Hommes et chiffres

Renaissance d’une fleur de sel régionale

Gastronomie. Après une première réussite dans la création, en 2016, d’une collection de cancoillotte haut de gamme aux saveurs régionales, le maître cuisinier de France, Fabrice Piguet, relance aujourd’hui la fabrication de sel de la Grande Saline de Salins-les-Bains, à l’arrêt depuis près de 60 ans.

Lecture 9 min
Piguet Gastronomie

Maître cuisinier de France, enseignant au CFA du Pays de Montbéliard, Fabrice Piguet est tombé, enfant, dans la marmite de la gastronomie et de la défense du terroir local. Ses premières armes, il les fait en apprentissage dans le restaurant que son père Luc ouvre au début des années 1970 à Sochaux, puis dans le second établissement paternel La Charrue d’or à Roches-lès-Blamont, premier étoilé du Pays de Montbéliard. Un lieu qu’il dirigera à son tour après avoir obtenu le titre de Maître cuisinier de France en 2001, avant de passer un brevet de maîtrise pour devenir traiteur.

Un métier qu’il exerce dans le haut de gamme, servant de deux à 1.000 couverts pendant dix ans. L’envie de transmettre aux jeunes générations son savoir, sa passion pour son métier et son terroir se fait jour. Il intègre alors le CFA du Pays de Montbéliard en qualité d’enseignant. Parallèlement, il ajoute une formation supplémentaire à son Curriculum vitae en obtenant un BTS hôtellerie-restauration en candidat libre. En 2016, notre épicurien, qui fait aussi entendre sa voix dans une émission de cuisine sur France Bleu Belfort-Montbéliard, se lance un nouveau défi : celui de réinventer, la cancoillotte, ce fromage traditionnel franc-comtois en un produit VIP.

JDP

Déclinée à la morille, au vin jaune du Jura, à la bière de Sochaux, au kirsch de Fougerolles, aux truffes de Bourgogne ou encore à la fleur de caviar, il la transforme en produits incontournables du luxe gastronomique. Un pari récompensé au concours Miam 2017 du prix « Rayonnement du Terroir ». « Ma démarche est basée sur un double objectif : revaloriser ce produit du terroir familial en lui donnant une dimension de produit de haut de gamme et promouvoir la région au-delà de ses frontières. Mes ingrédients comportent au minimum un des trois labels suivant : IGP, AOP et Label Rouge. Je vise également le “made in Bourgogne Franche-Comté” ou à défaut le “made in France”. Mon metton est ainsi de Haute-Saône, ma fleur de sel de Guérande, mon beurre : un grand fermage de Poitou-Charentes. J’ajoute également du poivre de Panja. Ce poivre rare est la première IGP africaine du Cameroun. Mes pots sont de fabrication française et mes étiquettes jurassiennes ».

Redonner vie à un produit régional

Et c’est dans cette logique d’ambassadeur du terroir et des savoir-faire locaux que s’inscrit le nouveau challenge de Fabrice Piguet : redonner vie à l’or blanc de la Grande Saline de Salins-les-Bains, site classé, depuis 2009, au patrimoine mondial de l’Unesco, pour son caractère industriel. C’est en effet sur cette commune jurassienne, où des sources naturelles d’eau salée jaillissent depuis des millions d’année, que pendant 1.200 ans la saumure sera captée du sol et que de son évaporation naîtra un sel qui fera la prospérité de la cité. Au Moyen-âge, la Grande Saline faisait travailler environ 800 personnes, des sauniers aux bûcherons en passant par les tonneliers, les forgerons, les voituriers... et représentait à elle seule la moitié des revenus de la Franche-Comté.

« D’ici trois ans, nous nous donnons pour objectif de déplacer la manufacture à Salins et d’y créer des ateliers de transformation et d’emballage »

« C’est d’ailleurs en partie avec l’argent de ce sel, que Guigone de Salins finance la création des Hospices de Beaune en 1443 », ajoute Michelle Rouchon, Grand Maître de la Confrérie de l’or blanc, créée en 2000. Un sel qui se tarit en 1962 avec l’arrêt de la production. « Je cultive avec ce lieu un lien fort qui rentre en résonance avec notre charte des Maîtres cuisiniers de France, qui stipule notamment que nous sommes les héritiers d’un grand passé, que nous avons pour mission de servir l’art culinaire, d’en développer le rayonnement et d’en assurer l’avenir : à la fois ambassadeur d’un patrimoine et des savoir-faire locaux. En participant à la renaissance de la Grande Saline, je m’inscris dans cette mission », argue Fabrice Piguet.

Un véritable savoir-faire

« Quand Fabrice m’a appelé pour la première fois pour me parler de son projet, mon adhésion fut immédiate. Nous sommes restés plus d’une heure au téléphone emportés par l’enthousiasme... », se souvient Michelle Rouchon. Il faut dire que l’idée de voir à nouveau la Grande Saline prendre vie réchauffe le coeur de cette petite-fille de forgeron, qui a tant baigné dans cette tradition salinioise. Son grand-père réparait ainsi, en son temps, les si indispensables poêles des sauniers. Après près de trois ans de préparation, le vendredi 14 mai est officiellement signée une convention liant la ville de Salins-les-Bains - dont son maire Michel Cêtre voit en ce projet une opportunité de rayonnement touristique et de développement économique - la Confrérie de l’or blanc et Piguet Gastronomie, en vue de l’utilisation de l’eau salée à des fins culinaires.

Le maître cuisinier de France Fabrice Piguet et Michelle Rouchon, Grand Maître de la Confrérie de l’Or blanc, posent devant la roue à eau qui permet l’extraction de la saumure du sol de la Grande Saline de Salins-les-Bains, ainsi que devant une charrette remplie de sel. JDP

« Plusieurs mois d’essais ont été nécessaire pour arriver à la bonne recette, d’avoir le bon diamètre de cristaux... Il s’agissait pour moi, ni de produire du sel fin, ni du gros sel, mais bien une fleur de sel très haut de gamme. Nous avons utilisé la technique ancestrale dite de “la poêle” pour extraire le sel de la saumure puisée dans les profondeurs de la saline. C’est dans nos ateliers de Bethoncourt, dans le Doubs, que la transformation a lieu. On procède d’abord à une évaporation par la chaleur, puis le cristallin récupéré à la surface à l’aide d’une écumoire est disposé à l’extérieur sur des plaques de marbre inclinées. Avec le soleil, la fleur de sel va petit à petit prendre corps. En fonction des conditions climatiques (ensoleillement, hydrométrie...) cela peut prendre de quelques heures à plus d’une journée », développe Fabrice Piguet.

Du sel pour de futurs salaires

À l’exemple de ses cancoillottes, sa gamme de fleur de sel se décline notamment aux couleurs de la Bourgogne Franche-Comté autour des spécialités gastronomiques des huit départements. Disponible depuis le 13 juin, elles sont ainsi aromatisées au marc deBourgogne, à la moutarde de Fallot, au cassis Noir de Bourgogne, au Pinot noir, à l’absinthe, au vin jaune du Jura, aux Griottines de Fougerolles, aux morilles françaises, aux bourgeons de sapins (récolté en local avec l’autorisation de l’ONF) ou encore fumée à la manière des saucisses de Montbéliard.

« Aujourd’hui, cette fleur de sel de Salins remplace celle de Guérande dans mes recettes de cancoillottes. Son important pouvoir salant m’a d’ailleurs permis de réduit de 10 % la part de ce condiment dans mes pots. Quant à mes sels aromatiques, ils sont déjà présents sur les tables de plusieurs macarons Michelin, dont, en Bourgogne, le groupe Loiseau et CIBO, un restaurant gastronomique une étoile à Dijon », précise Fabrice Piguet.

À l’image du pari fait avec la cancoillotte, qui a généré plusieurs embauches dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville de Bethoncourt, cette nouvelle aventure se conjugue également avec la création d’emplois. « C’est un des objectifs premiers de tous mes engagements... Pour la manufacture de sel, nous avons déjà recruté une femme de 54 ans en réinsertion professionnelle. D’ici trois ans, nous nous donnons pour objectif de déplacer la manufacture à Salins et d’y créer des ateliers de transformation et d’emballage ».