Il est cet enfant calme, timide, introverti et parfois « trop gentil ». Dixième d’une fratrie de onze enfants, Bernard Razzano peine à trouver sa place. « Je me sentais à l’écart par rapport à mes frères. Eux étaient forts, grands, bagarreurs. Moi, je les regardais avec admiration sans pour autant vouloir être comme eux. » À l’école, Bernard est moqué et esseulé : « À l’époque j’étais le “rital” ou le “binoclard”. Nous n’avions pas d’argent pour aller chez le coiffeur : mon père nous rasait la tête alors j’étais aussi le “tondu”, se souvient-il. J’avais de grosses difficultés scolaires : mes parents arrivés d’Italie lisaient mal le français, et puis quand on est si nombreux à la maison c’est impossible de s’occuper des devoirs de tout le monde ».
Rien, alors, ne le prédestinait à la vie qui l’attendait. C’est à 13 ans que Bernard découvre le monde de la boxe, à l’USCD des Bourroches à Dijon, qui deviendra son club de toujours. « Là-bas, je me suis fait des copains, je prenais confiance en moi mais je n’étais pas spécialement bon, c’était simplement du loisir ». Rapidement, Bernard Razzano commence les petites compétitions en boxe éducative et parvient à convaincre ses parents, réprobateurs, de le laisser pratiquer. « J’ai rappelé à mon père qu’il s’était toujours promis qu’il n’empêcherait pas ses enfants de faire du sport. Il a dit à ma mère : “Laisse le, quand il va prendre deux ou trois coups de poing dans le nez, il arrêtera.” C’est cette phrase-là qui m’a poussé à continuer ! ».
Le jeune boxeur prend alors du galon ; entrainé par « Totor » Vangi, « un deuxième père qui m’a donné de l’importance et des valeurs », Bernard Razzano devient champion de Bourgogne et deux fois vice-champion de France de boxe amateur à 22 ans. « Mon potentiel, c’était le courage, explique-t-il. Sur le ring, je ne lâchais rien : en 1985, je perds en finale du championnat de France contre Gilbert Delé alors que j’avais la main cassée depuis les seizièmes de finale (soit quatre combats auparavant, Ndlr). Mais physiquement, je n’étais pas prêt par rapport aux autres. Je me souviens qu’après un combat je n’avais même pas la force de tenir ma bouteille d’eau à une main ; je ne me sentais pas capable de passer pro ».
Quatre ans de rêve
Encouragé par Totor, Bernard Razzano prend le risque de lancer sa carrière professionnelle : « j’ai choisi de tout miser, explique-t-il. Je travaillais pour la ville de Dijon et j’ai posé un congé sans solde ; je n’avais pas le droit de perdre ». La première année, en 1990, il remporte le tournoi de France destiné aux professionnels débutants ; puis les championnats de France de boxe professionnelle en 1992 – « j’ai fait le parcours parfait : trois victoires par K.O. Après ma victoire, mon manager me dit que je pourrais faire les championnats d’Europe si je gagne à nouveau les championnats de France l’année suivante ».
« Je sais que j’étais en quelque sorte “l’homme à abattre” : personne ne voulait que je sois ici. »
En 1993, rebelote, le Dijonnais conserve son titre et entrevoit l’espoir d’arracher la ceinture de champion d’Europe aux mains de Laurent Boudouani. « Je ne vivais plus, je pensais chaque instant, chaque nuit à Boudouani, c’était une obsession, raconte-t-il. J’avais 5 % de chance de gagner, mais j’allais utiliser les cinq à fond, quoi qu’il arrive ». Le 5 octobre, c’est chez lui, au Palais des Sports de Dijon, que Bernard Razzano atteint son apogée : après huit rounds, il contraint Laurent Boudouani à jeter l’éponge. « Je suis le seul boxeur français à avoir battu le grand Boudouani dans toute sa carrière », rappelle le Dijonnais, des étoiles plein les yeux.
La chute et le rebond
Dès janvier 1994, le champion d’Europe, encore diminué à cause d’une préparation tronquée, doit remonter sur le ring pour défendre son titre. « Je perds le combat dans des circonstances étranges, se souvient-il avec rancoeur. Mon adversaire m’a donné un coup de tête, ce qui est interdit, et l’arbitre a eu un comportement très bizarre. Je sais que j’étais en quelque sorte ”l’homme à abattre” : personne ne voulait que je sois ici ».
Il sort du combat avec le nez fracturé, l’éloignant définitivement des rings alors qu’il met un terme à sa carrière professionnelle en 1995 à cause de mésententes au sein de sa structure sportive. Bernard Razzano connait ensuite deux ans de vide : une phase dépressive que le boxeur peine à évoquer. « J’ai tout de suite passé mon brevet d’État d’éducateur sportif : je voulais enseigner, apporter ce que j’ai vécu. Mon objectif était de transmettre aux jeunes ma volonté et les valeurs du sport. » Il se lance alors dans l’aventure à Talant, où il aide un petit club de la commune : « je donnais tout, on déchirait tout. Il y avait une osmose incroyable avec ces jeunes. Je leur en ai fait baver ! ».
Avant le départ de l’illustre boxeur, le club comptait 11 champions de Bourgogne simultanés. Bernard retrouve ensuite son amour de jeunesse, l’USCD des Bourroches. « Je suis parvenu à faire remonter le club. C’était une fierté immense, un hommage à la mémoire de Totor », s’émeut-il. Son idylle prend fin en 2016 – Bernard Razzano devient alors le coach sportif de la mairie de Dijon.
Une nouvelle vie
« J’ai d’abord été approché pour participer au challenge Michelet : un genre d’olympiades régionales avec des mineurs sous mandat judiciaire ». Rapidement, le courant passe ; Bernard parvient à intéresser les jeunes à la pratique de la boxe. « Ce que j’ai vu, c’est des gamins qui avaient besoin qu’on s’occupe d’eux. Ça faisait forcément écho à ce que j’ai pu ressentir dans ma jeunesse. » En 2020, celui qui fête ses 57 ans s’apprête à vivre sa plus belle aventure : on lui propose de s’occuper des jeunes du quartier mineur de la maison d’arrêt de Dijon.
« Je n’ai pas hésité. J’aime me mettre en difficulté, surmonter les choses dans lesquelles je ne suis pas forcément à l’aise. » Devenu intervenant à la PJJ de Dijon en tant que médiateur sportif, Bernard Razzano lutte aujourd’hui contre la récidive en inculquant à ces jeunes mineurs, grâce à la boxe, des valeurs fondamentales. « Je leur apprends la persévérance. Je ne leur fais pas la morale ; je veux simplement qu’ils se rendent compte que ce n’est pas foutu, qu’ils peuvent s’en sortir. Il n’y a pas de hasard, il faut y croire. Je me dis que si je n’en ferais pas des champions, j’en ferai au moins des hommes. Je suis leur grand frère, je leur parle comme à mes gamins du club. Si j’arrive à faire qu’ils croient en eux, alors j’ai réussi. »