Alexandra de Prinsac
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Alexandra de Prinsac

La ville est sa toile

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Alexandra de Prinsac avec son personnage fétiche, une femme aux cheveux noirs. « Cette femme, c’est nous toutes pour amener un peu de parité dans la rue. » .(Crédits : JDP)

« Après la primaire, je me suis embêtée parce qu’il n’y avait plus de dessin », sourit Alexandra de Prinsac. Or celui-ci occupe une place majeure dans sa vie puisque l’artiste utilise la ville comme toile vierge. Avant de s’apparenter à une street-artiste, cette élégante cinquantenaire aux cheveux clairs a débuté son parcours dans le commerce à Paris après un BTS Force de vente obtenu au lycée Montchapet. « J’ai toujours aimé les fringues, les acheter et les revendre. Je faisais du Vinted avant l’heure mais j’avais l’ambition de travailler avec Jean-Paul Gauthier ! » Malheureusement, le projet restera un rêve tandis qu’elle découvre que la vente ne lui correspond pas. « J’aurais aimé faire les Beaux-Arts mais à 25 ans, je ne me voyais pas repartir pour cinq ans d’études. »

Régulièrement un crayon en main, elle s’adonne au dessin par passion, alors quand elle entend parler du squat de la rue Rivoli à Paris, elle part à la rencontre de cet immeuble occupé où cohabitent une trentaine d’artistes. Le lieu profite d’une réputation qui attire 40.000 visiteurs par an. Pendant deux ans et demi, elle y travaille, dans la cuisine de 5 m² qu’on lui a attribuée en guise d’atelier. « Je me suis mise à la peinture et j’ai gardé le réflexe du manque d’espace en travaillant accroupie. » En parallèle, pour subvenir à ses besoins, Alexandra de Prinsac prend un emploi d’assistante commerciale dans une agence de voyage.

Se consacrer à son art

À Paris, l’artiste commence à vendre ses oeuvres. « Je ne voulais pas être une peintre du dimanche, donc je devais m’y consacrer pleinement. Je me souviens de mes parents catastrophés quand ils sont venus me voir au squat et que je leur ai dit que je me laissais dix ans pour vivre de mon art. » En attendant d’y parvenir, elle commence à peindre dans les rues de la capitale.

« Je ne dégrade pas puisque c’est recouvert. J’inscris un message avec énergie et bienveillance dans les murs pour les futurs résidents. »

Soucieuse de ne pas dégrader la ville qui accueille ses oeuvres, elle s’applique à ne dessiner que sur des magasins en travaux, des cartons ou encore des déchets urbains, sa préférence allant aux matelas laissés à même le sol. « Je ne me sens pas street-artiste mais plutôt comme une poète urbaine. Ma quête vise à laisser un message sans braver l’interdit. » En 2001, elle quitte le squat, trop peuplé et trop bruyant, et commence à peindre de petites cartes qu’elle vend sur le pont des Arts ou dans les restaurants, faisant montre d’un certain bagout. Au RMI, elle part dans l’Yonne pour construire sa vie de famille et installe son atelier dans sa maison. Peu à peu, elle se construit une clientèle mais en novembre 2020, une partie de la maison et son atelier partent en cendres et en eau. Alexandra de Prinsac y voit le signe qu’elle attendait pour revenir à Dijon.

S’approprier Dijon

(Crédits : JDP)

« J’ai envisagé de squatter car les locaux coûtaient trop cher. J’ai sillonné Dijon et j’ai vu des maisons abandonnées en démolition. » Son besoin de s’exprimer l’amène à s’approprier ces logements délaissés avec l’envie d’honorer la mémoire de ces murs qui ont accueilli des familles et des moments de vie. « Je m’amuse à trouver comment pénétrer dans ces lieux, comme une petite souris, et à évoluer au milieu des gravats », s’amuse la svelte cinquantenaire. Elle renonce au squat, préférant chercher de nouvelles toiles urbaines. Un immeuble en construction en attente d’être enduit lui ouvre de nouveaux horizons. « Je ne dégrade pas puisque c’est recouvert. J’inscris un message avec énergie et bienveillance dans les murs pour les futurs résidents. »

Le besoin de place se fait sentir. Elle s’installe dans une grange à Chenôve afin d’honorer ses commandes icaunaises. Pensant qu’elle n’a que peu de visibilité à Dijon, elle est agréablement surprise quand, lors d’une exposition à la Ferronnerie, le public reconnait son personnage fétiche, une femme aux cheveux noirs. « Cette femme, c’est nous toutes pour amener un peu de parité dans la rue. » Le bouche-à-oreille du milieu lui apprend aussi que les autres street-artistes respectent son travail. « Ce respect entre artistes fait que je ne suis pas recouverte par d’autres. » L’audacieuse Alexandra de Prinsac choisit les lieux qui lui provoquent un déclic et accompagne ses dessins d’une phrase. Elle agit souvent en plein jour, musique électro vissée sur les oreilles, rassurée face au risque d’accident dans des lieux abandonnés ou des chantiers, mais aussi par rapport à son statut de femme seule.

Des envies plein les pinceaux

De plus en plus reconnue, Alexandra de Prinsac expose. D’abord dans son ancien squat parisien jusqu’au 14 septembre, mais aussi à la galerie l’Escale à Talant jusqu’au 27 septembre, avec des portraits d’anonymes au grand coeur. « J’adorerais réaliser une oeuvre grand format suspendue à une grue », rêve-t-elle. Elle s’imagine aussi prendre possession d’un espace dans la ville en forme de performance. Mais surtout, alors que son atelier de Chenôve a lui aussi brûlé en mars dernier, emportant dans ses fumées 58 oeuvres, 25 ans de travail et ses premiers dessins ; elle cherche un lieu pour exposer ce qu’elle a pu sauver des flammes avec cette envie d’encourager à la résilience et de transmettre un message d’espoir. Depuis quelques semaines, elle a trouvé un nouveau toit pour abriter son art grâce à l’association Art A part, portée par des chefs d’entreprise dijonnais.