Clémentine Fritsch
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Clémentine Fritsch

Traqueuse d’intrants.

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Photo de Clémentine Fritsh
Clémentine Fritsh est lauréate de la médaille de bronze du CNRS pour ses travaux innovants en écotoxicologie. (Crédit : JDP)

Comment des contaminants chimiques rejetés par les activités humaines impactent-ils les petits mammifères et les oiseaux ? Cette question est au coeur des recherches menées par Clémentine Fritsch. La chercheuse développe des approches non létales et peu invasives pour mesurer l’exposition et les réponses de la faune sauvage à différents polluants comme les métaux et les pesticides.

« Je suis tombée amoureuse de cette discipline que l’on appelle l’écotoxicologie quand je suis arrivée en licence à l’UFR de sciences et techniques de Besançon, se souvient la scientifique. À l’origine pourtant, je ne me destinais pas à la recherche : je voulais être vétérinaire. Malheureusement, je n’avais pas assez de disposition en mathématique et physique-chimie pour réussir le concours d’entrée en école de véto. J’ai donc opté pour la fac avec l’idée de passer le concours B pour réintégrer la filière vétérinaire ».

En 2006, elle débute une thèse sur les risques environnementaux liés aux contaminations industrielles des sols par les métaux : exposition des organismes, transfert dans les chaînes alimentaires et les écosystèmes, avec un travail sur le terrain sur des sites pollués du Nord de la France (secteur d’Hénin-Beaumont). Ces premières années post-doctorat l’amènent à voyager au Pays-Bas, en Belgique et en Espagne : « ces missions hors de nos frontières m’ont apporté beaucoup, confie t-elle. La création d’un réseau de collaboration, des échanges avec des collègues qui ont une forte expertise, une acculturation à d’autres modes d’organisations institutionnelles et stratégiques par rapport au système de recherche français et plus personnellement une expérience assez stimulante de vie en expatrié, avec un vrai plus sur l’amélioration de mon anglais parlé ».

En 2012, Clémentine Fritsch est recrutée au CNRS, comme chargée de recherche. Elle demande une affectation au laboratoire Chrono-environnement de Besançon. La raison : « très peu de laboratoire en France s’intéresse à l’écotoxicologie terrestre. Besançon est du nombre et possède un environnement spécifique et des outils dédiés ».

Changement d’échelle

En poste, Clémentine Fritsch s’investit notamment dans la structuration de la Zone Atelier Arc Jurassien et dans des suivis in situ en vue de mieux comprendre les phénomènes de transferts de polluants dans les écosystèmes naturels. Plus globalement, elle va progressivement développer une approche - unique dans le milieu - combinant l’écotoxicologie du paysage et l’écologie du stress afin de déterminer comment les caractéristiques des différents paysages influencent plus ou moins l’exposition de la faune aux produits chimiques et leurs effets sur la biodiversité. « Mes recherches sont originales dans le sens où elles s’appuient essentiellement sur des données collectées sur le terrain, je réalise peu de travaux en labo. »

« Nous avons retrouvés jusqu’à 65 pesticides sur un même rongeur. »

« Cette collecte in natura est réalisée via des méthodes non létales et les moins invasives possibles pour la faune. Par exemple, là où avant le foie et les reins étaient couramment utilisés pour faire des mesures de toxicité, j’utilise pour ma part des prélèvements de poils, de plume et de sang (hématologie, biochimie du plasma, enzymologie). Il s’agit de protocoles comparables à ceux employés par les vétérinaires et en épidémiologie humaine, appliqués aux petits mammifères et aux oiseaux, explique la chercheuse. L’autre spécificité de mes travaux, c’est qu’ils s’appliquent à l’échelle du paysage, ils ne sont pas concentrés sur le champ d’un seul agriculteur par exemple. Cette dimension écologique apportée à la toxicologie va dans le sens d’une vision plus systémique et transdisciplinaire (de la physicochimie aux outils prédictifs mathématiques) assez innovante ».

Environnement contaminé

Le champ d’action de Clémentine Fritsch couvre la région, la France, mais aussi différents pays dans le monde. Si elle s’est d’abord intéressée aux polluants métalliques, elle se consacre aujourd’hui aux pesticides et plus spécifiquement à la nouvelle génération d’intrants : « Il y a beaucoup de littérature scientifique sur les anciens produits alors que sur ceux qui viennent d’arriver sur le marché, parfois en remplacement de substances aujourd’hui interdites, beaucoup de questions demeurent, notamment sur leurs propriétés biomoléculaires et sur les effets en cascade ».

Il y a un peu plus de trois ans, l’équipe de Clémentine a co-conduit une vaste étude de deux ans, impliquant une quarantaine d’experts et visant à déterminer l’impact des pesticides sur la biodiversité. Ces travaux, publiés dans la dernière édition de la revue Scientific Reports, sont les premiers à documenter aussi précisément l’imprégnation des petits mammifères sauvages aux agrotoxiques. Une centaine de musaraignes et de mulots a été mis à contribution sur deux sites tests dans le Jura et les Deux-Sèvres.

Les résultats ont été sans appel, mettant en évidence une contamination généralisée de l’environnement. « Sur les 140 molécules recherchées, 112 ont été retrouvées au moins une fois chez nos rongeurs et la totalité des animaux capturés étaient imprégnés d’au moins l’une d’elles. Par ailleurs, nous avons retrouvé jusqu’à 65 substances différentes chez un même individu, affirme Clémentine Fritsch. C’est très différent de ce qui était observé il y a un demi-siècle, avec des expositions fortes à un petit nombre de substances chimiques. Cela prouve l’inefficacité des mesures de protection de la faune sauvage vis-à-vis des pesticides ».

Pour la suite, celle qui se dit honorée par la médaille de bronze du CNRS - tout en exprimant une gêne quant à son caractère nominatif, là où l’essence même de son projet de recherche est collaboratif – envisage de travailler sur la notion d’effet cocktail, afin de comprendre ce qui conduit à ses co-expositions, en lien avec les modes de vie, la nutrition et les déplacements des animaux. « Nous avons des projets sur le développement d’outil de prédiction de l’exposition des pesticides à l’échelle du paysage et sur des modélisations mathématiques. L’idée est de se rapprocher, pour l’animal, du concept d’exposome, défini chez l’humain comme le cumul des expositions à des facteurs environnementaux que subit un organisme, de sa conception à sa fin de vie. Notre objectif est d’apporter ainsi de nouvelles connaissances aux agences de régulation dans le monde afin qu’elles améliorent leurs procédures d’évaluation et de gestion des risques liés aux pollutions, pour les aider à atteindre leur mission de protection de l’environnement, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui ».