Dans le quartier de l’Horloge, près de la fontaine Cadet-Roussel ou sur la place des Cordeliers, il n’est pas rare qu’Abdelaziz Hajji surprenne un sourire bienveillant. Depuis qu’en décembre dernier, les lecteurs de L’Yonne républicaine l’ont élu à une écrasante majorité, « Icaunais de l’année » et que son action a trouvé écho jusque dans les rédactions parisiennes, l’enfant de Rive droite ne passe pas inaperçu en centre-ville. Une célébrité qui l’amuse autant qu’elle semble l’intimider.
Aujourd’hui, la page Facebook de son association est suivie par près de 5.000 personnes et il reçoit chaque jour plusieurs dizaines de messages de remerciements, d’encouragements ou de propositions de dons. « Il y a ici un microclimat de générosité et de solidarité qui n’existe pas toujours dans les grandes métropoles. Je suis en contact avec des présidents d’associations d’autres villes qui déplorent l’indifférence et l’individualisme dont font preuve les habitants », souligne le brancardier de 45 ans.
Des gestes d’humanité qui, à chaque fois, le touchent. Comme ceux des traiteurs, des restaurateurs et des commerçants qui l’appellent spontanément pour lui offrir des repas que les bénévoles vont distribuer le soir même. Ou encore cette dame qui, un jour, règle en toute discrétion son plein de carburant en signe de reconnaissance.
En 2017, pourtant, quand « Abdel » rejoint ses amis Radouan et Imad dans le collectif « Identifier les SDF pour leur venir en aide Auxerre et alentours », le mouvement ne compte que quelques dizaines de followers. « Notre volonté était de distribuer des sandwichs et du café aux personnes qui vivaient dans la rue mais très vite, nous avons souhaité leur offrir un vrai repas avec une entrée, un plat et un dessert car nous nous sommes rendu compte que c’était souvent la seule fois de la journée où elle mangeait. »
Une habitante s’est alors proposée de cuisiner pour eux et la magie des réseaux sociaux a fait le reste. À présent, à la manière d’un chef d’orchestre, le président de l’association nouvellement créée établit les plannings pour sa quinzaine de familles bénévoles et coordonne les maraudes avec le Secours catholique et l’association Saint-Vincent-de-Paul.
Quatre fois par semaine, ils assurent la distribution de repas chauds à une vingtaine de démunis en ville, mais aussi dans les garages sous-terrains ou dans les bois de la périphérie de l’agglomération icaunaise. « Ils font tous un peu partie de notre famille et le temps passé à échanger avec eux est aussi important que l’aide que nous leur apportons. Nous ne jugeons pas, ne faisons aucune distinction selon les croyances des uns et les origines des autres. »
« Nous le faisons simplement avec humanité. »
« Auxerrevice des démunis » ne s’arrête pas là. Lorsqu’une famille en grande précarité a besoin de vêtements, de jouets pour Noël ou de meubles en urgence, le cercle vertueux se met en branle et répond chaque fois à l’appel. Des déceptions, Abdelaziz Hajji en a pourtant rencontré comme ce jeune homme qu’il a retrouvé à la rue trois mois après lui avoir trouvé un emploi.
Mais il préfère retenir les belles histoires et elles sont nombreuses… Cette femme battue totalement démunie qui a refait sa vie après deux ans de solidarité indéfectible ou encore ce retraité qui dormait dans un box à même le sol et a rencontré l’amour. « Il vit aujourd’hui aux Sables-d’Olonne et m’appelle tous les jours, sauf en ce moment, parce qu’il est parti en voyage en Thaïlande avec sa compagne. »
Enfant du quartier
Avec ses trois frères et sœurs, Abdelaziz Hajji a grandi dans le quartier des Plattes « à une époque où les jeunes respectaient les plus anciens » et où « il existait une grande mixité sociale ». D’origine marocaine, il vient d’un milieu ouvrier à l’éducation rigoureuse. « Le sens du partage, de l’entraide et de la générosité était la règle ». Fan inconditionnel des Chicago Bulls de Mickael Jordan, il passe son temps entre les « playgrounds » et les bancs de l’école. En bon élève, il s’imaginait dessinateur industriel ou architecte mais comprend, rapidement, que le corps enseignant le destine plutôt à une tout autre voie. Il se retrouve à suivre une filière qu’il n’avait pas choisie.
Après avoir travaillé comme son père « en usine » pendant huit ans, il devient brancardier au centre hospitalier d’Auxerre. Au service des autres. Dès son adolescence, déjà, il était touché par ces personnes qui faisaient la manche dans la rue parce qu’elles avaient faim. « Je leur achetais un sandwich à la boulangerie et je m’asseyais pour discuter avec eux s’ils en éprouvaient l’envie. » Sa première maraude, il s’en souvient comme si c’était hier.
La brutalité du monde de la nuit, la détresse, le froid restent gravés dans la mémoire du, pourtant, solide gaillard. « Je suis rentré chez moi et je l’avoue humblement, j’ai pleuré et je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Je ne pouvais plus rester sans rien faire. »
Tandis que le collectif s’est transformé en association, ce père de deux enfants espère maintenant trouver un local avant l’hiver pour pouvoir entreposer les vêtements que les personnes leur offrent généreusement. Il souhaiterait pouvoir, par ailleurs, suivre une formation pour faciliter son contact avec certaines personnes qui, parfois, sont en grande détresse psychologique, ainsi que partager avec la nouvelle génération cet élan de solidarité qui s’est formée autour de lui.
Plusieurs écoles du département l’ont déjà sollicité pour expliquer l’action de l’association. Des rendez-vous auxquels il répond bien volontiers. « Avec leurs mots d’enfant, ils traduisent souvent ce que pensent les parents mais au fil de nos échanges, les a priori tombent et leur regard sur les SDF change », se réjouit-il.
Selon les chiffres de la Fondation Abbé-Pierre, le nombre de sans-abri en France est de 300.000. Il aurait doublé lors des cinq dernières années. Le combat d’Abdelaziz Hajji ne fait que commencer…