l’esprit des dirigeants, mais cela va devenir primordial pour pouvoir même maintenir leur activité. Cela va également devenir un enjeu essentiel pour le recrutement : les jeunes générations sont particulièrement sensibles à cet aspect.

L’élection de Donald Trump, qui fait fi de la protection de l’environnement, ne va-t-elle pas introduire une distorsion de concurrence face à une Europe qui tente de se structurer en imposant des normes environnementales ?

Il y a des débats en cours pour rajouter une catégorie de société intermédiaire car avec les critères actuels, on arrive vite sur des PME qui vont avoir du mal à appliquer la directive en l’état. On pourrait peut-être revoir les indicateurs à fournir. Certes, les États-Unis sont lancés dans un schéma d’extraction des ressources, mais c’est oublier un peu vite que la Chine est dans un verdissement de son économie, notamment grâce au photovoltaïque, la pollution ayant rendu un certain nombre de régions littéralement invivables. Vis-à-vis des États-Unis, on sera peut-être en décalage, mais l’enjeu est justement de réfléchir aux business models d’avenir. Les donneurs d’ordre vont beaucoup peser à cet égard.

Comment la profession va-t-elle s’adapter à la révolution numérique ?

Les commissaires aux comptes sont entourés d’outils numériques qui doivent de plus en plus être intégrés dans leur pratique, qui leur permettent de traiter et d’analyser des quantités importantes de données. Ces outils sont soit développés par la compagnie nationale des commissaires aux comptes (qui sont des outils gratuits ou presque), soit ce sont des propositions d’éditeurs de logiciels privés. Il faut aider les commissaires à prendre en main ces outils, trouver les bonnes solutions numériques, mais aussi envisager l’évolution des méthodes d’audit pour mieux utiliser les données présentes au sein des entreprises et être plus pertinents dans nos rapports.

Comment dans ce cadre avoir une assurance concernant la protection des données ?

En tant que commissaires aux comptes, nous devons respecter la loi RGPD (Règlement général sur la protection des données, Ndlr). Les données de nos clients doivent strictement rester dans une application européenne, et cela concerne aussi leur hébergement. Nous demandons aux éditeurs de logiciels de s’engager là-dessus. L’enjeu de la compagnie est de mettre en avant pour tous les confrères qu’il est nécessaire de prendre en main ces outils pour faire des audits à plus forte valeur ajoutée et respecter l’ensemble des règles qui nous sont imposées. Par exemple, une règle extrêmement importante est celle de l’archivage des dossiers, qui est régie par le code de commerce. Avec des outils numériques de haut niveau, c’est ainsi beaucoup plus facile de respecter cette règle plutôt qu’avec des éléments papier. J’ajoute enfin l’intelligence artificielle, qui pose à la profession un certain nombre de questions : comment l’utilise-t-on ? Quelle solution d’IA faut-il utiliser ? Il y a là de plus un vrai sujet sur la protection des données. Utiliser ChatGPT signifie que vos données partent immédiatement aux États-Unis… Il y a donc un enjeu sur la façon d’utiliser l’outil, mais aussi sur ses dangers.

Cette montée en outillage numérique s’accompagne donc d’un enjeu de recrutement ou de formation ?

Dans la formation au sein des cabinets, il faut avoir beaucoup plus de profils de collaborateurs qui soient à l’aise avec ces outils numériques – ce qui n’est pas forcément le cas, y compris de la part de jeunes recrues – et qui aient des compétences de data analyst, de recherche et d’exploitation de bases de données. Il y a des talents locaux, mais il faut des programmes de formation spécifiques justement pour les faire progresser là-dedans. L’IRF (Institut régional de formation) Bourgogne Franche-Comté, qui est dédié aux experts-comptables et commissaires aux comptes, a une offre. Il faut également faire savoir aux étudiants que dans les cabinets, il y a ces besoins spécifiques, ce qui n’est pas forcément connu.

En quoi le marché des PME est un enjeu pour la CRCC Besançon-Dijon ?

La loi Pacte a rehaussé les seuils d’intervention des commissaires aux comptes, obligatoire à partir de 10 M€ de CA et 50 salariés, calqué sur un seuil européen qui n’est pas en adéquation avec le tissu des PME en France, dont le CA tourne plutôt autour de 6,5-7 M€. De plus, des PME peuvent, de manière volontaire, souhaiter avoir recours aux services d’un commissaire aux comptes… le tout sans incitation ni réglementaire, ni fiscale. Or, nous pensons qu’il est de l’intérêt des sociétés de faire appel à nous. D’ailleurs, dans les start-up, dès qu’il y a un euro provenant d’un fond d’investissement, il exige un commissaire aux comptes, utile non seulement pour fiabiliser les informations qui lui sont transmises, mais aussi pour être un appui au projet de développement. Nous défendons l’idée que le commissaire aux comptes est une aide pour le dirigeant, pour s’y retrouver dans le maquis de règles, structurer son activité, réduire ses risques en termes de fraude, de détournement d’actifs, et d’application des règles. Bref : une vraie chance pour lui ! Et c’est particulièrement vrai localement au vu du tissu économique, essentiellement composé de PME.

Y-a-t-il d’autres enjeux ou d’autres projets locaux ?

Enfin, plus localement, notre Compagnie régionale et son bureau de dix élus (représentant les territoires du périmètre de la compagnie, qui repose sur celui des cours d’appel de Besançon et Dijon, Ndlr) s’est structuré autour de plusieurs commissions : l’une sur la durabilité que j’ai déjà évoquée, l’autre sur la formation… et une sur la formation des collaborateurs des cabinets, mais plus spécifiquement sur les techniques d’audit, avec justement les enjeux du numérique. Nous sommes en pointe sur un projet de collaboration avec l’EFFA (École Française de Formation à l’Audit, située à Paris 8, qui a accueilli sa deuxième promotion à l’automne 2024, Ndlr) pour une déclinaison locale. Cela permettrait de répondre à cette nécessité d’avoir des professionnels aguerris sur l’utilisation des data, le numérique, la durabilité… et qui sortent d’une formation professionnelle très orientée sur ces enjeux.