Alexandra Gévaudan et Laurent Muhlich
Invités / Entretiens

Alexandra Gévaudan et Laurent Muhlich

Fondus d’entrepreneuriat

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Photo de Alexandra Gévaudan et Laurent Muhlich
Dans l’open space de La Reine des Prés, l’espace de coworking. À Saint-Victor-sur-Ouche, Alexandra Gevaudan et Laurent Muhlich ont créé un lieu unique, à la fois cabane dans les arbres, cocon bobo chic baigné de lumière et décoré avec goût et place de village réinventée, où les rencontres amicales et professionnelles se font naturellement. (Crédit : JDP.)

C’est avec elle que l’on a pris rendez-vous, c’est ensemble qu’ils me reçoivent tant ces deux-là se complètent et s’électrisent. Lui, Géo Trouvetout bricoleur, 10.000 idées à la minute et débit de mitraillette ; elle, calme, posée et dont on sent la détermination sans faille. Et c’est dans un lieu rêvé à deux et construit de leurs mains qu’ils racontent leur dernière entreprise : le rachat de l’activité signalétique de la fonderie Lauterbach, connue pour ses emblématiques flèches de laiton frappées de la chouette sur le parcours du même nom. Mais aussi celles du circuit du chat perché de Dole, le Cadet Rousselle à Auxerre, d’autres flèches personnalisées à Avallon, Metz, Mâcon, Chalon-sur-Saône, un Napoléon en Corse... « Maintenant on peut dire que c’est nous !, se marre Laurent. Et quand on se balade quelque part et qu’il n’y en a pas, ça nous donne des idées. On va pouvoir dire : “Monsieur le maire, on a trouvé votre ville très belle, mais il lui manque quelque chose” et on va lui envoyer une flèche personnalisée pour lui donner envie. En plus ça se décline en produits dérivés, on peut en vendre à l’Office de tourisme... ». « À Dijon ce sont leurs meilleures ventes », complète Alexandra.

Deux parcours qui se complètent

Cette acquisition est finalement une suite logique du parcours de ce couple atypique. Laurent Muhlich a eu mille vies avant de se poser à Saint-Victor-sur-Ouche où il avait de la famille. En 2002 déjà, il reprend Grav Déco, un nom bien connu dans le monde de la gravure industrielle mais qu’il façonne à sa main. Il est aujourd’hui une sorte « d’urgentiste de la signalétique », capable de faire ce que les autres ne font pas en termes de volumes (de très petites séries), d’ultra rapidité d’exécution et de qualité, n’hésitant pas à mettre la main à la pâte pour bidouiller ses machines et finir les pièces manuellement si nécessaire : « J’ai des coupures dans les doigts, mes mains sont sales et c’est ce que j’aime bien ». En 2005, lassé d’être locataire, il construit ce qui deviendra son atelier à un jet du canal. Il ne le sait pas encore, mais ce lieu va devenir l’épicentre d’une aventure...

Alexandra Gévaudan a, elle, travaillé pendant 17 ans à l’office de tourisme de Montbard, avant un passage par l’immobilier dans son domaine, la communication, pour une société américaine, ce qui lui permet d’engranger des compétences en gestion. Puis retour en office de tourisme à Venarey-lès-Laumes, pour la société publique locale qui gère aussi la salle de spectacles. Sauf que l’envie de faire les choses à sa manière la taraude depuis un moment. En 2023, elle démissionne pour se lancer dans le grand bain de l’entreprise. Ce sera La Reine des Prés, juste en face de l’atelier de Laurent. Un coworking à la campagne, mais pas que...

Un projet local et humain

2023 signe en effet le lancement des travaux du bâtiment qui accueillera l’entreprise d’Alexandra Gévaudan, mais aussi trois cellules commerciales de 150 m2, dimensionnées pour des artisans. L’idée est à la fois de rentabiliser le projet, mais aussi de poser les bases d’un village artisanal et lieu de rencontres avec d’autres professionnels qui partagent leurs valeurs et souhaitent redynamiser Saint-Victor-sur-Ouche. Laurent Muhlich, avec la collaboration du charpentier voisin, va pour ainsi dire tout construire de ses mains, sans la moindre aide financière. « Lorsqu’on a étudié les dossiers pour obtenir des subventions, nous avons eu l’impression de ne pas rentrer dans leurs cases, raconte Alexandra. Certains voulaient qu’on en fasse un tiers-lieu, mais ce n’était pas notre idée du point de vue de la gouvernance ; d’autres estimaient que c’était trop loin de Dijon. Nous avons estimé, nous, que l’on dépendrait de trop de gens, que l’on perdrait du temps... » « ... et que ça nous dévierait de notre projet initial », résume Laurent.

« Il n’y a pas de séparation entre le pro et le perso... et du coup, il faut que ce soit très cadré ! »

C’est donc leurs fonds propres (600.000 € d’investissement) qu’ils vont engager via un prêt. « Le banquier est un allié là-dedans, analyse Laurent Muhlich. Mais j’ai une assise, 20 ans que j’ai fait mes preuves ». Le bâtiment est aujourd’hui loué par un aménageur de vans pour les professionnels, la seconde cellule va accueillir dès juin un boulanger artisanal, François, animé par la même envie d’entreprendre et de partage qu’Alexandra et Laurent. La troisième cellule sera libérée dans un an et cherche ardemment un locataire, avis aux amateurs. « Venez nous voir et on va discuter, voir si ça marche », s’amuse Alexandra. À La Reine des Prés, cela « marche » en tous cas : les coworkers (une société de communication, un agent immobilier, un monteur vidéo...) s’entraident, travaillent ensemble, le charpentier vient boire son café, on refait le monde, le livreur de pizzas vient régulièrement animer la place. Le couple songe aussi à organiser des apéros avec les entreprises alentours, histoire que les gens se connaissent, et pourquoi pas, développent des synergies. Un peu comme ce graveur et cette experte en communication qui ont su traduire leurs rêves et leurs envies communes en entreprise et, chose pas si facile, arrivent à fédérer autour d’eux. « Les gens ont accueilli notre projet de manière positive, s’enthousiasme Laurent. Les critiques, on ne les entend pas. Les gens se disent qu’on fait bouger les choses par plaisir ». Et si c’était ça, la recette d’un projet qui fonctionne ?