Armelle Rion
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Armelle Rion

La terre dans le sang.

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Photo d'Armelle, Alice, Melissa et Nelly Rion
De gauche à droite : Armelle, Alice, Melissa et Nelly Rion. Les trois filles d’Armelle Rion travaillent avec leur mère, et prendront la suite de la conduite du domaine. (Crédit : Domaine Armelle et Bernard Rion.)

Avec 36 appellations dont Vosne-Romanée, Pernand-Vergelesses ou Chorey-lès-Beaune produites sur le domaine, Armelle a la mémoire millésimée. 1979, ses premières vendanges. Une cuvée sans appellation : « Cette année-là, il avait grêlé en juin. Je me suis retrouvée à faire mes premières vendanges avec des deuxièmes pousses à la Toussaint ».

À l’époque, c’est Marcel Rion qui dirige le domaine Rion Père & Fils. Le fils, Bernard, devient le mari d’Armelle en 1981. À deux, ils se passionnent pour le vin, mais aussi pour la truffe. Au début des années 1990, Marcel s’en va. Le domaine prend alors le nom d’Armelle et Bernard Rion.

S’inspirer d’hier…

Trente ans plus tard, Armelle et ses trois filles Melissa - chargée du développement œnotouristique - Alice qui vinifie et Nelly chargée de la logistique, sont à la tête du domaine devenu Domaine Bernard Rion, tout simplement. Bernard, jeune retraité, continue lui de sillonner les chais. Un domaine 100% féminin, qui s’étend sur douze hectares répandus à travers les grands crus de la côte viticole : « Nous sommes presque des dinosaures. La particularité du domaine, c’est que nous avons des parcelles réparties dans plusieurs communes, comme les anciens ».

Comme les anciens aussi, avec le retour du cheval dans les vignes, des vendanges à la main. Jusqu’à il y a cinq ans, le domaine assurait aussi le bûcheronnage et la fabrication des piquets d’acacia : « Bernard est très amusé de voir le cheval revenir dans les vignes lui qui, au début des années 60 travaillait avec ses parents ».

Pour autant, si le travail n’a pas vraiment changé, l’organisation s’est adaptée : « Du temps de mon beau-père, le domaine s’étendait sur cinq hectares. On ne prenait pas plus que ce que l’on pouvait travailler. Avoir un ouvrier, c’était ne pas être capable de faire le travail soi-même. Aujourd’hui, nous avons des salariés. Notre rapport aux clients est aussi différent : la cave est ouverte et nous misons beaucoup sur l’œnotourisme. Nous ne sommes pas que des vendeurs, nous proposons une véritable découverte de nos vins ».

… pour construire aujourd’hui …

En quelques années, les vignerons sont aussi devenus des acteurs du tourisme. Armelle, de son côté, a toujours eu le béguin pour le commerce : « Ici la porte est toujours ouverte. A une époque, nous vendions 90% vers les USA. Aujourd’hui, l’export représente 50% de notre activité. Le reste est assuré en vente directe aux particuliers à la cave ».

Dans la cave - immense et remplie de tonneaux, Armelle vend aussi une autre de ses marottes : la truffe. « On a découvert la truffe avec mon mari dans les années 1984-1985. Nous avons d’ailleurs été les premiers importateurs de lagatto (chien truffier) en France. » Aujourd’hui, en parallèle d’une truffière de six hectares de noisetiers et de chênes, Armelle qui achète également et revend des truffes de Bourgogne ou du Périgord, est aujourd’hui une courtière en truffes reconnue chez les professionnels.

La vigne dans le sang

Le vin, dit-on, est le sang de la terre. Et ce sang, cette terre, c’est en revanche ce qui ne change pas. Alice, Melissa, Nelly sont toutes trois revenues au domaine après avoir pris des directions professionnelles différentes et repris des formations à Beaune. Pour Armelle, c’est une victoire pour la continuité du domaine créé en 1896 : « Nous pourrions tout vendre et vivre très confortablement, mais nous avons toujours voulu transmettre, tout pensé et réparti en trois… mais que nos trois filles reprennent avec nous, on ne l’avait pas imaginé ! Aujourd’hui, nous avons des petits-enfants et nous savons qu’il y aura une suite. »

Cette transmission « à l’ancienne », c’est simplement - et on l’oublie parfois - celle de l’essentiel : la terre :

« On ne peut pas faire ce métier si l’on n’aime pas la terre. C’est le départ de tout. »

« Il faut savoir être rural quand nous sommes dans les vignes et garder le contact. Urbain quand nous négocions avec des gens du monde entier, explique Armelle. Du bon raisin, c’est du bon vin. La vigne, c’est notre richesse ».

Pour Melissa, la cadette qui s’occupe de l’œnotourisme, c’est une façon de s’ancrer : « J’ai toujours travaillé autour du vin. On est attaché à nos terres, notre passé. Ce sont nos valeurs. Mais je ne suis revenue que parce que je pouvais apporter quelque chose de plus au domaine ».

Quid du réchauffement climatique ?

Alors se pose la question du siècle, celle du réchauffement climatique. Pour Armelle : « On sait avec le recul que le réchauffement climatique a commencé vers 1985. C’est à partir de ces années-là que nos vins on acquit une certaine régularité. Auparavant, les années étaient bien plus aléatoires ».

En revanche, sur l’avenir de la vigne, Armelle se dit « pas inquiète ». Les grêles, les tempêtes : « Il y en a toujours eu. Bien sûr, ça nous peine de voir le raisin détruit… Mais si on est angoissés par la météo, alors il ne faut pas faire ce métier. Les aléas climatiques ont toujours fait partie de la vie d’un vigneron, mais, précise-t-elle, ce qui fait notre force, c’est justement cette répartition de petites parcelles. Il n’y a aucune chance que toutes nos vignes soient touchées en même temps. C’est une leçon à tirer de nos anciens. Bernard a la mémoire des techniques anciennes et il a su les transmettre ».

Quant aux cépages plantés en Angleterre : « Nos pieds ont, pour les plus anciens, 120 ans. Le vin, ce n’est pas que du raisin, c’est un terroir. Et plus le climat se réchauffe, plus nos vins sont de qualité. Certes on vendange un peu plus tôt qu’il y a 40 ans. Mais la vigne évolue normalement. En ce moment, elle change de couleur. Les aléas climatiques, c’est une affaire de chaque année ».