Le barreau d’affaires français en congrès à Dijon
Côte-d’Or. Chaque année, l’association des Avocats conseils d’entreprises (ACE) organise un congrès national, lieu de formation, d’échange pour la profession et ses partenaires. Cette année l’évènement se tenait les 25 et 26 septembre à Dijon et avait pour thème « l’audace », affichant l’ambition de promouvoir des idées innovantes, de contribuer avec efficacité à forger une profession d’avocats moderne et de préparer son avenir. Morceaux choisis.

Nadjoua Belhadef, adjointe au maire de Dijon en charge du commerce et de l’artisanat.
L’audace qui nous réunit est une exigence contemporaine. L’audace de défendre partout l’État de droit. L’audace d’interpréter et d’appliquer un droit toujours plus complexe. L’audace d’entreprendre et d’innover pour que vos cabinets relèvent des défis économiques, technologiques et humains de demain.
Dans un monde où les repères se brouillent, où les libertés fondamentales restent menacées, le rôle de l’avocat est plus essentiel que jamais. Vous êtes les garants d’une justice accessible, équitable et humaine. Vous êtes les premiers défenseurs de la dignité des justiciables, mais aussi des acteurs engagés dans la vie économique, sociale et culturelle de notre pays. Santé mentale, restructuration des entreprises, secret professionnel, compliance, droit européen... Chaque atelier, chaque plénière de ce congrès illustre cette audace nécessaire pour que l’avocat demeure à la fois protecteur, innovateur et éclaireur.
Cette audace, si vous le permettez, doit aussi se trouver sa place dans le dialogue avec le législateur. « Il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois. Depuis que je suis née, j’ai vu trois et quatre fois rechanger celle des Anglais nos voisins ». N’y voyez là aucune analogie avec l’actualité. C’est une citation de Montaigne qu’il faut toujours relire en toutes circonstances. En effet, les avocats doivent systématiquement s’adapter au changement. Il y aura peut-être une forme d’audace à éviter de changer les textes, car l’ambition de voir son nom accolé à une proposition de loi engendre souvent plus de complexité, dans un moment où la simplification serait de mise.
Par ailleurs, nous le savons, la loi de programmation pour la justice 2023-2027 engage notre pays dans une transformation structurelle : augmentation des moyens, réforme de procédure, création expérimentale des tribunaux des affaires économiques, réforme en droit des sociétés... Autant de chantiers qui appellent votre vigilance et votre participation. Ici encore, l’audace est nécessaire, celle de questionner, de proposer, de contribuer au débat démocratique afin que ces réformes renforcent réellement la confiance des citoyens dans leur justice.

Loïc Richard du Montellier, avocat au Barreau de Mâcon et président de l’ACE Bourgogne.
« L’audace vous appartient ». Le mot est posé, le thème est fixé, il sera suivi. L’avocat est avant tout un juriste ans l’exercice de ses missions, mais il est aussi un entrepreneur dans l’organisation de son activité. Pour cela, l’audace nous appartient, vous appartient. C’est ce dont ce congrès va vous convaincre si vous ne l’étiez pas déjà. Alors, place aux travaux. Vous avez pour cela 28 ateliers, trois plénières à votre disposition.
Vous êtes là au congrès de l’ACE, alors faites le savoir : Instagramez, Xez, Linkedinez, communiquez, réseautez. Mais souvenez-vous qu’ici en Bourgogne, à la fin, c’est toujours Romanée qu’on tweet.

Julie Couturier, avocate au Barreau de Paris et Présidente du Conseil national des barreaux.
Notre profession possède cette belle capacité à allier l’exigence du savoir et le plaisir d’être ensemble, pour apprendre, pour apprendre mieux, j’en ai la conviction, pour apprendre les uns des autres, partager nos expériences, nos doutes, nos peurs, nos aspirations aussi pour demain. Partager nos différences aussi, celles qui font que nous sommes une profession diverse et si riche. Nous sommes 78.000, et nous avons donc 78.000 manières d’être avocat, et je suis fière de présider l’instance qui nous représente toutes et tous.
L’an passé, nous nous étions lancés pour accompagner la grande consultation des avocats. 20 000 réponses plus tard, nous sommes passés aux résultats et aux débats d’orientation. Ce qu’il me semble essentiel de retenir, ce sont les trois enjeux que nos confrères ont identifiés comme prioritaires : faire de l’intelligence artificielle générative une opportunité pour l’ensemble de la profession, défendre le périmètre du droit et le marché des avocats et défendre le principe d’égalité devant la loi en protégeant l’aide juridictionnelle, pour préserver le droit à un avocat pour chacun.
Ces enjeux racontent une crainte existentielle : celle de voir notre démocratie, notre État de droit et ses principes disparaître, et nous avec. Car qui d’autre qu’un avocat peut protéger le cadre, les principes et les valeurs de ce monde auquel nous tenons tant ? C’est pour cette raison que, sans relâche, il faut défendre la force du droit, défendre l’indépendance des avocats pour préserver notre démocratie et protéger nos concitoyens. Veillons-y sans relâche, car les attaques, les menaces, les intimidations ne cessent en France comme à l’étranger.

Anne Geslain, avocate au Barreau de Dijon et Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Dijon.
J’ai eu la chance d’être formée et inspirée par l’un des fondateurs de l’ACE, Jean du Parc. À travers lui, j’ai appris que notre métier ne se limite pas à défendre ou à conseiller, mais qu’il exige une vision plus large, celle d’accompagner, d’anticiper et d’inventer. Cet héritage nous habite encore aujourd’hui et je crois qu’il nous oblige.
Il s’agit de faire de l’avocat non seulement un praticien du droit, mais aussi un acteur central de la société. Qu’est-ce que l’audace pour nous, avocats ? L’audace intellectuelle d’abord. Celle de réinventer nos méthodes de travail, de revisiter nos pratiques, d’oser porter le droit comme un levier d’innovation, non comme une contrainte. L’audace sociale et économique ensuite, car nous exerçons dans un monde en mutation permanente (numérique, environnementale, sociétale) et notre place est d’accompagner ces transitions avec clairvoyance et courage.
L’audace professionnelle, enfin. Celle d’affirmer ce qui nous rend unique dans l’écosystème du conseil et du contentieux : l’indépendance, le secret, la déontologie. Ces principes ne sont pas des freins, mais les conditions de notre modernité.

Yasmine Develle, avocate au Barreau de Bordeaux et présidente nationale de l’ACE.
Vous souvenez-vous du film Un jour sans fin ? Dans ce film, le personnage, un journaliste, se réveille chaque matin pour revivre exactement la même journée. Force est de constater que la profession d’avocat semble elle aussi concernée par une boucle temporelle. Depuis des décennies, un sujet revient : la réforme de notre gouvernance.
En 2000 déjà, l’ancien président du Conseil national des barreaux (CNB) affirmait qu’il était de son devoir d’ouvrir le chantier de sa propre réforme. Nous étions alors 31.000 avocats. Huit ans plus tard, le rapport dénonçait en son préambule le manque d’unité ordinale et syndicale préjudiciable à l’influence de la profession. En 2009, le cadre des 50.000 avocats était franchi, et les femmes devenaient majoritaires au sein du barreau. Le monde avançait, nous non. En 2013, le Barreaux de Paris claque la porte du CNB. Quelques mois plus tard, son président jette l’éponge. En 2014, Thierry Bézard appelle de ses voeux la grande transformation de la profession. Un diagnostic brillant, mais resté sans effet. Et depuis, il y a eu les États généraux de la profession, la grande consultation, le rapport Jamin et un nouveau claquement de porte du bâtonnier de Paris. Et pour quel résultat ? Aucun.
Einstein définissait la folie comme le fait de répéter sans cesse les mêmes actions en espérant un résultat différent. En relisant les débats parlementaires, il était clair que le rapport du CNB était une construction inachevée. Il avait conclu en laissant à la profession le soin de gérer l’avenir de l’institution, et je cite : « en faisant confiance en la sagesse des hommes ». Avons-nous fait preuve de cette sagesse ? Combien de rapports enterrés ? Combien d’énergie collective gaspillée ? Combien de temps et d’argent perdu ? Il est désolant de constater que notre profession est incapable de régler un sujet qui aurait dû être clos depuis bien longtemps.
La question de la représentativité n’est pas un débat théorique. C’est un obstacle à la capacité de représentation du CNB, et donc à l’influence de notre profession. La rigidité et l’incapacité à fédérer sont les signes d’un déclassement. La participation aux élections du CNB plafonne à 27 %. Seul 37 % de nos confrères disent se sentir représentés. En 2025, au lieu de se remettre en question, il y a eu un non-débat. Entendre que la gouvernance n’est pas le sujet, ça ce n’est pas possible. Cette négation de la réalité relève d’une rhétorique connue des experts en communication : l’anticatastase, une figure de style qui consiste à nier ouvertement la réalité. Cette rhétorique de la post-vérité ou vérité alternative, l’ACE ne peut pas l’accepter. Je le dis haut et fort, il est urgent que le bien commun l’emporte sur les calculs politiciens. La profession n’a plus le luxe d’attendre. Chaque jour de perdu nous éloigne un peu plus de ce que nous prétendons représenter. Chaque renoncement creuse la fracture entre l’institution et les confrères.
Comment le personnage du film s’est-il libéré ? Par un changement radical d’attitude, en cessant de se regarder lui-même et en essayant de faire passer d’abord l’intérêt des autres avant le sien. C’est la seule audace qui vaille !