D’aussi loin qu’elle s’en souvienne Carmen Garrido a toujours voulu travailler dans la santé. « Petite, je me rêvais un dessein comparable à celui de Marie Curie. Je voulais laisser mon empreinte, faire bouger les lignes », confie celle qui vient de recevoir le grand prix de la recherche Ruban rose pour ses études qui, à terme, devraient permettre de détecter de façon précoce les cancers du sein par le biais d’une simple prise de sang.
Quant au choix de l’oncologie, la chercheuse répond : « C’est un mal auquel presque toutes les familles sont confrontées. Le cancer est aujourd’hui une maladie qui fait malheureusement partie de notre quotidien, et bien qu’il soit de mieux en mieux traité, de plus en plus de gens en sont atteints. C’est également dans cette voie que l’apport de la recherche est des plus déterminant, qu’il peut sauver des vies. »
« C’est en croisant ainsi les disciplines que nous pouvons le mieux aborder la recherche sous différents prismes »
Carmen Garrido est née à Séville sous le régime dictatorial de Francisco Franco. Un terreau castrateur qui lui donna des envies d’évasion et suffisamment de courage pour très tôt quitter l’Espagne. Si elle commence ainsi ses études à Madrid, c’est aux États-Unis qu’elle réalisera la plus grande partie de son cursus. « Je suis d’abord partie un an à Los Angeles pour parfaire mon niveau d’anglais, puis j’ai effectué mon master et ma thèse en co-tutelle avec l’Hôpital Ramon y Cajal de Madrid et l’Harvard Medical School de Boston. Enfin, mon stage postdoctoral s’est déroulé à l’université de Californie à San Francisco », développe Carmen Garrido.
Croiser les disciplines
Ses premiers pas en France se font à l’institut Pasteur en tant que postdoctorante. Une rencontre amoureuse avec un agriculteur de l’Yonne l’amène, en 1995, a poser ses valises en Bourgogne, où elle est recrutée par l’Inserm de Dijon. « À l’époque, plus d’un de mes amis a voulu me dissuader de quitter Paris, arguant que je ne pourrais pas changer les choses là-bas. J’étais persuadée du contraire, c’est bien à Paris que je risquais d’être noyée dans la multitudes des chercheurs de renoms... ».
Aujourd’hui, directrice de classe exceptionnelle à la tête d’une équipe multidisciplinaire du Centre Inserm UMR1231 « Lipides, nutrition, cancer » à Dijon et au Centre Georges François Leclerc (CGFL), elle confie être « au top de [sa] carrière » et faire ici à Dijon « une recherche de qualité, en association avec Paris, Lyon ou Strasbourg... ». L’équipe d’une cinquantaine de personnes qu’elle a constituée fait interagir des médecins, biologistes, pharmaciens, physiciens, et chimistes autour du fil rouge des protéines dites “de choc thermique” appelées également protéines du stress.
« C’est en croisant ainsi les disciplines que nous pouvons le mieux aborder la recherche sous différents prismes, que chacun s’enrichit des connaissances des autres, affirme la chercheuse ajoutant qu’au sein de son équipe, on ne trouve pas que des profils issus d’école doctorante, mais aussi des parcours atypiques, qui ont choisi de briller autrement et qui par leurs expériences para-académiques permettent d’appréhender les choses sous des angles nouveaux ».
Les protéines de choc thermique au coeur de la recherche
Quant aux HSP ou protéines de choc thermique, découvertes en 1962 chez la drosophile (mouche du vinaigre), elles sont essentielles à la survie des cellules lors de stress d’origines diverses (chimique, physique, métabolique...). Si elles sont ainsi fortement exprimées dans les cellules “normales” en cas d’agressions, elles sont surabondantes dans le cas des cellules cancéreuses, ce qui confère notamment à ces dernières une certaine résistance à la chimiothérapie. Dans la riche famille des HSP, c’est plus particulièrement HSP70 qui est majoritairement produite par les cellules tumorales. HSP70 est à la fois présente à l’intérieur des cellules, mais également - et cela uniquement chez les cellules cancéreuses - expulsées à l’extérieur via les exosomes : des nanovésicules libérées par les cellules dans le sang.
« Quand j’ai choisi la Bourgogne, nombreux ont été ceux qui voulaient me dissuader de quitter Paris et l’Institut Pasteur, arguant que je ne pourrais pas changer les choses là-bas. Moi, j’étais persuadée du contraire ».
« Dès mon arrivée, il y a 25 ans, j’ai observé cette propriété des cellules cancéreuses à produire une grande quantité de HSP70, bien au-delà des cellules “normales”. Et si l’un des projets phares de notre groupe a d’abord été de développer des inhibiteurs spécifiques de HSP70, très vite, nous nous sommes dits que cette surexpression d’HSP70 par les cellules tumorales, ainsi que sa présence sur la membrane des exosomes, pouvaient aider à un diagnostic précoce des tumeurs », raconte Carmen Garrido.
Une simple prise de sang
Restait à savoir si les taux d’HSP70 produits par les cellules cancéreuses était suffisants pour être détectés et quantifiés dans le sang. L’équipe a alors ouvert une étude clinique pilote incluant des patients atteints d’un cancer du sein et du poumon, hospitalisés au CGFL et au CHRU de Besançon, afin de déterminer s’il était possible de détecter et quantifier les HSP70-exosomes dans leur sang. Cette dernière a non seulement mis en évidence que « le taux de HSP70-exosomes circulants est augmenté chez les patients atteints d’un cancer à un stade métastatique comparé aux non-métastatiques et aux donneurs sains. Mais également que celui-ci est inversement corrélé à la réponse au traitement, et, par conséquent, que le suivi du taux de HSP70 dans les exosomes pourrait être utile dans la prédiction de la réponse au traitement ».
Par ces avancées notoires, En 2017, Carmen Garrido décrochait déjà le premier prix Ruban rose “avenir”, démontrant tout l’intérêt de ces travaux et leur potentiel futur. Ainsi quatre ans plus tard, Ruban rose lui décernait cette fois la plus haute distinction : le grand prix, avec à la clé une dotation de 200.000 euros.
« Notre objectif est, à terme, d’obtenir un dépistage précoce du cancer du sein, mais également d’autres cancers, de pouvoir détecter l’apparition possible des métastases et si un patient répond ou pas à sa thérapie anticancéreuse, le tout, juste avec une simple prise de sang, nécessitant le prélèvement de faibles volumes (500 microlitres). Une solution qui limiterait ainsi l’usage, coûteux, contraignants et non sans risque (radiations) des techniques d’imagerie comme le scanner ou la mammographie et qui pourrait être réalisée en ambulatoire par des médecins généralistes », développe la chercheuse. La dotation du prix doit servir à financer une nouvelle étude clinique multicentrique organisée avec la plateforme de recherche translationnelle et de phases précoces du CGFL, en lien avec Berlin, Paris et le CHU de Tours.