Loin des chaussettes et des collants de la Manufacture Perrin de Montceau-les-Mines, Constance Nicaise a grandi à Angers. Elle débute son parcours à l’école d’ingénieur des nouvelles technologies ESEO, et se destine alors au métier d’ingénieur biomédical. « Je me suis rendue compte que j’appréciais la dimension généraliste et l’esprit ingénieur mais je n’ai pas aimé le côté informatique et électronique. »
Ses parents finançant ses études, elle décide tout de même d’aller au bout du cursus, consciente que la formation lui servirait, notamment sur la gestion de projet. Après deux ans de prépa et deux ans à l’ESEO, elle bifurque toutefois vers une école de commerce pendant un an. « J’y ai appris le marketing et la gestion d’entreprise » précise la trentenaire. Elle bouclera son parcours en finissant l’école d’ingénieur entamée et sortira avec un double diplôme en 2011.
Sa première expérience professionnelle d’envergure se déroule dans le service marketing d’Yves Rocher. Après neuf mois dans l’entreprise, elle reprend des études en alternance. « J’étais attirée par le marketing mais je sentais que mes objectifs professionnels me demandaient plus de connaissances dans ce domaine. »
Elle passe donc un an et demi entre une business school à Paris, une entreprise de cosmétique avant de travailler pour les laboratoires Johnson & Johnson. « J’ai appris toutes les bases de la gestion de l’urgence, l’organisation, résoudre les problèmes, prioriser… »
Bien que l’expérience lui semble enrichissante, Constance Nicaise s’interroge sur la voie qu’elle est en train d’emprunter. « Je ne me voyais pas dans une grande multinationale. Je voulais une entreprise avec des valeurs, plutôt une PME. »
Elle adresse des CV dans toutes les directions avec l’envie d’aller sur le terrain comme commerciale. Trop diplômée ou trop peu expérimentée dans le domaine, ses démarches restent vaines. « Je voulais me lever le matin, j’étais prête à aller sur les marchés si nécessaire. »
Une histoire de rencontre
Un ami de la famille, Régis Gautreau, fondateur de la marque Berthe aux grands pieds, lui propose un poste de vendeuse dans la boutique qu’il vient d’ouvrir à Nantes. « C’est la plus petite échoppe de France ! À peine 3,14 m² ! » sourit la jeune femme. En novembre 2014, elle commence dans le commerce et prend plaisir à échanger avec les clients. En 2015, son patron l’emmène à Montceau-les-Mines pour lui faire découvrir l’usine où sont fabriquées les chaussettes qu’elle vend : la Manufacture Perrin. Elle rencontre Martine Couturier, quatrième génération à la tête de l’entreprise, et son mari Franck qui « a emmené l’entreprise là où elle est aujourd’hui. »
« J’avais un peu de naïveté face à l’ampleur du projet mais je ne regrette rien. »
Elle échange également avec Damien Schneider, candidat à la reprise de l’entreprise. « J’ai discuté avec eux, visité le site. J’ai été émerveillée par ce que je voyais. Le textile n’était pas mon monde mais j’ai découvert un univers préservé, du travail manuel traditionnel, des gens passionnés par ce qu’ils font mais aussi des valeurs. » Les propriétaires lui expliquent leur projet de mettre en place un réseau de boutiques propres à côté de leurs 1.200 distributeurs, principalement en France. « Il voulait quelqu’un sur le terrain pour créer tout le réseau humainement et logistiquement. » Elle accepte le challenge depuis Angers.
De défi en défi
Quelques mois plus tard, Damien Schneider, dans l’entreprise depuis 2014, lui propose de se joindre à lui pour la reprise qu’il envisage. Défi à nouveau accepté pour lequel elle déménage à Montceau-les-Mines en 2018 tandis que la reprise est officialisée le 1er octobre de cette même année. « J’ai accepté car j’étais pleine d’envie et que je n’y connaissais rien. J’avais aussi un peu de naïveté face à l’ampleur du projet mais je ne regrette rien. J’aime cette aventure centenaire et les valeurs humaines véhiculées. »
En pleine croissance, les deux cédants prévoyaient de rester un an aux côtés des deux repreneurs mais… « Entre les gilets jaunes, le Covid, l’Ukraine, le prix de l’énergie… Du coup, on a construit le développement de l’entreprise à nous quatre. Ça s’est fait naturellement, sans vraiment le mesurer. On est raccord sur toute la ligne. » Mais les années avançant, Martine fête cette année ses 70 ans quand l’entreprise du patrimoine vivant a célébré son centenaire et peut se targuer de réaliser 9 M€ de chiffre d’affaires en 2023. « Ils arrêteront cet été. » Martine Couturier a transmis à la repreneuse toutes ses connaissances de la production. Constance Nicaise gère également les ressources humaines autour des 94 collaborateurs ainsi que le réseau de 28 boutiques, en propre ou en franchise simplifiée à la sauce Perrin. Damien Schneider assure lui les aspects financiers et le développement numérique.
Pour les 100 ans de l’entreprise, les quatre marques fabriquées dans les ateliers Perrin ont d’ailleurs été réunies sur un même site internet. Avec leurs identités propres, Berthe aux grands pieds, la Chaussette française, Dagobert à l’envers et Manufacture Perrin, disposaient en effet jusqu’alors chacune d’un site dédié. Au fil des ans, Constance Nicaise reconnaît avoir pris quelques rides mais affiche une certaine fierté à avoir rejoint la communauté du textile français. « Nous ne sommes plus que sept fabricants de chaussettes en France. Je les vois comme des collègues car, selon moi, la concurrence vient de l’étranger. »
Chaque année, 500 millions de paires de chaussettes sont consommées en France et seuls 5 % sont fabriqués dans l’Hexagone dont 1,5 million sortent de la la Manufacture Perrin. « Si tous les Français achetaient dans l’année une paire de chaussettes conçues en France, à nous sept, on ne pourrait pas tout produire » conclut-elle sans se départir de son sourire.