Des « faiseurs de luths » aux luthiers d’aujourd’hui, le métier a bien changé et dispose même de son école depuis 1970. C’est justement cette même année qu’est né Christophe Lescuyer, artisan d’art qui, une main dans le passé et une corde dans le présent, avoue un faible pour l’acoustique électrique et la lutherie moderne.
Et pour cause, loin des guitares romantiques de l’époque baroque d’après Renaissance et des premiers accordages Ambitus sur six cordes, Christophe découvre à 12 ans les riffs métalleux et distortionnés d’Angus Young sur « Back in black » d’AC-DC.
Un cadeau de ses parents qui lui donne l’envie de jouer de la guitare, mais surtout de fabriquer son premier instrument : « J’avais vingt ans, elle sonnait approximativement mais j’en étais super fier, ma première histoire d’amour avec les grattes ! ». Mais il faut bosser : « J’ai passé un CAP et un BEP de mécanique générale, puis j’ai travaillé pendant trente ans chez Grosfilex le plastique et le métal, des matières froides, je fabriquais des menuiseries en PVC, j’étais loin de biseauter et tailler du noisetier ou de l’acajou ».
Le week-end, c’est entre copains que la guitare résonne, puis au sein de plusieurs groupes rock-blues : Cookie blues, Pearly Gates, So Watt et bien d’autres. Petit à petit, il nourrit son désir d’imaginer ses propres instruments et de contempler les autres jouer dessus. Alors il cherche à comprendre comment un son peut sorti d’un « banal » morceau de bois, être amplifié. Revues techniques, internet, livres spécialisés deviennent ses passe-temps.
Luthier par hasard
Puis, en 2011, c’est le sort qui va changer sa vie : « Presque par hasard, un copain me fait rencontrer Pascal Cranga responsable du centre de formation des luthiers de Cluny. La rencontre est un tournant décisif. Quelques temps plus tard, je demande un congé Fongecif à mon entreprise et je rejoins “l’esprit du bois” pour apprendre le métier pendant deux ans comme un gamin qui reprend l’école après quarante ans. »
Six ans plus tard, diplôme en poche, il s’installe à Saint-Martin-sous-Montaigu, en Saône-et-Loire, au cœur des vignobles chalonnais et petit à petit, l’atelier se remplit : « Connaître le bois, ses essences différentes, être ébéniste, électronicien, acousticien et accessoirement guitariste sont des savoirs indispensables pour fabriquer ou retaper une gratte ».
Elles sont là, accrochées au mur ; des Demi-caisses, des Strats, des Télécasters, des manouches avec des grande bouches, des folks, des classiques, autant de styles différents qui attendent leur tour pour passer sur la table d’opération. Souvent juste des petits bobos à soigner, de la monte de micro, du frettage, un nouveau laquage, un peu de customisation : « Dans mes rêves, Stevie Ray Vaughan ou Dusty Hill de ZZ Top, me commandent un instrument puis je me réveille et la magie opère, je fonce à l’atelier avec le même plaisir renouvelé. »
En quelques années, Christophe Lescuyer s’est fait un nom dans le milieu : « J’accorde beaucoup de temps au réglage, les copains me disent que lorsque je touche leur guitare, elle se désaccorde moins sur scène. Donc ils passent facilement à l’atelier se faire payer un café pendant que je change leur jeu de cordes en discutant, souvent les journées sont bien courtes ».
En parallèle de ce petit jeu de mécanique, Christophe Lescuyer n’a pas oublié ses vingt ans et sa première guitare :
« Je continue de fabriquer des guitares. Mais des pièces uniques. Jamais de copies. »
« Si le client veut une Fender Stratocaster, autant qu’il en achète une. »
Ses commandes sont sur-mesure, créées de la bobine des micros jusqu’aux manches, en passant par les tables et les frettes ; des pièces exceptionnelles signées d’un CL incrusté en nacre sur la tête, petits bijoux souvent taillés dans des bois d’exception. Pas de droit à l’erreur, une mauvaise cote ou un mauvais tour et tout est à reprendre.
C’est là que l’apprentissage prend tout son sens. C’est aussi par cette expérience cet apprentissage que Christophe Lescuyer parvient à répondre à presque toutes les exigences : « J’ai eu certaines demandes un peu particulières. Une manouche fabriquée à quatre mains. Ou un client qui voulait une guitare box dans un bidon d’huile John Deere avec une flasque à whisky à l’intérieur reliée à un robinet lui permettant de jouer en se servant un bourbon. ».
Une création qui lui vaut aujourd’hui d’être devenu un spécialiste de la guitare box, (guitare à quatre cordes taillée dans des bidons, des boîtes en bois et électrifiées dont l’origine est le cœur du blues). Pour autant, il tourne toujours avec son groupe Dog House et continue d’être attentif à la musique qui a forgé son âme de musicien : Genesis, Django, ZZ top, Dr. Feelgood, les Beatles mais aussi une nouvelle génération : les Fatals Picards, Jean-Pierre Danel et Miss Daisy - une guitare rare, particulière et très réputée qui date de 1954, la première des Fender Stratocaster, modèle qui a révolutionné la guitare électrique - Steph San Severino, etc.
Tout en poursuivant sa quête du Graal : « J’ai eu le privilège de régler une PRS custom Private stock, une copie Ibanez de 72, des stradivarius de la guitare, c’est le miel de ce métier : toucher de l’or et essayer à son tour d’en fabriquer ».
Et Christophe Lescuyer a toujours une guitare en papier qui dort dans un tiroir, prête à naître sous ses outils ou une suspendue à son accroche, qui se languit d’atterrir à son tour sur l’établi pour revivre une seconde vie : « Un guitariste, quand il commande une guitare, c’est toujours l’avant-dernière. » Il y a donc encore de la corde à dérouler…