Hommes et chiffres

Geoffroy Secula : « Non à l’entrave à la liberté de travailler »

Entretien. Dans le contexte social tendu des manifestations contre la réforme des retraites, mais aussi sur le recrutement, la ZAN, l’auto-entrepreneuriat… la CPME 21 s’exprime par la voix de son président Geoffroy Secula.

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Photo de Geoffroy Secula
Geoffroy Secula (Crédit : DR)

Le Journal du Palais. La France traverse une crise sociale et politique qui se cristallise autour de la réforme des retraites, désormais votée grâce au recours au 49-3. Quelle est la position de la CPME sur cette réforme ?

Geoffroy Secula. Cette réforme des retraites était pour nous nécessaire. Nous sommes sur un système déséquilibré financièrement. Il y a un constat très simple : on vit plus longtemps cela augmente le coût des retraites, il est donc nécessaire pour compenser de travailler plus longtemps. On ne voit pas comment il pourrait y avoir d’autres solutions pour équilibrer le système, sinon à diminuer le montant des pensions.

Nous sommes donc favorables à la solution de travailler plus longtemps. Nous demandions aussi de mettre fin à certaines inégalités, tels les régimes spéciaux par exemple.

Pour nous, cette réforme y répond partiellement avec la fin des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants dans la vie active ; mais on aurait pu aller plus loin en équilibrant par exemple le système privé et le système public.

Le dispositif carrière longue était une demande de la CPME, pour permettre à ceux qui ont commencé de travailler plus tôt de pouvoir partir plus tôt : cela a été aussi entendu.

Enfin, il y a l’accès pour les indépendants à la retraite minimale (pour les carrières complètes, ndlr), soit 1.200 euros mensuels : c’est une vraie avancée pour les commerçants et artisans.

Toutes nos propositions n’ont pas été retenues, mais on considère qu’il faut être en capacité de pouvoir se positionner avec un texte qui a été débattu, avec des compromis qui ont été trouvés et nous considérons que cette réforme était nécessaire.

Était-ce le bon moment, compte tenu du contexte ? Les Français étaient déjà inquiets pour leur pouvoir d’achat en baisse…

Il n’y a pas de bon moment pour faire passer une réforme comme celle-ci. Si on regarde le passé sur les précédentes réformes, il y a eu systématiquement une crise sociale. Toutes n’ont pas été menées de la même façon, mais le contexte politique n’était pas le même.

Le point commun c’est qu’à chaque fois cela a cristallisé une partie des personnes et mobilisé les syndicats de salariés. Là-dessus, ils sont légitimes à faire entendre leur voix, ils représentent une partie des salariés. Par contre ce qu’on n’accepte pas ce sont des blocages, comme il y en a eu pour des raffineries, qui stoppent l’économie.

La succession de ces mouvements, dans les mêmes secteurs géographiques, dans les mêmes rues, qui impacte les mêmes commerçants crée de vraies difficultés pour le monde économique. Nous sommes favorables à des réquisitions en cas de blocage et d’entrave à la liberté de travailler.

Cette réforme était au programme du Président de la République et de son gouvernement. Cela fait plusieurs années que l’on était dans une succession de crises : plus tôt, le contexte était-il plus favorable à cette réforme ? Je n’en ai pas le sentiment. Aurait-elle été mieux venue plus tard ? Là non plus. Il y a de toute façon une urgence à la faire et à la mener.

Que pensez-vous du climat social tel qu’il s’est révélé durant les jours de mobilisation ? On a vu des blocages, mais aussi beaucoup de violences, de dégradations… On sent une vraie colère.

Une dégradation du climat social entre salariés et patrons ? Clairement non. On sait qu’il y a une mobilisation qui émane des syndicats de salariés qui représentent une petite partie des salariés, encore une fois avec toute la légitimité qui est la leur.

Mais en tant que chef d’entreprise, je peux vous dire que de nombreux salariés sont favorables à la réforme et à l’inverse, un certain nombre de chefs d’entreprise n’y sont pas forcément favorables !

La mobilisation est importante, c’est incontestable, mais je ne crois pas que ce soit une position aussi tranchée que celle de salariés contre celle des chefs d’entreprise.

Enfin localement, il y a très peu de retours de dégradation du climat social dans les TPE/PME. Cela concerne surtout les grands groupes.

Au-delà du report de l’âge légal, comment entendez-vous les revendications sur la pénibilité, sur les conditions de travail qui sont portées dans les manifestations ?

Comme chef d’entreprise, on a déjà des obligations de résultats en matière de conditions de travail et sur la santé de nos salariés. Après pour moi la vraie légitimité est la pénibilité de certains métiers : nous en étions demandeurs.

Il est évident qu’une personne qui travaille en production, sur une chaîne toute sa vie, ou en travail à l’extérieur, a des conditions plus difficiles que celui qui travaille dans un bureau.

On en est complètement conscients mais il me semble que cette réforme a pris cette pénibilité en compte. Et on voit que lorsqu’il faut faire appliquer des consignes, des protocoles, comme cela a été le cas lors de la covid, les premiers à le faire et à y arriver, ce sont bien les chefs d’entreprises. Ils ont été exemplaires et le professionnalisme du monde de l’entrepreneuriat a été clairement illustré.

Lors de la récente AGO de votre organisation, vous avez réaffirmé votre souhait de voir évoluer le statut d’auto-entrepreneur.

La CPME est convaincue que ce statut est un bon statut, souple et simple à mettre en place. Cela peut-être une très bonne façon de se lancer dans le monde entrepreneurial.

Notre position est néanmoins qu’il reste limité dans le temps (deux ans), notamment par rapport à la concurrence induite vis-à-vis d’un chef d’entreprise sous statut SA, SARL ou autres.

Un auto-entrepreneur qui s’installe dans la durée et propose les mêmes types de services, sera en concurrence déloyale : une TVA sera ou non appliquée et le prix final pour l’usager ne sera pas le même.

Cette limitation du statut d’auto-entrepreneur à deux ans est un sujet que nous portons auprès de nos députés, qui se sont engagés à nous aider à porter cette revendication auprès du gouvernement.

Un motif d’inquiétude des chefs d’entreprises est celui du recrutement. Comment la CPME 21 y répond-elle ?

Cette problématique est une réalité et là où pour nous il y a une grande incompréhension, c’est quand on fait le parallèle du taux de chômage dans notre pays et celui du nombre de postes à pourvoir dans les entreprises.

En cela, on demandait à ce que les conditions puissent évoluer : le gouvernement y a apporté une réponse partielle qui va mettre un peu de temps à porter ses fruits qui est celle de réduire la durée d’indemnisation aux chômeurs de longue durée en fonction du taux de chômage et donc de la situation de l’emploi.

C’est pour nous plutôt une bonne mesure, même si clairement on aurait souhaité qu’elle soit beaucoup plus incitative. La CPME 21 accompagne les TPE/PME pour se professionnaliser dans les recrutements : le patron de TPE/PME est au front, sur le commerce, sur l’administratif, en production, et ce n’est pas forcément lui qui va avoir les ressources pour mettre les annonces, checker les candidats…

C’est un axe important pour nous, car les entreprises qui s’en sortent mieux que les autres, sont celles qui sont le plus professionnelles sur le recrutement.

Nous sommes aussi convaincus qu’il existe aujourd’hui des moyens proposés par Pôle Emploi qui sont efficaces, notamment la préparation opérationnelle à l’emploi, ou le recrutement par simulation où le taux de réussite est extrêmement intéressant.

Nous incitons les entreprises à les utiliser parce que ce sont des dispositifs plutôt récents et qui selon nous pourraient être plus utilisés. Nous devons aussi progresser en matière de formation sur les métiers les plus en tension de recrutement, pour former le plus en amont possible et avoir des candidats opérationnels pour répondre à ces postes.

Nous avons soutenu l’École des métiers, nous avons aussi une convention avec la BSB pour soutenir l’alternance en études supérieures qui est un super moyen pour recruter des talents pour des TPE/PME qui ne le faisaient pas forcément.

Le soutien financier du gouvernement porte ses fruits : on n’a jamais eu autant d’alternants. Surtout il faut continuer ces aides.

Attention : on ne peut pas vivre dans une économie subventionnée ! Il y a eu des aides pour les entreprises qui étaient légitimes, logiques, nécessaires. On ne pouvait pas interdire à une entreprise de travailler d’un côté et la laisser mourir.

Ces aides ont permis de soutenir la croissance après la crise sanitaire, mais on ne peut pas vivre dans une économie subventionnée par contre si on doit faire le choix des aides les plus pertinentes, pour nous cela en fait clairement partie.

La concentration de l’activité sur la métropole dijonnaise peut-elle à votre avis être un risque pour le tissu des TPE/PME du reste du territoire ?

Je ne crois pas que ce soit un problème d’avoir une métropole qui pèse au niveau économique : une métropole puissante permet aussi de drainer de l’économie qui bénéficie à tous les secteurs de Côte-d’Or.

Les bassins d’emploi sont très concentrés sur la métropole, mais si on regarde les PME en nombre, elles sont très réparties sur l’ensemble du département.

Il y a aussi des PME qui ne sont pas sur Dijon et qui sont aussi des locomotives pour le département ou des entreprises de Dijon !

On ne va pas regretter d’avoir une métropole sur laquelle il y a de l’emploi, ce serait un non-sens économique de le critiquer. Chaque territoire a ses forces, il ne faut pas les opposer. Si on pouvait sortir des clivages politiques, cela faciliterait aussi les vie des économies.

Pour donner un exemple : quand aujourd’hui on réfléchit à un Parc des expositions pour faire venir des congrès, on devrait être capable de réfléchir à une offre commune Beaune-Dijon. C’est un sujet qui est totalement soutenu par l’Umih.

En revanche, là où il y a un équilibre à trouver, et il va falloir y travailler tous ensemble parce que cela peut être un sujet qui déséquilibre effectivement l’économie d’un département, c’est celui des ZAN (Zéro artificialisation nette) et le sujet de savoir où vont être les surfaces disponibles : voilà qui sera très important pour l’équilibre du territoire.

La mise en place de cette réglementation va contraindre et contraindre de plus en plus. Et il y a une réalité : l’offre foncière pour des TPE/PME est très difficile parce que souvent on a des parcelles disponibles qui ne sont pas adaptées.

Nous voulons être très actifs à cette concertation qui va avoir lieu sur ces équilibres, on demande clairement à participer à ces travaux. Et si une problématique est posée pour un territoire ou pour les entreprises, c’est un combat qui va devenir national : c’est ça aussi la force de la CPME.

Enfin, une partie des taxes a été orientée vers les intercommunalités au détriment des communes est pour moi une erreur stratégique. On a désintéressé les communes à des implantations.

Si vous n’avez pas un élu qui a la fibre de l’économie, les maires ont moins d’intérêt à accueillir des entreprises. Ça c’est une difficulté qui est concrète et qu’on subit quand on veut s’implanter.