Hommes et chiffres

Notariat : « Nous sommes un service public de la confiance »

Conseil supérieur du notariat. Le nouveau président du Conseil supérieur du Notariat (CSN), Bertrand Savouré, a tenu une conférence de presse au siège parisien de l’instance pour préciser sa feuille de route durant les deux ans de son mandat qu’il souhaite propice au déploiement d’une stratégie du numérique au sein de la profession et pour réclamer plus de souveraineté à l’État.

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Photo de Pierre Jean Meyssan, Bertrand Savouré et Céline Deschamps
De gauche à droite : Pierre Jean Meyssan (premier vice-président), Bertrand Savouré (président) et Céline Deschamps, porte-parole du bureau du CSN. (Crédit : JDP)

Journal du Palais. Comment se porte la profession alors que vous entamez votre mandat à la tête du Conseil supérieur du notariat ?

Bertrand Savouré. Nous sortons d’une phase de transformation institutionnelle extrêmement importante née, mais pas uniquement, de la loi Croissance. Ceci comprend la réforme complète de la discipline notariale, exercée désormais de façon conjointe avec les magistrats au sein de chambres disciplinaires détachées de nos instances ; notre code de déontologie et le règlement professionnel du notariat sont sortis. Ce sont des textes extrêmement fondateurs. Nous avons ensuite la réforme de la représentativité, entamée en 2020, qui inclut également des questions de parité au sein des instances professionnelles du notariat. Les textes qui régissent l’organisation interne de notre profession datent de 1945. Nous avons beaucoup travaillé pour rénover et refondre ces textes. Il y a aujourd’hui sur le bureau de la Direction des affaires civiles un texte totalement refondu qui va désormais régir l’organisation de notre profession. On clos un cycle de transformation structurelle importante.

Nous entrons dans un changement d’ère. Les générations Y, Z arrivent dans les offices et chez nos clients. On ne consomme pas non plus le service comme il y a dix ans. Ce changement se caractérise par la digitalisation, se traduit aussi par des changements de comportements chez la clientèle et dans nos offices. La profession a changé, avec 40% d’offices (7.000 à l’heure actuelle) et de notaires (environ 17.500), a rajeuni (l’âge moyen est de 43 ans) et s’est féminisée depuis sept ans.

Quels sont les axes de votre mandat qui s’achèvera dans deux ans ?

Développement et souveraineté. Le premier car après la transformation, il faut qu’on se projette, qu’on se prépare à intégrer de nouvelles habitudes de travail. La souveraineté parce que notre profession, avec nos missions de service public, notre mission d’authentification des actes, nous impose un certain nombre de contraintes que nous acceptons et pour lesquelles nous devons être exemplaires. Mais nous voulons avoir les moyens de ce service public, donc avoir une forme de souveraineté. Cela signifie admettre de mettre à notre disposition moyens, outils et techniques à notre main pour nous permettre de maîtriser notre environnement et faire un travail sécurisé.

Comment les déployer ?

Sur la question du développement, plusieurs sujets. Le premier est celui du numérique. Notre profession s’enorgueillit d’avoir pris le virage depuis de nombreuses années et de travailler sur support électronique avec des actes qui ont la même valeur que l’acte papier d’autrefois. Nous avions mené avec le bureau précédent ce qu’on a appelé la stratégie numérique du notariat : un travail très important d’audition et d’analyse de l’ensemble de l’architecture numérique de la profession notariale et de l’ensemble des besoins exprimés par les offices et leurs clients dans leur quotidien.

Nous avons mené plus d’une centaine d’auditions, rencontré des experts pour bâtir cette stratégie numérique qui se décompose en quatre volets : le premier est celui de la souveraineté. C’est dire que les outils numériques qui nous permettent de travailler ne peuvent pas être les mêmes quand il s’agit d’être dans le monde concurrentiel et d’être dans le cœur nucléaire de notre mission c’est-à-dire identifier nos clients, recevoir leur consentement et leur signature. Là, nous voulons la souveraineté, c’est-à-dire avoir la maîtrise des outils que nous utilisons. Nous ne voulons pas que le notaire dans l’office « A » travaille avec un outil « X » et que le notaire de l’office « B » travaille avec un outil « Y » qui ne soient pas a minima visualisés, agréés, réglementés ou identifiés par la profession.

C’est trop important car c’est le cœur de notre mission : l’identification du client est un enjeu central de la sécurité de nos actes, il nous faut donc un outil exemplaire dans son fonctionnement. Et d’autre part, parce que notre profession n’est pas à l’abri des cyber attaques. En 2023, on a mené un très gros travail pour élever le niveau de sécurité dans tous les offices de France et pour cela il faut être en capacité de le faire : il nous faut donc de la souveraineté pour pouvoir imposer de la sécurité dans tous les offices et avoir des outils « à la main » de la profession. Il y a enfin un enjeu de données. La donnée de nos clients est précieuse et nous en sommes responsables, y compris pour en garantir la protection. Pour cela il faut que l’on ait les outils pour le faire.

Le deuxième volet est ce que l’on a appelé le renforcement : nous allons augmenter les équipes et renforcer les compétences dans le domaine du numérique au sein de la profession notariale. Nous travaillons avec l’ADSN, l’association de développement du service notarial, qui est le bras armé du numérique de la profession. Nous allons demander aux instances locales de se doter de compétences numériques, mutualisées ou non selon leurs moyens. Il est important d’avoir une architecture numérique qui se décline depuis le Conseil supérieur jusqu’aux instances locales. Ce renforcement inclut le travail que nous avons toujours fait avec nos partenaires habituels, que nous appelons les SSII (info géreurs, éditeurs de logiciels…), avec lesquels nous voulons continuer à travailler ; la souveraineté n’exclut pas le travail avec ces partenaires.

Le troisième volet est celui du développement, qui va nous permettre d’orienter nos capacités humaines et économiques vers le développement de projets. Je ne vais pas vous surprendre : tout tourne autour de l’IA. Pour nous, ce n’est pas l’édifice : c’est un outil, une technique au service de l’architecture numérique et toutes les solutions d’IA qui vont sortir devront pouvoir s’y agréger. Exemple, la donnée immobilière. On a toujours exploité cette donnée pour fournir de la statistique : les prix, les volumes… on le fera dorénavant avec l’IA en travaillant avec des personnes qui vont nous proposer des solutions pour être beaucoup plus performants dans l’analyse de la donnée immobilière.

Le quatrième volet est celui de la transformation : la nécessité pour tous les offices de France de monter en compétences et en sensibilisation sur les questions numériques. Nous allons entreprendre de grandes actions de formation et de sensibilisation dans les offices. Cette stratégie numérique nous avons l’ambition de la transcrire avant la fin de l’année 2024 au travers de notre plan d’action du numérique, en concertation CSN/ADSN.

Le deuxième axe du mandat est donc la question de la souveraineté.

Nous avons entrepris un plan d’action contre le blanchiment : nous travaillons de façon très étroite avec Tracfin, avec le Colb (Comité d’orientation de la lutte contre le blanchiment, Ndlr) pour que tous les notaires de France montent en performance et en vigilance contre le blanchiment. Nous collectons l’impôt et nous apportons de la donnée statistique à l’État. Mais cette exemplarité nous conduit de demander à l’État en contrepartie, d’avoir plus d’égards envers la profession notariale. Les relations que nous avons aujourd’hui avec la Chancellerie, avec Bercy également sont apaisées. Mais nous voulons plus de soutien dans un certain nombre de sujets, des ajustements nécessaires que nous demandons avec beaucoup de force. Le premier est la question de la carte d’installation des nouveaux notaires, révisée tous les deux ans.

C’est un travail qui mobilise de façon incroyable nos équipes et les services de l’État : audition devant l’autorité de la concurrence, réflexions multiples avec la Direction des affaires civiles… On sort d’une carte, il faut préparer l’autre. Revenir tous les deux ans sur ce travail, c’est insupportable. Nous demandons que le délai soit reporté à cinq ans. Nous demandons aussi la révision de notre tarif fixé par l’État. Là aussi, le délai de changement est de deux ans, nous voulons qu’il soit passé à cinq ans… comme le prévoit la loi. Le dernier sujet est l’écrêtement : un client ne peut pas payer plus de 10% de frais que la valeur exprimée par la transaction.

Or cet écrêtement pose de graves difficultés pour un certain nombre d’offices qui ne travaillent que ce type de transactions, notamment en milieu rural ou péri-urbain. Nous avons mis en place au sein de la profession une action de solidarité de certains offices vers d’autres, depuis inscrite dans la loi : la CVO (Contribution volontaire obligatoire) qui permet non pas de compenser l’écrêtement mais de nous assurer que tous les offices de France soient en état de sécurité économique. Nous allons la poursuivre ; mais nous pensons néanmoins que l’écrêtement mérite des ajustements importants et ce que nous aimerions travailler avec l’État pour lui expliquer que au-delà de l’intérêt du client, il y a aussi l’intérêt d’un service public qui soit pérenne.

On va monter chiffres à l’appui que l’écrêtement est un problème pour beaucoup d’offices en France. Enfin, je reviens sur la souveraineté. Nous voudrions que l’État impulse une action dans ce sens. Nous avons évoqué ce sujet plusieurs fois devant l’autorité de la concurrence, autorité indépendante. Elle a peine parfois à comprendre ce qui fait l’essence même de notre mission de service public et pourquoi nous avons mis en place dans notre code de déontologie un certain nombre d’interdictions, comme par exemple celui de la sous-traitance – uniquement dans les domaines où l’enjeu de l’acte authentique est engagé. Nous l’acceptons bien entendu dans l’exercice du notaire au quotidien, dans les RH par exemple. Sur ce point nous ne sommes pas forcément entendus par l’autorité de la concurrence. Pour remplir notre devoir de sécurité envers nos clients, nous attendons de l’État d’être supportés sur ce point.

Le mot qui irrigue ce mandat est un mot transversal : c’est celui de la confiance. Nous disons que les notaires ont en charge un service public particulier : le service public de la confiance. La confiance que nous devons avoir en nous-mêmes pour les missions que nous entreprenons ; la confiance que nous avons de la part de nos clients et que nous devons conserver ; la confiance que nous avons dans l’avenir et la confiance que l’État doit avoir en nous.