Bernard Lecomte : « Si l’Ukraine entre dans l’Otan… »
« Si l’Ukraine entre dans l’Otan… »
Le Journal du Palais. Les tensions à la frontière entre l’Ukraine et la Russie ne sont pas nouvelles. Qu’est-ce qui a mis une nouvelle fois le feu aux poudres ?
Bernard Lecomte. « Ces tensions datent de la création d’une frontière entre ces deux pays, c’est-à-dire de 1991. Jusqu’à cette date, l’Ukraine et la Russie étaient des « républiques » faisant partie de l’URSS. Quand l’URSS a explosé, l’Ukraine est devenue indépendante, et elle comprenait à l’époque la presqu’île de Crimée et, bien sûr, le Donbass industriel, deux régions qui ont toujours été peuplées d’une majorité de Russes. Quand en 2014 les dirigeants de l’Ukraine ont décidé d’obliger tous les habitants du pays à parler la langue ukrainienne, les Russes ont été très choqués, il y a eu des heurts, et Poutine en a profité pour annexer la Crimée et faire occuper le Donbass par des milices russes. »
« Le feu aux poudres, c’est l’affaire géorgienne qui l’a mis, en 2008, quand les dirigeants de la Géorgie, autre ex-république de l’URSS devenue indépendante, ont annoncé qu’ils allaient entrer dans l’Otan : l’armée russe a foncé vers Tbilissi, la capitale de la Géorgie, et elle aurait occupé tout le pays si le président Sarkozy n’était pas allé à Moscou convaincre Poutine de se contenter, si j’ose dire, d’occuper deux petites régions du pays, mais de ne pas rayer la Géorgie de la carte ! »
Cette fois, c’est l’éventuelle adhésion de Kiev à l’Otan qui représente une provocation pour Vladimir Poutine ?
« Exactement. Pour Poutine, l’Ukraine est, comme la Géorgie, trop proche de la Russie pour faire partie d’une alliance militaire qui lui serait hostile. Or, l’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) est une alliance militaire qui a été fondée en 1945 par les USA, le Canada, l’Angleterre, la France… pour faire face à l’URSS. Elle aurait pu se dissoudre lors de la disparition de l’URSS, en 1991, mais les généraux qui la dirigent ont pensé qu’elle pourrait encore être utile, au cas où. Du coup, nombre de « pays de l’Est » ayant subi la domination de l’URSS pendant des décennies se sont empressés d’adhérer à l’Otan pour bénéficier de la protection américaine : la Pologne, les trois Pays Baltes, la Hongrie, la Roumanie… Dans ses exigences diplomatiques d’aujourd’hui, Poutine réclame le retrait de l’Otan de toute cette zone – ce qui n’est évidemment pas raisonnable, on ne peut pas refaire l’histoire des peuples ! Mais il est une exigence sur laquelle Poutine ne cédera pas, c’est son opposition totale, absolue, non négociable, à l’entrée de l‘Ukraine dans l’Otan. »
Le Président de la République, Emmanuel Macron, est monté au front. Quel rôle peut jouer la France dans ce conflit larvé ?
« À priori, il ne peut pas grand-chose, car les deux principaux acteurs de ce dangereux jeu diplomatique sont la Russie et l’Otan, laquelle est évidemment dominée par les Américains. Ni les Russes ni les Américains ne veulent s’embarrasser des Européens dans leur bras-de-fer : c’est tellement plus simple de régler les conflits entre les deux Grands, comme au bon vieux temps de la guerre froide ! »
« Si Macron a jugé qu’il pouvait tenter l’impossible, c’est que la France n’est pas n’importe quel pays d’Europe : c’est le seul membre de l’Union européenne à disposer d’une véritable armée, à disposer de la bombe atomique et à siéger au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est le seul pays de l’Otan à pouvoir dire « non » aux Américains, comme l’avait fait naguère le général de Gaulle. Poutine a donc accepté de parler avec Macron qui a plutôt bien joué en orientant les uns et les autres vers une négociation sur l’organisation de la sécurité en Europe et une autre sur la frontière russo-ukrainienne (les fameux accords de Minsk). En retour, Poutine a été direct : si l’Ukraine entre dans l’Otan, ce sera la guerre, le message est clair ? »