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L’utilité de l’avocat en droit public à l’ère de l’intelligence artificielle

Droit public. À l’heure où l’intelligence artificielle (IA) transforme notre société, elle emporte également des incidences sur les métiers du droit. Il convient alors de rappeler l’importance du rôle de l’avocat, notamment dans les litiges de droit public, opposant les justiciables à l’Administration.

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Au regard de la sophistication croissante des outils numériques capables d’analyser des textes juridiques, de produire des modèles de requêtes ou d’anticiper les décisions judiciaires, on pourrait être tenté d’abandonner l’idée de solliciter les conseils d’un professionnel du droit et de laisser l’IA proposer une solution aux litiges administratifs. Pourtant, loin d’être rendue obsolète, l’intervention de l’avocat conserve une utilité fondamentale.

Le droit public, qui régit les relations entre les personnes privées et les autorités administratives, ou encore entre les institutions publiques elles-mêmes, présente en effet une densité normative et une technicité particulière. Qu’il s’agisse de droit de l’urbanisme, de la fonction publique, des marchés publics ou encore des libertés fondamentales, les litiges y sont souvent porteurs d’enjeux à la fois juridiques et humains. Dans ce contexte, la compréhension des problématiques auxquelles les administrés sont confrontés ne peut reposer que sur des algorithmes.

L’intelligence artificielle offre certes des avantages notables : rapidité de traitement des données, recherche jurisprudentielle assistée, génération automatisée de contenus juridiques standards… Ces outils constituent un appui précieux pour le praticien qui commence à y recourir de plus en plus afin de perfectionner son travail. Mais ils se heurtent à des limites structurelles. L’IA repose sur des données passées existantes alors que le droit public constitue un droit vivant, soumis à des évolutions constantes et à des logiques interprétatives. L’erreur de qualification juridique ou d’appréciation commise par l’administration dans l’appréhension de la situation des administrés échappe à l’analyse automatisée puisqu’elle requiert une analyse de la situation humaine et factuelle.

Déontologie, motif d’irremplaçabilité de l’avocat

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L’avocat, par sa connaissance du terrain, son expérience des usages des juridictions administratives, sa capacité à dialoguer avec les institutions, mais aussi sa déontologie professionnelle, font de lui un intervenant irremplaçable. Ainsi, fort de son expertise technicienne, l’avocat saura apprécier l’adéquation, de même que la régularité des données de l’IA, qui ne sont pas exemptes d’erreurs ou de confusion. Là où peut être détectée une irrégularité formelle, l’avocat saura de plus mesurer si cette irrégularité est juridiquement pertinente et stratégiquement opportune à soulever. Il ne s’agit pas seulement d’argumenter, mais de convaincre, de construire une stratégie, parfois de négocier en amont du contentieux ou de déterminer les conditions d’un accord amiable.

Par ailleurs, le contentieux de droit public implique souvent une asymétrie entre les parties : un citoyen face à une administration puissante, un fonctionnaire contre son employeur public, une association contre une décision préfectorale… L’avocat joue ici un rôle d’équilibrage fondamental, en assurant à chacun l’effectivité de ses droits, notamment dans des procédures parfois obscures et techniques.

La dimension humaine, indispensable

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En outre, la dimension humaine des litiges de droit public ne doit pas être négligée. Le justiciable en droit public est souvent confronté à une décision qui disposera d’une influence déterminante sur son quotidien : refus de permis de construire, sanction disciplinaire, décision de reconduite à la frontière… Dans ces moments, l’avocat n’est pas seulement un technicien du droit, mais un interlocuteur, un soutien, un médiateur. L’intelligence artificielle, aussi performante soit-elle, ne peut remplacer cette écoute, cette empathie, ni cette capacité à adapter la défense à la singularité de chaque situation.

En somme, l’avocat spécialisé en droit public ne disparaît pas face à l’intelligence artificielle : il évolue avec elle. Il s’appuie sur ces outils pour gagner en efficacité, mais conserve une fonction irremplaçable d’interprète du droit, de stratège et de défenseur des libertés. Les avocats ne sont pas remplacés par l’IA ; ils sont appelés à jouer un rôle encore plus exigeant et essentiel dans un monde juridique de plus en plus technologique.

Par Me Mathilde Grenier et Alexandre Ciaudo, Avocats, membres de l’Ordre des Avocats de Dijon.