Télétravail chéri
Travail. Le télétravail est une forme d’organisation dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux (domicile par exemple) de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication.
Mettre en place le télétravail au sein de son entreprise est à la portée de tous. Il suffit de conclure un accord collectif ou, à défaut, d’établir une charte après avis du comité social et économique, s’il en existe. Ces actes ne sont pas les seuls moyens de recourir au télétravail. L’employeur et le salarié peuvent décider de recourir au télétravail, en formalisant leur accord par un avenant au contrat de travail. Tels sont les enseignements de l’article L.1222-9 du code du travail.
LE TÉLÉTRAVAIL, C’EST BON POUR L’ENVIRONNEMENT, LES SALARIÉES ENCEINTES...
L’accord collectif ou la charte élaborée par l’employeur se doit de comporter de nombreuses mentions dont notamment celle des conditions de passage en télétravail. Il est en effet, important de cadrer strictement le recours au télétravail et de prévoir les circonstances dans lesquelles il sera utilisé, sous peine de « porte ouverte à toutes les fenêtres ». Au rang de ces circonstances, l’on retiendra celle de l’épisode de pollution mentionné à l’article L. 223-1 du code de l’environnement ou autrement dit, lorsque les seuils d’alerte sont atteints ou risquent de l’être et en cas de menace d’épidémie ou de force majeure (pénurie de carburants ?) L’on retiendra également que le télétravail est une solution propice aux salariées enceintes.
Le regain de succès du télétravail durant la crise sanitaire de la Covid-19 ne s’essouffle pas et les mêmes interrogations à son sujet viennent et reviennent comme les vagues sur une plage. Quels sont les horaires de travail suivis par un télétravailleur ? L’employeur a-t-il l’obligation de prendre en charge l’abonnement Internet du salarié ? Le salarié peut-il imposer le télétravail à son employeur ? L’employeur doit-il mettre à disposition un ordinateur, un fauteuil… En l’absence d’indications précises dans le code du travail, ces sujets sont appelés à être tranchés par l’acte juridique organisant le recours au télétravail, comme une notice de montage de meuble de cuisine.
ET LES SALARIÉS DÉCLARÉS INAPTES PAR LA MÉDECINE DU TRAVAIL
Le télétravail peut être proposé par l’employeur comme il peut être souhaité par le salarié. Moins commun, le télétravail peut également être préconisé par le médecin du travail pour des raisons médicales, notamment dans le cadre d’une recherche de reclassement en faveur d’un salarié déclaré inapte à reprendre son emploi initial. Ce dernier point nous conduit à la décision du jour. Telle est en effet, la préconisation formulée par la médecine du travail à l’égard d’une employée administrative travaillant dans une pharmacie et déclarée inapte à reprendre son poste. Peu coutumier de cette forme d’organisation de travail, l’employeur n’a engagé aucune démarche tendant à placer la salariée en télétravail et a licencié cette dernière pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement. Bien mal l’en a pris au regard de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en date du 18 mai 2022. La salariée qui comptait sept années d’anc ienneté au moment de son départ, a en effet, saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour faire grief à son employeur de ne pas avoir exécuté de manière loyale son obligation de reclassement en ne lui proposant pas de télétravail conformément aux préconisations du médecin du travail.
Après avoir obtenu une décision favorable en première instance, la salariée a vu la Cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 18 mai 2022, confirmer le sens de la première décision, juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui allouer des dommages et intérêts de plus de 25 K€. Retenez. L’on ne rigole pas avec le télétravail, surtout lorsqu’il s’agit de reclasser le salarié déclaré inapte. L’article L. 1226-2 du code du travail nous enseigne que lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités en tenant compte notamment, dans sa recherche, des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. Considérant que l’employeur avait manqué à cette sacrosainte obligation légale, la salariée s’est appliquée à faire la démonstration qu’elle aurait pu être reclassée sur un emploi en télétravail.
PLACER LE SALARIÉ EN TÉLÉTRAVAIL
Elle s’est évertuée à mettre en avant que le système informatique de l’entreprise et le type de poste se prêtaient au télétravail et produisit des extraits de presse mentionnant que des milliers de commandes étaient gérées à distance par la pharmacie fréquentée par plus de 6 000 clients par jour. Elle a ajouté que l’entreprise se présentait comme « leader de la pharmacie et de la parapharmacie », qu’elle comptait plus de 130 salariés, qu’elle animait des réseaux, négociait pour le compte et au profit de ses adhérents, auprès des laboratoires et grossistes et agissait comme intermédiaire en France et dans tous pays. De son côté, l’employeur ne produisit pas la moindre pièce, se bornant à affirmer que le télétravail au sein de l’entreprise était impossible, du fait de la manipulation nécessaire d’une quantité importante de documents dans le cadre de fonctions partagées avec d’autres salariés. Il crut compter sur le soutien de ses délégués du personnel qui l’avaient rejoint sur l’impossibilité de reclasser la salariée et sur l’inadaptation du télétravail aux fonctions de cette dernière.
Défense inefficace... Convaincue par les affirmations et pièces de la salariée tendant à démontrer que le télétravail au sein l’entreprise aurait pu être envisageable, la Cour d’appel de Paris lui a donné raison. Les juges ont statué que l’employeur ne démontrait pas avoir tenté la mise en oeuvre du recours au télétravail et avoir sérieusement essayé de le mettre en place ou s’être trouvé dans l’impossibilité technique de le faire. C’est une cruelle vérité à retenir. Un employeur ne peut se contenter d’affirmer devant les tribunaux. Il doit faire démonstration ce qu’il affirme par la production de pièces. L’employeur aurait-il pu se défendre en écartant les indications de la médecine du travail ? Non nous répondent les juges. Les préconisations du médecin du travail s’imposent à l’employeur, qui ne peut pas passer outre (Cass. soc. 23-9-2009 n° 08- 42.629).