Carmen Munoz-Dormoy
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Carmen Munoz-Dormoy

Esprit d’équipe

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Photo de Carmen Munoz-Dormoy
« Les moments les plus heureux de ma carrière c’est quand mes équipes se retrouvaient face à un défi, comme un appel d’offre très compliqué dont tout le monde disait : “vous n’allez pas le gagner” et qu’on le gagnait en équipe. On s’amuse beaucoup plus à faire la fête en collectif que tout seul sur un piédestal. » (Crédit : EDF.)

Carmen Munoz-Dormoy est née dans la banlieue de Madrid, à Alcalà de Henares plus précisément, comme Cervantès, l’auteur de Don Quichotte de la Mancha. Une ville dont le slogan (Ciudad del saber, la cité du savoir) tient à ce qu’elle vit naître en 1499 le premier campus universitaire européen. Le savoir, l’apprentissage, l’ouverture au monde : un berceau semble-t-il taillé pour accueillir celle qui préside depuis le 1er octobre dernier aux destinées du groupe EDF en région Bourgogne Franche-Comté.

La Méritocratie Comme Ascenseur Social

La jeune fille grandit dans une famille modeste mais qui croit fermement aux vertus du travail et des possibilités d’émancipation grâce aux études. « J’étais dans une famille exigeante avec l’école, comme souvent les familles des classes moyennes. Nos parents nous demandaient nos notes, à mon frère et moi, regardaient les bulletins. Je n’avais pas d’argent pour des babioles mais mes parents m’avaient dit : “On t’achètera tous les livres que tu nous demandes”. Et cela, c’est un message très fort ». École publique, lycée public au coeur d’un quartier très défavorisé forgent déjà la détermination de la jeune fille qui se révèle très douée en sciences et peut compter sur deux atouts. Le premier, un soutien sans faille de sa famille : « J’étais bonne en math et en physique et chez moi, ni mon père, ni ma mère ne m’ont dit que ces matières n’étaient pas faites pour les filles. Les études n’étaient pas genrées. » ; le second, des professeurs bienveillants : « Dans notre classe, nous étions quatre ou cinq qui voulions nous en sortir par les études. Nous sommes allés voir les profs en leur disant : “le niveau de la classe est catastrophique . Aidez-nous !” Ils nous ont donné des lectures, des problèmes supplémentaires. J’ai eu une très bonne note au bac, grâce à mes profs. »

Ni mon père ni ma mère ne m’ont dit que les maths et la physique, deux matières où j’étais bonne, n’étaient pas faites pour les filles. Les études n’étaient pas genrées ».

Apprendre, Toujours

Ses résultats lui permettent d’intégrer la plus prestigieuse école d’ingénieurs de Madrid, où, morte de peur de ne pas être à la hauteur des élèves issus des beaux quartiers et des « bonnes » écoles, Carmen Munoz-Dormoy travaille d’arrache-pied et se retrouve major. À la fin de sa 3e année, la voilà convoquée par ses directeurs qui lui proposent d’intégrer un programme d’échange avec une très bonne école en France. Affolement : elle ne parle pas un mot de français. Un mois d’apprentissage forcené plus tard, elle fait sa rentrée à Centrale Paris d’où elle sortira diplômée d’un double cursus en France et en Espagne. Nous sommes en 1992, Carmen Munoz-Dormoy est ingénieure, avec une spécialité construction, une passion qui remonte à l’enfance et qu’elle avait pu éprouver durant des stages à l’école.
A 23 ans, elle est envoyée sur des chantiers où elle doit s’imposer face à des ouvriers expérimentés. Première clef : s’appuyer sur ses compétences, pour par exemple, s’inquiéter auprès d’un ferrailleur d’une probable erreur sur des plans. L’erreur détectée, « l’information fait le tour du chantier et on a le respect absolu ». Seconde clef : la modestie face à ces mêmes ouvriers qui possèdent des savoir-faire dont l’ingénieur n’a pas connaissance. « Je pense que l’humilité, le fait de reconnaître qu’on ne sait pas tout, est aussi un atout », assure Carmen Munoz-Dormoy.
En 1997, elle rejoint le groupe EDF, d’abord à la R&D, puis elle est chassée pour rejoindre la direction vente et services clients du groupe. Entourée de purs produits d’écoles de commerce, l’ingénieure se demande si elle n’est pas une intruse. Et file s’acheter toute la littérature sur le marketing et la stratégie pour ne pas être prise en défaut, complétant son apprentissage par des formations à HEC. Un processus qu’elle va répéter tout au long de sa carrière. Recrutée par Enedis, la filiale EDF pour les réseaux, comme directrice déléguée, elle se forme sur ces métiers. Partie chez Citelum (Dalkia, autre filiale du groupe EDF) pour travailler à l’international, elle fréquente en parallèle les bancs de la London Business School... S’appuyer sur ses compétences, apprendre ce qu’on ignore et finalement prendre plaisir à ces défis, tel est son mantra. « Je ne peux pas m’empêcher d’accepter quand il y a du challenge. Et d’autant plus quand on me dit qu’il s’agit d’un poste où il y a de la complexité. J’ai pris des postes dont personne ne voulait, parce qu’on jugeait qu’il y avait peu de chances de réussir. J’aime bien ces challenges, l’émotion de la nouveauté ! »
Et c’est encore mieux quand ce challenge est partagé. Au triomphe individuel, Carmen Munoz-Dormoy a toujours préféré les célébrations du collectif, surtout quand on lui met entre les mains des équipes pas spécialement taillées pour la gagne qu’elle parvient à transcender... « Les moments les plus heureux de ma carrière sont quand mes équipes se retrouvaient face à un défi, comme un appel d’offres très compliqué dont tout le monde disait : “vous n’allez pas le gagner” et qu’on le gagnait en équipe. On s’amuse beaucoup plus à faire la fête en collectif que tout seul sur un piédestal. »

Favoriser Les Carrières Féminines

En cette semaine qui verra, samedi 8 mars, à nouveau célébrée la journée internationale des droits des femmes, Carmen Munoz-Dormoy se réjouit d’avoir fait sa carrière au sein du groupe EDF où la RSE et l’inclusion, en particulier celles des femmes, ne sont pas un vain mot. « Les boîtes qui ne se comportent pas bien avec les femmes sont une aubaine pour nous, sourit Carmen Munoz-Dormoy. Nous recrutons des femmes de talent car elles savent qu’ici, elles seront bien traitées ».
Celle qui occupe aujourd’hui la première place du groupe EDF en région BFC est bien consciente de la difficulté, parfois, de faire carrière au féminin quand une grossesse, une famille ou une maison à gérer en plus de son travail deviennent des freins plutôt que des moteurs. Elle-même explique que ses décisions de carrière ont été prises en concertation avec « le codir familial. Quand mes enfants étaient petits, on avait des deals avec mon mari. L’un de nous deux s’en occupait les matins, l’autres les soirs et quand on avait des déplacements, on coordonnait nos agendas. » Encore faut-il que l’entreprise intègre cette dimension vie privée/vie professionnelle. « Elles y ont tout intérêt, estime Carmen Munoz-Dormoy. Un recrutement, c’est un investissement sur la durée. Quand une jeune femme me dit : “Je suis enceinte, ça ne tombe pas au bon moment“. Je lui réponds : “c’est le bon moment puisque c’est le tien ! Tes enfants vont grandir beaucoup plus vite que tu ne le penses… et prépare-toi à mettre le coup d’accélérateur le moment venu” ». Une bienveillance qui sert, en effet, la stratégie du groupe, qui vise justement à incorporer plus de femmes dans les codir. « En tant que dirigeante, j’ai en charge la détection des talents, souligne Carmen Munoz-Dormoy, et EDF nous a toujours encouragés à regarder avec attention les filles parce que souvent la détection des gens à potentiel s’effectue lorsqu’ils ont entre 30 et 35 ans, qu’ils ont commencé à faire leurs preuves. Et que font les filles entre 30 et 35 ans ? Des bébés. Donc nous sommes sensibilisés à regarder ces femmes quand elles ont eu leurs enfants, pour que chacun puisse évoluer dans une véritable égalité. » Esprit d’équipe, politique RSE affirmée, droits des femmes respectés... Ajoutons enfin, que le groupe EDF a été littéralement investi par l’État pour être son bras armé de la décarbonation et de la souveraineté énergétique et l’on obtient autant de valeurs d’entreprise avec lesquelles Carmen Munoz-Dormoy avoue être « totalement alignée ». Des valeurs qu’elle propage jusqu’au conseil d’administration de son ancienne école, devenue CentraleSupelec, mais aussi auprès des collégiennes et lycéennes comme lors de la récente semaine du nucléaire. Qui sait si, parmi ces jeunes femmes à l’aube de leurs carrières et de leurs choix professionnels, ne se cache pas une forte en sciences qui aime les défis ?