Franck Robine : « Cette région a sa carte à jouer ! »
Entretien exclusif. Préfet de la région BFC et préfet de la Côte-d’Or depuis juillet 2022, Franck Robine a reçu le Journal du Palais. Sécurité des biens et des personnes, développement économique, réindustrialisation, cybersécurité, transition écologique : sa feuille de route est bien remplie.
Depuis son arrivée dans la région, le préfet de la région BFC et préfet de la Côte-d’Or Franck Robine s’est forgé la réputation d’un homme à l’écoute du territoire, réservant sa première visite hors Dijon à la Nièvre. Très apprécié du monde économique, il apparaît également intransigeant dans sa lutte contre les criminalités : une de ses premières actions a été de sécuriser la place de la République à Dijon, la lutte contre les stupéfiants était en tête de ses priorités et il s’est montré incisif lors du bilan de la première année du centre régional de cybersécurité, le 21 juin dernier.
Un an après avoir quitté le cabinet de Jean Castex, alors Premier ministre, pour la région BFC, Franck Robine s’est entretenu avec le Journal du Palais pour un entretien à forte dominante économique.
Le Journal du Palais. Comme préfet de la Côte-d’Or, vous êtes responsable de la sécurité des biens et des personnes. Quelle est la situation du département ?
Franck Robine, préfet de la région BFC, préfet de la Côte-d’Or. La région dans son ensemble et la Côte-d’Or ne sont pas épargnées par la croissance du trafic de drogue. En 2022, on a eu une très forte activité : plus de 1.400 opérations dans le département, policiers et gendarmes confondus, on a eu deux tonnes de drogues saisies soit 22 millions d’euros de valeur marchande et 260 personnes arrêtées.
Le ministre de l’Intérieur a raison de dire que c’est la mère de toutes les batailles : cela destructure la société, ça encourage tous les trafics, il y a énormément d’argent à gagner et cela ne gangrène pas seulement les banlieues. Je n’oublie pas la responsabilité du consommateur. J’ai décidé d’y accorder une attention particulière, notamment au travers des amendes forfaitaires délictuelles, on en est à presque 500 depuis le début de l’année, en très forte augmentation.
Ce qui me préoccupe c’est que cette drogue entre à Dijon, mais n’épargne pas les villes moyennes (Beaune, Montbard…). On a heureusement une région plutôt préservée du reste de la délinquance : une étude de l’Insee portant sur 2016-2022 montre que l’on a la région la moins touchée en cambriolages de toutes les régions françaises, avec la Corse et la Normandie, et leur nombre a diminué de 21% quand le reste du pays baissait de 14%. On met donc l’accent sur la drogue, les cambriolages et le reste des trafics : le trafic de tabac explose. Au plan national, les douanes ont multiplié par quatre les saisies de tabac.
Préfet de la Région BFC, vous êtes en charge de la mise en oeuvre des politiques publiques et des budgets opérationnels. Pouvez-vous nous dire quelle est la « feuille de route » avec laquelle vous êtes arrivé en région BFC ?
La politique gouvernementale a été actualisée par la Première ministre à la mi-avril lorsqu’elle a présenté ses priorités à la suite du conflit social majeur des retraites. L’action publique s’est réorientée en prenant en compte le plein emploi. Attention : je n’oublie pas qu’il y a des gens qui cherchent un emploi, des gens dans la misère et qu’il y a des bassins d’emploi tels Montbéliard ou Le Creusot avec des difficultés.
Mais globalement l’approche est celle du plein emploi : Beaune par exemple est passé en dessous des 5 %. Du coup tous les secteurs sont en tension ! Les chefs d’entreprise me le disent. Il y a donc à réussir la réorientation des politiques publiques. Par exemple sur l’apprentissage : en 2017, il y avait 14.000 entrées en apprentissage ; le double en 2022 ! Cela constitue une des réponses.
Il y a le travail avec les partenaires, par exemple France Travail. L’Yonne et la Côte-d’Or font partie des 18 départements qui expérimentent la prise en charge renforcée des bénéficiaires du RSA : l’idée est de les laisser le moins longtemps possible sous ce statut en étant accompagnés par des assistantes sociales car il y a des problèmes (garde d’enfants, parfois de maladie, de désocialisation). Tout le monde a des compétences : mais il ne faut plus être dans une gestion volumétrique mais personnalisée du RSA.
Quelles sont les priorités qui ont émergé dans la région BFC ?
Il y a la priorité gouvernementale, particulièrement prise en main dans cette région, de la transition écologique et énergétique. La région produit 17% de ses besoins par des énergies renouvelables et ambitionne d’être auto-suffisante en 2070. C’est une part importante de ma mission. Le Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoire, Ndlr) a fixé un objectif d’installation de 2.800 MW d’éolien, or pour le moment il y a en 1.000 d’installés ; 1.000 sont instruits mais non réalisés car tous font l’objet de recours ; 1.000 sont en cours d’instruction.
Cela me mobilise beaucoup, il faut trouver des arbitrages entre les impératifs de production et la défense de la biodiversité, des paysages, du patrimoine. Par exemple ce patrimoine extraordinaire que sont les Climats : je dois instruire tous les dossiers déposés mais spontanément, l’implantation d’éoliennes dans un secteur labellisé par l’Unesco ne me semble pas aller de soi.
Il y a le photovoltaïque qui prend de l’essor : on en est à un peu plus de 600 MW installés, l’objectif pour 2030 est 3.800 MW. Il faut donc parvenir à installer des projets industriels, des projets de particuliers… Un préfet de Région passe actuellement entre 30 et 50% de son temps sur l’environnement.
Comment le Fonds vert, ce budget en lien avec les impératifs de transition écologique est-il assumé dans la région ?
Je dois vous dire que le Fonds vert est une très grande réussite dans la région BFC. Nous sommes actuellement tout simplement la première région de France en nombre de dossiers déposés ! Cela montre qu’il y avait un besoin, qu’il y a un engouement et que les collectivités locales ont répondu présent. Le Fonds vert a une grande souplesse : on vient avec son projet, et le préfet paye… avec quelques impératifs comme 40% d’amélioration de performance énergétique dans les projets. Or on a fait en moyenne 60% sur l’ensemble des dossiers. J’étais le premier surpris !
Des maires ont joué le jeu, en Côte-d’Or le Siceco a déposé des dossiers multigroupés… J’avais 72 millions d’euros, à ce jour j’ai tout engagé. J’espère avoir une rallonge ! C’est vraiment un enjeu majeur et c’est stimulant de voir l’engagement. Cela montre que les élus ont pris conscience des enjeux et cela permet de traiter plus facilement des dossiers un peu plus difficiles comme le ZAN.
Ce « Zéro artificialisation nette » est en effet mal accueilli par les maires notamment…
Je n’aime pas le « Zéro » : cela donne l’impression que l’on ne peut plus rien faire. En réalité la loi dit : d’ici à 2050 quand on consomme un hectare il faudra être capable de restituer un hectare à la nature ; en 2030, la moitié. Donc il faut aller vers la sobriété. Il le fallait : cette région entre 2011 et 2021 a vu sa population baisser mais sa consommation de terres a augmenté. Cette loi est de ce point de vue un bon signal. La réalité des chiffres est la suivante : entre 2011 et 2021, les huit départements de la région ont consommé 10.000 hectares, ce qui fait en moyenne 125 hectares par an et par département. Or il y a 4,7 millions d’hectares en BFC.
Ceci pour dire oui il faut faire des efforts à cause des effets sur le réchauffement climatique. Le Sénat a néanmoins fait une proposition qui a l’agrément du gouvernement qui prévoit que pour les communes qui ont le moins consommé d’espace, une « souplesse » pourra être accordée. Je trouve que l’on arrive à un bon équilibre où il y a à la fois un signal de sobriété et un peu plus de souplesse qui permettra au préfet en liaison avec les maires de discuter avec plus de sérénité.
Le ZAN a pu être vécu par les maires comme un nouveau coup donné à leur liberté d’administrer après la suppression de la taxe d’habitation par exemple…
En réalité, les maires sont déjà dans une démarche où ils ne maîtrisent pas leur développement, parce qu’ils ne sont pas dans la coopération intercommunale. Entendons-nous bien : je ne veux pas refaire le débat de la carte intercommunale.
Je suis profondément Républicain et persuadé qu’on ne trouvera jamais mieux qu’un conseil municipal, quasi bénévole, qui donne de son temps sans compter pour assurer la démocratie. Mais ici, au plan régional, et c’est vrai aussi au niveau de la Côte-d’Or vous avez plus des communes (55%) qui n’ont pas de document d’urbanisme. Même pas de carte communale, encore moins de PLUi. Ce sont des élus qui se plaignent mais ne se donnent pas les moyens d’assurer leur développement.
Je suis un fervent partisan de la défense du fait communal, mais parallèlement de la coopération intercommunale. J’ai rencontré les présidents d’intercommunalité, les 19 de Côte-d’Or, mes collègues des autres départements ont fait de même, pour leur dire : faites des documents d’urbanisme intercommunaux. Rester dans son périmètre ne permet plus de faire face aux enjeux, je pense à l’eau par exemple. Je plaide pour cela sans forcer et depuis ce rendez-vous un certain nombre a demandé à ce que les services de l’État viennent présenter ce qu’est une démarche intercommunale, qui est une chose compliquée… mais dont l’État paye la quasi-totalité des études.
Sur l’eau spécifiquement, si on ne fait pas d’interconnexion, cela peut priver les villages d’accès à l’eau. Il y a un sujet d’investissement pour réaliser le réseau ; il y a un sujet de pertes d’eau. La sobriété est le premier axe du Plan eau (présenté par Emmanuel Macron fin mars 2023). Or dans les réseaux d’eau, il est très fréquent que l’on perde un litre sur cinq, voire davantage. Outre les problèmes de pénurie, le prix de l’eau va exploser. Les communes ne peuvent plus s’en tirer toutes seules. L’eau est un dossier stratégique majeur.
Depuis que je suis arrivé j’ai mis en place avec la Dréal une conférence régionale de l’eau à laquelle la présidente Dufay a participé. Nous avons déjà tenu cinq séances. On a également un problème de qualité de l’eau, avec des résultats qui ne sont pas bons, avec notamment des pesticides. J’ai d’ailleurs demandé aux services de la DDT de prendre un certain nombre de mesures coercitives dans des endroits où les taux de nitrates trop importants sont identifiés.
Et toutes les agences de l’eau vous le disent, la qualité est très médiocre. Et je prédis, si on ne prend pas les choses à bras le corps - et je me félicite que François Rebsamen sur la métropole, François Sauvadet pour la Côte-d’Or en aient conscience – qu’on va avoir vraiment, des problèmes importants.
La réindustrialisation du pays est une autre priorité. Quelles sont les chances de la région BFC notamment au regard du programme France 2030 ?
Très sincèrement, et cela fait huit mois que je suis là, cette région est très forte de ses entreprises - en particulier industrielles - de ses hommes et femmes, qui sont bien formés et de sa géographie. Du coup, elle est à mon avis très bien placée pour bénéficier du process de réindustrialisation.
Depuis que le Président de la République a lancé ces démarches, on estime qu’il y a eu 200 relocalisations industrielles dans le pays. J’étais par exemple à la pose de la première pierre d’Eurogerm, qui réimplante (à Saint-Apollinaire, Ndlr) une usine de levains.
La BFC a plusieurs atouts : il y a une vraie tradition industrielle avec 17% d’emplois industriels sur le total d’emplois salariés. 45.000 emplois dans l’industrie automobile, 30.000 dans la métallurgie, 18.000 emplois dans la plasturgie… 12.000 emplois dans le nucléaire grâce au Creusot. Il y a un tissu favorable à l’esprit d’entrepreneuriat, d’innovation, de savoir-faire, d’appareils de formation...
La région a donc de très bons résultats dans les démarches qui ont été lancées par le gouvernement. Il y avait eu 250 projets financés dans le cadre du Plan de Relance (2020-2021) et on a désormais France 2030 qui est toujours d’encourager des investissements mais dans des technologies de rupture. Il faut être vraiment dans l’excellence. Or on a fait un comité de suivi au mois de mars 2023 avec Marie-Guite Dufay, et on voit qu’on a 87 entreprises de BFC qui sont venues émarger à ces aides France 2030 ! Cela représente 156 millions d’euros.
Nous ne sommes pas toujours conscients de ce potentiel. Ce terreau très fort d’innovation est par exemple présent dans l’alimentation : on a primé Fungu’it, qui fait de la protéine à base de champignons c’est fascinant ! Et c’est une entreprise avec 450 emplois potentiels. Vitagora existe depuis 18 ans sur l’alimentation. On a la santé avec des entreprises d’excellence : Urgo, Crossject… qui peut imaginer qu’à Dijon une entreprise qui équipe l’armée américaine ? On est allé avec le ministre de la Santé à Besançon, visiter Temis Santé avec des microtechniques que François Braun n’avait jamais vues.
La BFC a de très grandes ambitions pour être le département référence de l’hydrogène, nous étions à Inocel à Belfort : déjà 10.000 commandes piles à combustible ! Et sait-on que Stellantis a implanté à Vesoul son centre logistique européen y compris pour l’Europe du Nord et une partie du Moyen-Orient : c’est 2.300 emplois ! La BFC est par ailleurs un corridor d’importance stratégique pour les marchés européens et je veux dire aux chefs d’entreprise que grâce aux axes de développement aux Sud de l’Europe et aux portes de l’Atlantique, elle peut-être une sorte de hub pour le développement économique. Cette région a sa carte à jouer !
La désertification médicale ou les carences de transports publics alimentent le sentiment d’abandon ressenti par les habitants des territoires hors villes (c’est particulièrement vrai en Côte-d’Or en proie à une hypermétropolisation), aggravé par le départ des services publics des territoires ruraux. Quel est votre sentiment vis-à-vis de cet état de fait ? Cela peut-il être un risque sur le plan de l’attractivité ?
Oui c’est un risque. Mais on peut le voir positivement : c’est aussi une région riche de sa ruralité, de son agriculture (40.000 emplois), de sa forêt (24.000), de sa viticulture (45.000 emplois directs ou induits). Pour moi, c’est une mine d’or ! Avec des gens qui font moins de 2% du vignoble français et 11% de la valeur de la viticulture nationale. Néanmoins, force est de reconnaître que le monde rural se vit comme en crise. C’est un paradoxe car on n’a jamais mis autant d’argent dans le monde rural. Les 109 petites villes de demain, les actions Cœur de ville, les 144 maisons de santé pluridisciplinaires… ce sont des efforts inédits, de vraie présence. Les 204 maisons France Services ont des taux de satisfaction très importants.
Après il faut reconnaître que l’on manque de médecins, c’est la première crainte et une chose que je comprends, des interrogations en matière de transports évidemment… Mais on a des réponses concrètes. Je pense que cette région est globalement plutôt équilibrée, avec un CHU quand même fort, et c’est en promouvant les actions de coopération entre les petites établissements, les maisons de santé et le gros établissement de référence qui est le CHU.
Je pense que l’on peut redonner au monde rural une image plus positive qui correspond mieux aux efforts que fait l’État en matière de services publics, de maison de santé. Je ne nie pas la réalité : ce que je dis est qu’elle ne correspond pas tout à fait aux ressentis. Et nous, responsables publics, nous avons une part de pédagogie à faire et à s’investir davantage auprès des maires ruraux ce que j’essaie à mon humble niveau, de faire.