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Licenciement et vie personnelle : tout n’est pas permis...

Droit du travail. Un fait qui relève de la vie personnelle du salarié peut-il justifier un licenciement ? Non, en principe, mais il est des cas où le licenciement est autorisé. Il convient toutefois d’être prudent. Voici l’état du droit actuel.

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(Crédits : FREEPIK)

La règle de principe est claire, détaille Me Duchanoy. « Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier que soit prononcée à son encontre une sanction disciplinaire. Ce principe consacré de longue date empêche l’employeur de s’immiscer dans une situation qui ne relève pas de la sphère professionnelle ou de vouloir moraliser une situation qu’il réprouve mais qui en réalité ne le regarde pas. Dès lors, un licenciement qui serait prononcé à ce titre serait jugé sans cause réelle et sérieuse, voire nul s’il portait atteinte à l’intimité de la vie privée du salarié. »

Deux tempéraments doivent toutefois être signalés.

Le premier concerne le comportement du salarié en dehors du temps et du lieu de travail qui constituerait toutefois un manquement à une obligation résultant de son contrat de travail. Tel est par exemple le cas de la divulgation d’informations confidentielles de l’entreprise sur les réseaux sociaux, même sur un compte privé, car ce faisant le salarié viole la clause de confidentialité qui résulte de son contrat de travail. De même, peut être sanctionné un salarié qui a violé la clause d’exclusivité contenue dans son contrat de travail en travaillant pendant son temps libre pour un autre employeur, peu importe qu’il soit un concurrent ou non de son employeur principal. Le grief résulte du manquement à une obligation découlant du contrat de travail.

La seconde exception concerne des faits relevant de la vie personnelle du salarié mais qui ont un lien suffisamment étroit avec la vie professionnelle. C’est l’exemple de comportements violents entre collègues lors d’un voyage organisé par l’employeur, de vols commis dans un hôtel partenaire de l’employeur qui lui causent un préjudice en termes d’image ou encore d’un accident causé par un salarié en état d’ébriété causé avec un véhicule de fonction au retour d’un salon professionnel. À l’inverse, un licenciement disciplinaire fondé sur des faits de détention et de consommation de stupéfiants sur la voie publique, sans lien aucun avec les obligations du contrat de travail ou la vie professionnelle, a été considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.

Mais attention, parfois la limite est ténue, ainsi que cela résulte de l’arrêt rendu le 22 janvier 2025 par la Cour de Cassation (n°23-10.888). Dans cette espèce, une salariée est licenciée pour faute grave pour avoir fumé le narguilé dans la cabine qu’elle partageait avec l’une de ses collègues, de surcroit enceinte, à l’occasion d’une croisière organisée par l’employeur pour récompenser ses salariés lauréats d’un concours interne à l’entreprise. Il est précisé que la salariée sanctionnée avait été débarquée par le commandant de bord et avait dû être rapatriée par son employeur. La cour suprême confirme l’arrêt qui avait été rendu par la cour d’appel jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, s’agissant d’un voyage touristique durant lequel la salariée n’était pas sous lien de subordination de son employeur, et en l’absence d’un trouble caractérisé causé à l’entreprise qui ne justifiait pas d’une plainte de la salarié enceinte ni même de son opposition à l’usage du narguilé dans la cabine, il était considéré que les faits reprochés relevaient de la vie personnelle de la salariée sans lien suffisamment étroit avec la vie professionnelle.

Des garanties existent

En effet, l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’article 9 du Code civil et l’article L1121-1 du Code du travail précisent que chacun a droit au respect de sa vie privée ou personnelle, même au temps et au lieu de travail. Ainsi, l’employeur ne peut procéder à un licenciement pour un motif relevant de la vie privée du salarié sauf l’hypothèse où le fait invoqué crée un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise. Dans ce cas, le licenciement pour trouble objectif n’est pas de nature disciplinaire.

Le trouble objectif se définit généralement par le désordre, le retentissement ou les conséquences néfastes que le fait de la vie privée génère au sein de l’entreprise. Le trouble peut dépendre aussi des fonctions particulières du salarié ou de la finalité de l’activité de l’entreprise. Mais attention, il ne s’agit pas de reprocher n’importe quoi au salarié.

Prenons l’exemple des mails adressés par le salarié à l’aide de son ordinateur professionnel. L’on pourrait penser que l’utilisation de l’adresse mail professionnelle permette à l’employeur de s’en prévaloir pour faire des reproches au salarié. Oui s’il s’agit d’échanges professionnels, non s’il s’agit d’échanges privés. En effet, le respect de l’intimité de la vie privée implique en particulier le secret des correspondances. Ainsi, l’employeur ne peut utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.

Dans une affaire récente (Soc. 25 septembre 2024 n°23-11860), il était question des mails échangés lors d’une conversation privée avec trois personnes au moyen de la messagerie professionnelle installée sur son ordinateur professionnel, mails contenant des blagues, photos et commentaires à connotation sexuelle, mais au contenu privé sans rapport avec l’activité professionnelle. Il a été considéré par la cour de cassation que cette conversation de nature privée n’étant pas destinée à être rendue publique, ne constituait pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, de sorte que l’employeur ne pouvait pas s’en prévaloir pour le sanctionner.

Plus généralement, le salarié dispose – sauf abus de celle-ci – d’une liberté d’expression au sein et en dehors de l’entreprise, cette dernière ne pouvant être limitée que par des restrictions justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché.

Également, la liberté de la vie privée, dont relève la liberté sexuelle comme celle de la vie affective, s’oppose à ce que soit considérée comme un motif de licenciement l’existence d’une relation amoureuse entre deux salariés d’une même entreprise quand bien même l’un des deux serait placé sous l’autorité de l’autre. Il ne peut être procédé à un licenciement pour une telle cause que si le comportement des salariés, compte tenu de la nature de leurs fonctions, a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise. C’est néanmoins à l’employeur d’apporter la preuve de ce trouble caractérisé.

En conclusion, il faut retenir que, sauf exceptions très encadrées, un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire, la tendance la plus récente étant au renforcement de cette protection de la vie privée.

(Crédits : DR)
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