Annie Robin ne fait pas partie de ces astrophysiciennes tombées dans une marmite d’étoiles quand elles étaient petites. Sa première lunette pour observer le ciel, elle ne la sort pas dans le jardin familial « mes parents n’avaient pas cette culture », mais la découvre plutôt au détour d’une invitation, d’un copain étudiant, à rejoindre son club d’astronomie amateur. Si de ce premier contact, elle ressort « très intéressée », la cristallisation de son envie de jouer “les paparazzi” du ciel, scrutant les moindres faits et gestes des stars de la Voie lactée, arrive plus tard, alors que la jeune femme, qui s’est engagée dans des études de physique à l’université d’Angers, doit faire un choix de spécialisation : « J’hésitais alors entre deux infinis : celui des particules et celui de l’univers. Et c’est lors d’un stage au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) que j’ai compris que je ne voulais pas passer ma vie dans des couloirs en sous-sols de différents accélérateurs de particules. »
La voie des étoiles
C’est ainsi qu’elle fait le choix de la lumière et des étoiles en rejoignant l’observatoire de Meudon pour une première année d’étude. Puis est venu le temps de la thèse « Il faut savoir que les bourses de thèses sont réparties sur l’ensemble du territoire. C’est ainsi que l’on m’a présenté un sujet sur Besançon où il était question de développer un modèle numérique de synthèse de notre galaxie afin de mieux comprendre les processus physiques de naissance et de développement des différents astres présents. C’était un sujet exaltant qui nécessitait de se documenter sur un grand nombre de choses différentes, de reconstituer comme un puzzle ».
Un puzzle dont elle assemblera les pièces avec patience et minutie, n’ayant de cesse d’approfondir son sujet tout au long de sa carrière. Une constance aujourd’hui récompensée par la médaille François-Dominique Arago de l’Académie des Sciences. Cette distinction créée en 1887 et décernée tous les quatre ans, distingue un ou une scientifique qui, par l’originalité et la qualité de son parcours professionnel, contribue de manière significative au progrès de la connaissance et aux avancées de la recherche scientifique en astronomie.
Annie Robin s’est illustrée par ses travaux sur l’histoire de la Voie lactée, ses populations stellaires, ainsi que ses autres composantes, notamment le milieu interstellaire et la matière noire. « Si l’on regarde les étoiles dans le ciel, on constate qu’elles sont de tailles et de couleurs différentes (composition chimique), qu’elles sont plus ou moins vieilles, qu’elles sont distribuées d’une certaine manière, qu’elles ont des mouvements spécifiques... Il y a aussi la question de la matière interstellaire, les gaz et les poussières qui interagissent avec les étoiles, qui elles-mêmes, après leur mort, nourrissent cette matière... c’est tout cela et bien plus encore que nous avons pris en compte pour la création d’un modèle de synthèse des populations stellaires de notre galaxie et de leur évolution dans le temps depuis la création de la Voie lactée », explique Annie Robin.
Cet outil de modélisation de notre galaxie a été jugé sans équivalent au monde par sa dimension très complète et extrêmement réaliste. Par sa capacité de prédiction statistique des étoiles dans une zone donnée de la Voie lactée, ce modèle permet de tester des hypothèses théoriques sur la formation de notre galaxie, ou d’estimer le nombre d’étoiles de la Voie lactée qui contaminent les observations d’amas stellaires ou de galaxies extérieures.
Une reconnaissance internationale
Le nombre de simulations à la demande des utilisateurs via le site web est de l’ordre de 2.000 chaque mois, par des chercheurs issus d’une trentaine de pays différents. Une des contributions la plus notable est sans doute celle préparatoire au lancement du satellite Gaïa par Soyouz, le 19 décembre 2013. Objectif de cette opération initiée par l’Agence spatiale européenne (ESA) : livrer la photographie couleur, dynamique et tridimensionnelle la plus détaillée jamais réalisée de la Voie lactée, qui compte au bas mot 160 milliards d’étoiles.
« Je me suis toujours intéressée au monde en général. Enfant, mon oncle disait de moi que je n’arrêtais pas de poser des questions »
C’est dans ce cadre qu’Annie Robin - ainsi que deux autres astronomes francs-comtois (Céline Reylé et Jean-Marc Petit) - ont rejoint, pour le projet Gaïa, le consortium européen DPAC (Data Processing and Analysis Consortium) réunissant 450 scientifiques, issus de 20 pays. « Avant le lancement du satellite, les organisateurs de la mission avaient besoin de simulations virtuelles pour développer en amont les logiciels d’analyses, de classifications nécessaires au traitement de toutes les données inédites que collecteraient Gaïa, mais aussi pour anticiper les découvertes inattendues ».
Depuis, ce modèle est devenu un outil précieux pour les astronomes du monde entier, facilitant l’interprétation des données observationnelles et guidant de nouvelles recherches. Les missions spatiales Plato, Euclid et les télescopes au sol (LSST, PanSTARRS) ont recours à cet outil. Dans cette quête sans fin de la compréhension des moindres rouages de notre galaxie, Annie Robin et son équipe « car cela reste éminemment un travail d’équipe », tient à préciser la scientifique, s’est également intéressée à la poussière interstellaire aboutissant à la première carte de l’extinction interstellaire permettant notamment de qualifier l’épaisseur du nuage de poussière qui cache les étoiles de notre galaxie et tend à les faire rougir.
Elle s’est par ailleurs penchée sur la matière noire et a déterminé, qu’au sein de la Voie lactée, elle prenait la forme d’un halo et non d’un disque comme on le pensait jusqu’ici… « Je suis très honorée de recevoir ce prix qui traduit la reconnaissance de mon travail par la communauté scientifique », avoue celle qui confie que « l’étude de la complexité de l’univers apporte beaucoup d’humilité, mais aussi d’espoir et permet de relativiser les problèmes du quotidien »