Il ne cachait pas sa joie au soir de la 38e et ultime journée de championnat. En décernant, une à une, les médailles aux artisans de la remontée, les joueurs et l’ensemble du staff technique, sur la pelouse du stade de l’Abbé-Deschamps devant des supporters extatiques, Baptiste Malherbe savourait ces moments rares dans la carrière d’un dirigeant.
Celui dont les observateurs notent la naturelle discrétion, dans la lignée de ses prédécesseurs, s’est retrouvé, lui aussi, au centre des festivités attendues par tout un peuple. « Nous sommes avant tout un club de sport et nous nous devons de laisser la place médiatique aux joueurs et à l’entraîneur », soulignait le président-directeur général auxerrois quelques semaines auparavant.
« La direction est là pour apporter une vision, une stratégie globale. Nous sommes là pour être jugés sur les résultats, et pas seulement sportifs. Notre mission consiste à imaginer des infrastructures de haut niveau, à faire vivre notre histoire, à avoir des joueurs qui se sentent bien et des supporters qui sont fiers de porter nos couleurs. »
D’un point de vue « comptable », la saison a été en tout point réussie. Un an après une cruelle relégation dans l’antichambre du football professionnel, le « club du patro » a su rebondir de la plus belle des manières emmené par un coach, Christophe Pélissier, qui fait l’unanimité sur les rives de l’Yonne comme aucun depuis un certain Guy Roux, et une équipe tout aussi séduisante.
L’affluence a battu, quant à elle, tous les records avec quelque 10.000 abonnés, cinq rencontres à guichets fermés et une ferveur digne des grandes soirées européennes d’antan. Pas mal pour une ville qui, si elle vit au rythme des « Bleus et Blancs » depuis près d’un demi-siècle, ne se place qu’à la 233e place en nombre d’habitants. « Nous faisons figure d’irréductibles. Par le passé, le foot professionnel a souvent été porté par des “petits” clubs qui affichaient de belles performances. Nous sommes parmi les derniers survivants de cette époque, une anomalie à l’ère du football moderne en termes de puissance financière, d’infrastructures et de territoire. » Cette singularité, Baptiste Malherbe entend bien la cultiver à l’envi, comme un marqueur identitaire d’un « club bâti sur pierre mais qui jamais ne périt » pour affronter les cadors de la Ligue 1, la saison prochaine.
L’homme de confiance
À 43 ans, Baptiste Malherbe a consacré toute sa vie au foot et quasi exclusivement à l’AJ Auxerre. Hormis une courte « infidélité » d’une année avec le FC Lorient, le natif de Chartres (Eure-et-Loir) partage depuis son plus jeune âge une passion sans faille pour le club à la croix de Malte. « Je suis du même village que Benjamin Nivet qui était au centre de formation à Auxerre et je venais le voir jouer avec l’équipe de la réserve. »
S’il intègre, lui, le centre de formation du Stade Rennais, il comprend rapidement qu’il n’a pas l’aptitude physique pour une carrière sportive de haut niveau et poursuit des études dans le management du sport. « Je souhaitais participer à l’organisation des compétitions. Ce que j’aime par-dessus tout dans le sport, ce sont les émotions collectives. »
Après un mémoire de fin d’études sur l’exploitation du Stade Bollaert-Delelis au Racing Club de Lens (Pas-de-Calais), il prend en charge la communication des Forgerons de Gueugnon et tape ainsi dans l’oeil des dirigeants auxerrois de l’époque lors d’une rencontre, en 2006, entre les deux équipes bourguignonnes. En débarquant dans son club de coeur où son abnégation et sa force de travail sont très vite remarquées, le jeune manager gravit patiemment tous les échelons jusqu’au rachat en 2016 par l’industriel chinois, James Zhou.
« Ce n’est pas seulement 11 joueurs sur un terrain. Nous représentons 200 fiches de paie, soit 135 équivalents temps plein. Nous sommes le deuxième employeur privé de la ville. »
Alors que les esprits étriqués voient cette arrivée comme la fin d’une époque à jamais révolue, route de Vaux, Baptiste Malherbe incarne tout à la fois la continuité et une dynamique nouvelle. « James Zhou savait qu’il achetait un club à part, avec une histoire unique, basée sur la formation et l’attachement à son territoire. Sans révolutionner l’organisation en place, il a porté des projets d’avenir en faisant confiance à ceux qui partageaient sa vision. Cela a pris un peu de temps mais les résultats se font sentir aujourd’hui. » Une histoire retracée dans le parcours muséal « AJA Expérience », une expérience immersive unique en France inaugurée en mars dernier en présence de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra. Quant aux projets, ils ne manquent pas d’ambition.
Ancrage territorial
Si l’AJ Auxerre fait partie des équipes les plus populaires de France - selon un récent sondage de la Ligue de football professionnel (LFP), « 30 % des personnes intéressées par le football disent s’intéresser à l’AJA » -, que la moitié des personnes qui se rendent au stade ne sont pas originaires du département et qu’il existe une « hype » plus entrevue depuis l’époque Cissé-Kapo-Mexès, les dirigeants doivent faire face à une réalité socio-économique implacable.
« Comment dans une ville de 35.000 habitants au coeur d’une agglomération de 70.000 habitants et d’un département de 330.000, nous pouvons nous donner les moyens de rester durablement en Ligue 1 ? Nous devons imaginer un nouveau modèle économique. » Qui pourrait s’appuyer sur la création d’une plaine sportive inédite avec complexe d’hôtellerie-restauration, nouvelle boutique, salles de séminaires spacieuses et maison médicale. Objectif : « faire vivre » les infrastructures en dehors des jours de matchs pour s’approcher, à terme, des standards budgétaires des écuries de Ligue 1 se situant aux alentours de 75 millions d’euros.
Au-delà de la dimension sportive qui la classerait au rang d’institution anachronique, au même titre que Kaiserslautern en Allemagne ou Villareal en Espagne, à l’aune du foot business, l’AJA constitue un pilier économique essentiel à l’équilibre du territoire. « Ce n’est pas seulement 11 joueurs sur un terrain. Nous représentons 200 fiches de paie, soit 135 équivalents temps plein. Nous sommes le deuxième employeur privé de la ville », rappelle Baptiste Malherbe. C’est aussi une cinquantaine d’opérations caritatives dans le département chaque année, à travers la Fondation AJA, et des retombées substantielles sur tout un écosystème. Un enracinement profond. « Nous ne sommes que les garants de cette identité et nous ne faisons que passer le flambeau aux futures générations. »