« Le droit public me passionne »
Bourgogne. La nouvelle présidente du Tribunal administratif de Dijon a été nommée le 1er septembre. Parmi ses priorités : poursuivre l’action dans un contexte de contentieux en hausse, développer la médiation administrative et mieux faire connaître la juridiction.

Originaire du Creusot, Anne-Laure Chenal-Peter, la nouvelle présidente du tribunal administratif de Dijon, confesse une « passion » pour le droit public, qu’elle lie à « la notion de service public qui est le fondement de l’action de l’administration. J’ai toujours aimé l’action de l’administration qui travaille dans l’intérêt de tous nos concitoyens. »
Le Journal du Palais. Pouvez-vous résumer votre parcours ?
Anne-Laure Chenal-Peter. J’ai fait toute ma scolarité en Saône-et-Loire, à Mâcon et à Montceau-les-Mines. J’ai intégré ensuite l’Institut d’études politiques de Strasbourg et c’est là où j’ai appris à découvrir le droit administratif ; je me suis découvert une véritable passion pour le droit public. J’ai continué donc en faisant une maîtrise de droit puis un DESS gestion des collectivités locales. J’ai commencé ma carrière comme attachée de préfecture à Mâcon et, pour la petite anecdote, j’ai pu faire un stage dans ce tribunal, à Dijon, accueillie par le président Jean-Marc Le Gars. Et c’est en faisant ce stage que je me suis découvert une vocation pour le métier de magistrat administratif. J’avais, déjà, été enthousiasmée par l’ambiance de travail qui régnait et par le métier de magistrat. J’ai donc passé le concours de magistrat administratif qui n’est pas le même que celui des magistrats judiciaires. Et à l’âge de 29 ans, j’ai été affectée à Marseille. J’ai fait toute ma carrière professionnelle de magistrat en région PACA, au tribunal administratif de Marseille, puis de Toulon, puis à la Cour administrative d’appel de Marseille. Mon dernier poste était celui de présidente de chambre. Puis j’ai aspiré à de nouvelles fonctions, notamment celle de diriger un tribunal, et c’est ainsi que j’ai postulé pour le tribunal administratif de Dijon, sur ce territoire bourguignon que j’affectionne tout particulièrement.
Quels sont les résultats de ce tribunal administratif dont vous prenez la présidence ?
Je suis très fière d’être nommée présidente de ce tribunal : il travaille bien, même très bien ! Il a des délais de jugement très bons par rapport à la moyenne nationale : le délai de jugement moyen est de 6 mois et 25 jours, sachant que la moyenne nationale est plutôt autour de 9 mois. Et c’est aussi un tribunal qui rend des jugements de grande qualité puisque environ 88 % des jugements du tribunal sont confirmés par la cour administrative d’appel de Lyon. Ces très bons résultats sont le fruit du travail de l’ensemble des membres du tribunal : 38 personnes, 15 magistrats et 23 agents de greffe et aides à la décision.
Pouvez-vous en rappeler les limites de compétences ?
Un tribunal administratif est compétent pour trancher les litiges qui existent entre les citoyens et toutes les administrations : collectivité locale, préfecture, hôpitaux, etc. Le tribunal de Dijon couvre les quatre départements bourguignons, un territoire très important de près d’environ 1,6 million de personnes.
Quels sont les types d’affaires jugées ?
Comme dans tous les tribunaux administratifs de France, le droit des étrangers a une place importante dans nos affaires jugées (37 %) ; il y a beaucoup de contentieux sur le séjour et l’éloignement des étrangers. Et le tribunal administratif de Dijon a plutôt moins de dossiers que d’autres tribunaux : dans certains tribunaux de région parisienne, ça peut atteindre plus de 50 % du nombre d’affaires traitées par an par le tribunal. Donc c’est vraiment une part importante de notre activité et une part également croissante de nos procédures d’urgence (référés). On a aussi le contentieux de l’aide sociale, tels les refus de prestation d’aide sociale : RSA, cartes de stationnement, refus d’APL. On a aussi des contentieux qui touchent des enjeux tels que le climat ou l’environnement : même si ce ne sont pas les plus nombreux, ce sont toujours des affaires très sensibles et très délicates.
« Je suis très fière d’être nommée présidente de ce tribunal : il travaille bien, même très bien ! »
En Bourgogne, on a beaucoup de contentieux de dossiers qui concernent l’installation des parcs photovoltaïques. En sachant que le contentieux des éoliennes n’est plus traité par les tribunaux administratifs mais directement par les cours administratives d’appel. C’est un contentieux qu’on dit « très dynamique », c’est-à-dire que les projets sont normalement systématiquement contestés, soit par des riverains, ou des associations de protection de l’environnement. On a enfin les contentieux qui concernent l’agriculture et même le vin puisqu’on est saisi d’affaires qui traitent par exemple de la protection des vignobles ou des appellations d’origine contrôlée
Il y a donc une articulation assez sensible avec le politique : droits des étrangers, fiscalité...
Tout à fait. On ne crée pas notre activité, on dépend de l’activité de l’administration. Donc, effectivement, tout changement de lois, de décret va entraîner une saisine du juge peut-être plus importante. Depuis quelques années, tous les tribunaux administratifs en France connaissent une forte hausse de contentieux. Cela peut être lié à deux choses : une augmentation des saisines des particuliers qui nous connaissent peut-être mieux et qui veulent faire valoir leur droit ; ou à l’action de l’administration.
Est-ce lié au fait qu’il y a de plus en plus de procédures de référé ?
Les référés sont une part effectivement de plus en plus importante de notre activité. Je crois que le nombre de référés a quasiment doublé en deux ans : de 360, on en est presque à 780 aujourd’hui. Le référé est une procédure rapide, efficace où le justiciable aura une réponse immédiate à un problème mais qui restera provisoire et il faut effectivement justifier l’urgence de la situation. On a beaucoup de référés en matière de droit des étrangers, mais aussi par exemple en matière d’éducation – des étudiants qui contestent des refus d’inscription ou des redoublements par exemple. En matière d’urbanisme, si on conteste un permis de construire, d’environnement… En extrême urgence, effectivement, on peut être saisi d’interdiction de manifester, on peut être saisi aussi pour de la surveillance des manifestations par des drones.
Quelles sont vos priorités en tant que présidente, pour la première fois de votre carrière, d’un tribunal ?

La première priorité pour moi est de continuer l’action de mon prédécesseur, David Zupan, et d’exercer une justice de qualité, aussi réactive, en dépit de l’augmentation des contentieux. C’est effectivement un véritable challenge puisque comme tous les autres tribunaux de France,nous n’aurons pas nécessairement plus de moyens humains, mais nous devrons essayer de juger aussi vite et aussi bien, en essayant peut-être de nous réorganiser. Un deuxième défi est que le tribunal administratif va s’agrandir, on est en pleine période de travaux. On construit une extension parce que les bâtiments actuels ne sont plus adaptés à l’évolution de notre activité, notamment la salle d’audience qui est très petite. Nous aurons de nouveaux bureaux et deux salles d’audience : une grande salle d’audience enfin adaptée à notre activité et aussi une salle des référés pour répondre à cette demande de référés toujours plus pressante. Cela nous permettra aussi d’accueillir le public dans de meilleures conditions, notamment en ce qui concerne l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Deux autres orientations que je souhaite développer sont la médiation administrative, c’est-à-dire qu’on va demander aux parties de saisir un médiateur avant de saisir le juge.
Devant le juge administratif, c’est actuellement très peu le cas alors que je pense que c’est une manière de régler les conflits de façon différente et peut-être aussi encore plus apaisée que devant un juge parce que derrière l’enjeu juridique, il y a parfois des conflits plus personnels qui se régleront mieux avec un médiateur que devant un juge. Mais les parties restent libres d’accepter ou de refuser et si elles refusent, leur dossier reprendra son circuit classique. Mon troisième souhait est de rendre plus visible la juridiction administrative. Donc continuer à l’associer à certains événements comme par exemple la Nuit du droit. Je souhaite également engager un partenariat avec une association qui s’appelle Parlons de démocratie, une association agréée par le ministère de l’Éducation nationale et dont la mission consiste à mieux faire connaître les institutions démocratiques en France, que ce soit le Parlement ou la Justice. Dans le cadre de ce partenariat, l’association invite des professionnels du droit à intervenir dans les établissements scolaires. Donc des magistrats du tribunal pourront donc intervenir dans des établissements, plutôt collèges ou lycées, pour expliquer leur métier et peut-être susciter des vocations.
Car il y a un manque de vocations ?
Oui, tout à fait. On s’aperçoit que dans les universités, le droit public suscite de moins en moins de vocations. Je ne me l’explique pas vraiment. Peut-être c’est un manque de connaissance de toute la diversité des facettes du droit public. Moi-même qui aime beaucoup le droit public, j’ai un peu de mal à le comprendre mais voilà, il faut peut-être qu’on soit plus visible.
Est-ce que votre poste est un poste sensible au regard des contentieux que vous avez à juger ?
Sensible, je ne sais pas si c’est le mot. Comme juge administratif ou juge judiciaire, on peut sentir une certaine défiance à l’égard de la justice. La justice administrative n’y échappe pas, même si elle est encore un petit peu préservée. Je n’oublie pas que certains juges administratifs peuvent faire l’objet aussi de menaces, notamment sur les réseaux sociaux ou des menaces directes comme ça a été le cas par exemple pour l’affaire de l’A69 à Toulouse. Ce n’est pas le cas à Dijon actuellement ; il faut qu’on continue à faire notre travail dans la plus grande sérénité possible et pour le moment on y arrive plutôt bien !