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Réforme du régime des nullités : un tournant pour les sociétés

Précision. Les règles encadrant la nullité des décisions sociales ont été réformées par l’ordonnance 2025-229 du 12 mars 2025 avec pour objectif de renforcer la sécurité juridique en restreignant le risque de nullité et en clarifiant le régime applicable. Un changement d’ampleur qui prend effet à compter du 1er octobre 2025.

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(Crédits : Freepik)

À compter du 1er octobre 2025, l’alinéa 3 modifié de l’article 1844-10 du Code civil prévoit que la nullité des décisions sociales ne pourra résulter que de la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés, à l’exception des dispositions relatives à la prise en compte de l’intérêt social et des enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.

En retenant les termes de « décisions sociales », l’ordonnance a pour objectif de préciser que le régime des nullités qu’elle retient s’applique uniquement aux actes décisionnels internes de la société (y compris pour les assemblées d’obligataires), à l’exclusion des conventions passées par la société avec les tiers ainsi que des avis, opinions ou recommandations émis par toute instance collective instituée au sein de la société par la loi, les statuts ou de toute autre manière.

Ce nouveau régime marque la volonté du législateur de sécuriser les décisions prises au sein des sociétés, en limitant les causes de nullité aux seules violations des textes impératifs ou à celles issues du droit commun des contrats. Les conventions passées par la société avec des tiers en sont désormais exclues.

Portée et limites de la réforme : domaines concernés et prescription

La réforme met fin à certaines incertitudes et harmonise le régime des nullités des décisions sociales. Elle précise notamment que la nullité ne pourra être prononcée que pour violation d’une disposition impérative de droit des sociétés, sans limitation à un titre ou un livre précis du Code civil ou du Code de commerce. Sont donc potentiellement visées des dispositions impératives issues d’autres textes.

Reste néanmoins exclue, l’obligation de gérer la société dans son intérêt et en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

Le principal changement, à compter du 1er octobre 2025 est surtout que les statuts de société peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils ont établies (cf. article L227-20-1 du Code de Commerce s’agissant de la SAS en vigueur à compter du 1er octobre 2025). Le principe général posé est celui de l’exclusion de la nullité pour violation des statuts en réservant toutefois la possibilité de dispositions dérogatoires.

Cette évolution, si elle est bienvenue peut être source d’extension des causes de nullité si les statuts stipulent que la violation de toutes les règles qu’ils contiennent (sans distinction) entraîne la nullité. Une grande prudence s’impose donc et il est conseillé de se rapprocher de son Avocat pour la rédaction des statuts à l’égard de cette nouvelle faculté de sanction, et ce, même si les modalités du contrôle du juge ont été renforcées.

Afin de limiter les conséquences graves pour la société des nullités « en cascade », la réforme instaure d’une part un principe général d’absence de nullité (sauf exception légale) en raison de l’irrégularité de la composition d’un organe social et d’autre part une possibilité de différer les effets de la nullité.

S’agissant du délai de prescription des actions en nullité nées à compter du 1er octobre 2025, l’article 1844-14 du Code Civil prévoira que le délai de prescription des actions en nullité de la société, d’apport ou de décisions sociales postérieures se raccourcit de trois à deux ans à compter du jour où la nullité est encourue. Les dispositions relatives à la prescription propres aux modifications du capital social, aux fusions et aux scissions sont réservées.

La décision sociale ne pourra être annulée que si le demandeur justifie d’un grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle violée, si l’irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision, et si les conséquences de la nullité ne sont pas excessives pour l’intérêt social au regard de l’atteinte constatée : il s’agit du triple test qui sera appliqué par le juge sauf exceptions.

Effets de la nullité et régularisation

Lorsque la nullité est prononcée, elle met fin à l’exécution du contrat sans effet rétroactif et, si la société a pris naissance, produit les effets d’une dissolution judiciaire, suivie d’une liquidation dans les conditions prévues par les statuts et par la loi (comme actuellement). Mais il est en outre expressément prévu que, sous réserve, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 1844-5 du Code civil (relatives à la dissolution sans liquidation de la société devenue unipersonnelle), il sera procédé à la liquidation de la société conformément aux dispositions des statuts et à celles des articles L 237-1 s. du Code de commerce relatifs à la liquidation des sociétés commerciales (C. civ. art. 1844-15, al. 2 modifié) ; il en sera ainsi y compris lorsque la société en cause est une société civile.

Le régime des nullités encourage par ailleurs la régularisation des actes irréguliers : une nullité peut être couverte jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le fond en première instance, et le juge peut accorder un délai pour permettre la régularisation, notamment via la convocation d’une nouvelle assemblée ou la ratification de décisions viciées.

La réforme des nullités en droit des sociétés entrant en vigueur au 1er octobre 2025 vise à renforcer la sécurité juridique en limitant strictement les cas de nullité des décisions sociales, tout en maintenant la possibilité de régulariser les irrégularités et en encadrant précisément les effets de la nullité prononcée. Ce nouveau cadre doit être bien appréhendé par les chefs d’entreprise pour éviter les sanctions et sécuriser la vie sociale de leur société.

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Béatrice Lerat (Crédits : DR)
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Me Catherine Deloge-Magaud (Crédits : DR)

Par Me Catherine Deloge-Magaud et Me Béatrice Lerat, membres de l’Ordre des Avocats de Dijon.