
Quand elle évoque son enfance en Argentine, Ale Casanovas sourit. Elle parle d’un univers simple, parfois modeste, mais nourri de gestes et d’objets. « J’avais un grand-père ébéniste, un oncle tourneur, une tante qui travaillait dans une cristallerie. Ce n’était pas une dynastie d’artisans au sens classique, mais j’ai toujours vu des mains à l’oeuvre. J’ai grandi entourée d’ateliers et de belles choses, même si nous n’étions pas riches. » Cette proximité avec la matière, le bois ou le cristal, la sensibilise à l’importance des savoir-faire. Mais au moment des études, c’est vers l’architecture qu’elle se tourne. « L’architecture m’a donné des structures mentales. Savoir imaginer un espace, anticiper la circulation de la lumière, comprendre les formes. » Elle exerce comme indépendante, mais le destin la conduit ailleurs.
À Barcelone d’abord, puis en Bourgogne en 2004. « Je n’avais jamais envisagé de venir en France. C’est par des rencontres personnelles que j’ai franchi le pas. » Trois ans plus tard, elle installe sa première boutique à Toucy. Un espace minuscule, vingt mètres carrés à peine, où elle expose ses premières pièces. « C’était peu, mais c’était déjà un lieu à moi. » Rapidement, elle comprend qu’il lui faut un ancrage plus solide. « Je faisais beaucoup de salons, mais un luminaire, on ne l’achète pas impulsivement. Il faut le réfléchir. Alors j’ai choisi d’ouvrir un lieu permanent. » En 2019, elle emménage dans une boutique plus vaste, qui deviendra un atelier-galerie.
Papier, métal et lumière
En entrant dans son atelier, on a l’impression de pénétrer un ciel miniature. Les suspensions flottent comme des nuages, les lampes évoquent des cocons, des volières ou des constellations. Chaque pièce semble raconter une histoire. « Tout commence par un dessin, explique Ale. Les idées sont comme des amibes. Il faut les attraper, leur donner une forme. » Sur son bureau, carnets remplis de croquis, lignes hésitantes qui deviennent plans précis. « Ensuite, il faut confronter cette idée au réel : combien de temps je peux y passer, quel coût, quelle utilité. C’est toujours un va-et-vient entre le rêve et la réalité. »
« J’avais un grand-père ébéniste, un oncle tourneur, une tante qui travaillait dans une cristallerie... j’ai toujours vu des mains à l’oeuvre. »
Deux techniques guident son geste. Le papier, travaillé en couches fines, parfois enrichi de végétaux, qui crée des effets de transparence et de texture. « J’utilise une technique de papier mâché, mais en strates. Cela donne un relief unique, presque organique. » Le métal ensuite, soudé dans l’atelier, qui devient ossature et permet toutes les libertés de formes. « Le métal, c’est la liberté. Le papier, c’est la douceur. » Chaque luminaire est pensé pour être plus qu’un objet décoratif. « Je veux que ce soit beau, mais aussi utile. Mes lampes éclairent vraiment. J’ajoute plusieurs douilles, j’utilise des LED performantes. L’art doit servir. »
La persévérance comme fil conducteur
Ale Casanovas refuse l’idée d’une carrière fulgurante. « Ce n’est pas une ascension, c’est de la persévérance. Rien ne se fait en un jour. Les start-up qui récoltent des millions, c’est une exception. Moi, je travaille, j’avance, et je continue. » Cette constance finit par être reconnue. En janvier 2025, elle reçoit le 2e prix Artisan Créateur de Lumière au salon Maison & Objet pour son lustre Onirique, une pièce monumentale mêlant métal soudé et papier translucide. « C’est un prix qui salue la technique. Ça fait du bien, parce que je travaille seule. Je n’ai pas d’employés, je ne veux pas grossir. Mon ambition, c’est de rester libre. »
Son rapport au métier est marqué par cette fidélité aux gestes. « Je ne veux pas déléguer. Chaque lampe doit passer par mes mains. » Cette indépendance est aussi un choix de vie. « Mon but n’est pas de bâtir une entreprise prospère, mais de pouvoir vivre de ce que je crée. » Elle s’engage aussi pour les autres. Membre d’Ateliers d’Art de France depuis 2005, elle en devient déléguée régionale en 2019. « Je suis militante. Les métiers d’art sont admirés en paroles, mais rarement payés à leur juste valeur. Alors je me bats. »
Le collectif comme ancrage
Si l’atelier d’Ale Casanovas est devenu une adresse incontournable de Toucy, c’est aussi parce qu’il s’inscrit dans une dynamique collective. En 2018, elle co-fonde l’association Quartier des créateurs avec d’autres artisans. « L’idée, explique-t-elle, c’était de mutualiser nos forces. Il existe très peu de galeries dédiées aux métiers d’art. Nous avons voulu créer un lieu qui mette en avant des professionnels, et pas seulement des amateurs. » Aujourd’hui, l’association rassemble entre 25 et 30 membres, venus de la Puisaye mais aussi de territoires voisins. Le principe est simple, tous les trois mois, les vitrines changent, de nouveaux objets apparaissent, et le public découvre une autre facette des métiers d’art. « Je suis la seule à être installée à l’année, mais chaque saison, une vingtaine de créateurs exposent leurs pièces. Cela donne un rythme vivant et permet de montrer la diversité des savoir-faire. »
Le lieu accueille aussi des événements. Vernissages, rencontres, mais aussi moments musicaux. « On a un piano, et il nous arrive d’inviter des musiciens. L’an dernier, deux pianistes sont venus jouer à quatre mains. C’était gratuit, juste pour créer du lien, pour donner à voir que l’artisanat peut dialoguer avec d’autres formes artistiques. » Pour Ale Casanovas, cette dimension collective est « essentielle ». Elle incarne son engagement en faveur des métiers d’art.