Alexis Madelin
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Alexis Madelin

Fervent actif.

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Dans sa brasserie chablisienne, Alexis Madelin a souhaité que les visiteurs puissent avoir vue sur la cuverie pour plus d’authenticité. « L’envie de montrer la production n’est pas forcément une démarche bourguignonne », avoue-t-il néanmoins. (Crédit : JDP)

Faut-il y voir le signe malicieux de dieux courroucés ? « Cela aurait dû être mes premières vendanges mais les conditions climatiques et le mildiou en ont décidé autrement… », explique Alexis Madelin qui, sans jamais se départir de son éternel sourire, a dû faire contre mauvaise fortune bon coeur et remettre les bacchanales à l’an prochain. Depuis août dernier, le trentenaire a, en effet, ajouté une nouvelle corde à son arc d’entrepreneur en prenant la succession parentale à la tête du domaine ancestral. « Dans ma famille maternelle, nous cultivons la vigne depuis le XVIe siècle. » Aux huit ha classés en AOC Bourgogne côte d’Auxerre blanc, rouge et Saint-Bris répartis sur les communes de Saint-Bris-le-Vineux et Augy, viennent s’ajouter 12 ha de vergers sur lesquels sont cultivées dix variétés de cerise, dont la star locale, la marmotte, un bigarreau découverte non loin de chez lui, à Jussy, lors de la crise phylloxérique. Mais sa passion première reste le vin. « L’idée a toujours trotté dans un coin de ma tête de reprendre le domaine pour pouvoir ensuite le transmettre à mon tour, à mes enfants. J’ai d’ailleurs fait toutes mes études en ce sens. »

En 2016, pourtant, il commet l’impensable - d’aucuns diront l’irréparable - quand il ouvre la brasserie Maddam à Chablis, au coeur du Saint des Saints. « C’est vrai que cela a fait beaucoup parler et que certains, huit ans après, n’ont toujours pas poussé la porte de l’établissement », dit-il en riant. Une forfaiture originellement accomplie en duo mais qu’il assume désormais seul. « Le projet est né à des centaines de kilomètres de là, en visitant une petite exploitation dans les Alpes, mais je n’ai jamais imaginé la créer ailleurs qu’à Chablis. Tout est réuni ici pour élaborer des bières de qualité : l’échange avec les autres à travers le flux de touristes, la culture du goût, le partage, la gastronomie… C’était l’idée que je me faisais d’un produit d’exception. D’autant plus qu’il existe déjà toutes les infrastructures, les magasins et les transporteurs nécessaires à l’activité brassicole. L’élaboration d’un vin et la création d’une bière ont beaucoup de similitude. On y parle de moût, d’assiduité, de fermentation… La différence est que notre matière première n’est pas le raisin mais la céréale, l’orge. »

« J’ai toujours été entouré d’entrepreneurs depuis ma plus tendre enfance que ce soit dans le domaine du vin ou non. »

Aujourd’hui, ses « bières fines de Chablis » - 10 brassins traditionnels, dont trois élevés en fût « à la manière de la tradition vinicole » - ont imposé leur élégance chez les amateurs d’authenticité et de saveur. Croix Duché, Jardins du prieuré ou encore Rives du Serein, chacune d’entre elles porte un nom évocateur de l’attachement d’Alexis Madelin à son terroir, que ce féru d’Histoire et de patrimoine aime tant conter. L’emblème de la brasserie - un fer à cheval stylisé - renvoie d’ailleurs directement à la légende chablisienne qui veut que « Jeanne d’Arc ait cloué le fer de son cheval sur la porte de la collégiale Saint-Martin pour assurer protection et prospérité aux habitants de la cité ». L’essentiel réside néanmoins ailleurs, à l’intérieur du flacon. Le voeu d’imaginer une bière à la hauteur de la renommée de la ville a semble-t-il déjà été exaucé. Huit mois seulement après la création de Maddam, sa Porte Romane s’est vue auréolée du titre de France Best Pale (Meilleure blonde de France) au prestigieux concours international de Londres. Une consécration en forme de délicieux repentir.

Enfant de la balle

Après un cursus intégralement tourné vers la vigne et le vin - un bac et un BTSA au lycée viticole de Beaune, puis un Bachelor marketing et commerce international des vins du terroir à l’École supérieure des agricultures d’Angers (Maine-et-Loire) - Alexis Madelin connaît à 22 ans sa première expérience professionnelle, en tant qu’assistant de direction d’un grand domaine de Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse). « Au bout d’un an, j’ai donné ma démission pour partir en Australie. J’avais envie de découvrir de nouvelles techniques, de nouveaux matériels, une nouvelle façon de faire. » Direction : Pooles Rock à Pokolbin dans la Hunter Valley et ses vignobles à perte de vue. « À mon retour, je souhaitais repartir au Québec mais j’avais promis à ma mère de terminer mes études. » Il intègre alors l’Ifag, et le domaine Brocard en alternance, afin de décrocher un mastère Manager de commerce et de centre de profits. Une suite logique.

« J’ai toujours été entouré d’entrepreneurs depuis ma plus tendre enfance que ce soit dans le domaine du vin ou non. Cela a été une démarche assez naturelle. » Et déjà bien éprouvée…
Outre la création de la brasserie artisanale Maddam - 660.000 € de chiffre d’affaires et 2.000 hl de bière produits par an - et la reprise du domaine viticole et fruiticole familial, ce père de trois enfants a imaginé, avec son épouse, les Bastides d’Édouard, des gîtes touristiques et des chambres d’hôtes de charme situés à Maligny, à Mailly-le-Château et à Saint-Bris-le-Vineux, son village. « Avec Myriam, nous sommes complémentaires. Elle s’occupe de l’agencement, de l’intendance et de la gestion. Je prends en charge la commercialisation et les réservations. »

Il s’est, ensuite, associé avec des amis pour élaborer une gamme d’alcools et de spiritueux - gin, ratafia, whisky - estampillée Distillerie de Chablis. « Nous prenons plaisir à nous retrouver tous ensemble pour confronter nos opinions sur tel ou tel produit. » En partenariat avec les chambres consulaires et le conseil départemental, enfin, ce « serial entrepreneur » a lancé la Route des bières de l’Yonne, un plan stratégique global qui réunit plusieurs acteurs de la filière brassicole locale dans l’optique de leur donner plus de visibilité, à l’instar de la Route touristique des vignobles de l’Yonne. « Je ne suis pas casanier, plutôt aventurier », souligne-t-il comme pour justifier son hyperactivité. Mais Alexis Madelin annonce la couleur : « Il me reste encore d’autres projets qui me tiennent à coeur… »