Benjamin Déchelette.
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Benjamin Déchelette.

Charmeur de Cobras

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Benjamin Déchelette devant la GT 40, produite à l’époque par Henri Ford pour battre les Ferrari. La Cobra est la voiture la plus répliquée après celle de James Dean, une Porsche 550. (Crédit : JDP.)

C’est dans la discrète campagne tournugeoise, à Le Villars, que s’est installée l’entreprise Bourgogne Auto Classic, vendeur et authentificateur de bolides de rêve. « Vivons heureux, vivons cachés », entame le quinqua, souriant malgré la pluie et le froid qui embuent les lunettes.

C’est ici, depuis six ans, que sont stockées les voitures (essentiellement des répliques de Cobras et des GT 40) le temps de leur préparation. « Nous en avons déjà vendu une centaine », se félicite-t-il. Pour cet ancien professionnel de l’audiovisuel, l’aventure a débuté il y a quelques années, au retour d’une sortie aux champignons. Il aperçoit ce jour-là David Léger, pilote de chasse de l’armée française et passionné tout comme lui de vieilles voitures américaines. « J’ai vu une Corvette 1974 stationnée au bord de la route. Je me suis arrêté et j’ai engagé la conversation. Il m’a dit qu’il venait de refaire le moteur… ». Les belles histoires entrepreneuriales tiennent à peu de chose.

Pourquoi sont-elles si mythiques ?

Bourgogne Auto Classic n’est pas une usine : « On fait peu de véhicules, il faut déjà les trouver ! » C’est ce que Benjamin Déchelette s’attelle à faire, essentiellement aux États-Unis, un peu en Angleterre, grâce à sa maîtrise de la langue de Shakespeare et la complicité d’un réseau d’agents. Petit rappel pour les non-initiés : la Cobra est l’un des véhicules mythiques des années 60. Elle a été créée par Carroll Shelby, ex-pilote auto, vainqueur du Mans, qui en a fabriqué 1.002 unités, pas une de plus. Les authentiques se négocient à des tarifs qui dépassent l’entendement, de 900.000 € à 5,5 M € et les répliques réalisées par différents constructeurs dans les années qui suivirent, entre 70.000 et 120.000 €. Quant à la GT 40, création d’Henri Ford, encore plus rare (126 exemplaires seulement), elle coûte entre 5 et 20 M € pour les originales et de 150.000 à 200.000 € pour les répliques.

Qu’est-ce qui explique cette passion démesurée ? « La Cobra, ça fait du bruit, ça pollue, c’est cher, elle n’a été inventée que pour donner du plaisir », s’amuse Benjamin qui ne résiste pas à la tentation de faire ronronner le V8. « Tant qu’on n’a pas conduit une Cobra, on ne peut pas comprendre les sensations que cela procure, même à 80 km/h », assure-t-il avant d’embrayer sur le design unique : « Les courbes sont sensuelles, même pour un non averti, c’est envoûtant. » Son associé David passe par là et ajoute : « Il y a un côté sauvage à conduire une Cobra ».

Papiers s’il vous plaît !

Le job de Bourgogne Auto Classic, c’est donc d’abord de dénicher, de rapatrier et de remettre en état. « On fait peu de réparations en général, elles sont dans un état satisfaisant. C’est plutôt David qui s’y colle même si moi aussi j’ai des connaissances. Ensuite on confie la sellerie et la carrosserie à des artisans locaux ».

Puis il faut faire homologuer ces véhicules de collection, cette dernière étape n’étant pas la moindre et les anecdotes de mésaventures avec le ministère de la Transition écologique, les Douanes ou la FFVE (Fédération française des véhicules d’époque) ne manquent pas.

« Tant qu’on n’a pas conduit une Cobra, on ne peut pas comprendre les sensations que cela procure, même à 80 km/h ! »

La fabrication de répliques a débuté dans les années 1970 et s’est développée dans les années 1980/1990 quand le prix des originelles a flambé. Une fois s’être assuré de leur origine, Benjamin doit convaincre la FFVE qui n’habilite pas le premier véhicule venu. La fédération accepte les répliques depuis seulement 2014, et à plusieurs conditions : qu’elles aient 30 ans révolus, qu’elles soient construites à l’identique et qu’elles soient dans leur état d’origine. « Je ne prends pas de risque, confie l’expert, je ne fais venir une voiture que lorsque je suis sûr que tout est bon : les papiers, la date. » Et il faut montrer patte blanche, « monter tout un dossier, très documenté. Je fournis des revues techniques d’époque par exemple. »

Il existe des répliques plus récentes fabriquées en Europe de l’Est ou en Afrique mais qui ne sont pas homologables en France car une réplique de 2010 serait censée respecter les normes de 2010... ce qui est impossible pour une Cobra tant d’un point de vue sécurité qu’au niveau des normes environnementales. Certaines par le passé ont malheureusement obtenu des cartes grises avec la complaisance de certains agents en sous-préfecture (des scandales de corruption ont été mis à jour). Depuis la création de l’ANTS en 2017, ces abus sont plus rares mais il reste de ces voitures-là sur le marché. « Si on vous vend une Cobra avec une carte grise normale et non une de véhicule ancien, c’est une arnaque ! résume-t-il, c’est un vrai fléau ».

Et de rendre hommage appuyé au travail de la FFVE, y compris de lobbying pour ces véhicules de collection, parfois pointés du doigt par les militants écologistes « Ce ne sont pas des véhicules du quotidien, ils n’ont pas vocation à emmener leur propriétaire au boulot. En moyenne, ils ne roulent que 1.500 km/an », souligne Benjamin.

Un homme heureux

(Crédit : JDP.)

Bien qu’il ait possédé durant sa vie plusieurs bolides de collection, il conduit aujourd’hui une 306 Peugeot, comme s’il voulait séparer vie privée de sa vie professionnelle. Cet ancien étudiant en gestion semble comme un poisson dans l’eau dans sa Bourgogne d’adoption qu’il a rejoint par amour pour les vieilles pierres.

« Je n’ai jamais eu l’impression de travailler de toute ma vie, sourit l’ancien DJ amateur, car j’ai toujours été passionné », reconnaît celui qui a oeuvré 30 ans dans l’audiovisuel avec la même flamme. Éveillé à la beauté des choses dès sa plus tendre enfance, il concède quelques autres penchants : les antiquités, la gastronomie, l’architecture, la joaillerie… Il aurait sans doute pu exercer 1.000 métiers avec la même application.

En attendant, ce sont bien les passionnés d’auto qui bénéficient de ses compétences. Bourgogne Auto Classic s’est fait un nom et une réputation dans le milieu : « J’attends trois voitures en décembre, elles sont déjà vendues. Nous sommes considérés comme les moins chers du marché et avec les bons papiers ! »