Issu d’une famille (père chirurgien, mère anesthésiste) éloignée du monde de la gastronomie, c’est par vocation, dès l’adolescence, que Daniel Jung a intégré la prestigieuse École hôtelière de Lausanne. « Je voulais vraiment travailler dans ces métiers de l’accueil, du loisir. J’ai une maman qui cuisine très bien, on est une famille d’épicuriens, on aime bien manger, on aime bien recevoir et j’ai été à cette école-là ». Durant cinq ans, il apprend la cuisine, le service, la gestion et le management, tout en ayant l‘opportunité de faire ses stages dans de très belles adresses, comme chez Frédy Girardet à Crissier, nommé « cuisinier du siècle » en 1989 par le Gault et Millau, ou Le Scribe à Paris… des apprentissages repérés par le général-gouverneur de la 6e région militaire dans l’Est de la France : c’est comme majordome de ce haut-gradé que Daniel Jung fera ses classes.
« J’étais en charge de la totalité de ses déplacements, de ses réceptions au Palais du gouverneur. Il fallait organiser le protocole avec les différents grades, les notables, les politiques, les stars. J’ai appris énormément de choses, notamment sur la façon de servir et de dresser les tables de façon spéciale, de coordonner les différents métiers mobilisées sur des prestations. Ce sont des choses monumentales au Palais, entre 500 et 700 personnes la plupart, avec orchestre de chambre, traiteur dehors, les spectacles. Cela demandait pas mal de jeu de jambes ! ».
Amère expérience
Après cette expérience formatrice, le jeune homme débarque à Paris et commence à travailler dans le marketing, dans la filière chèque-restaurant du groupe Sodexho, pour créer des avantages pour les utilisateurs. « Je fais ça pendant un an et demi et je me rends compte que le marketing n’est pas mon truc. J’ai besoin d’être sur le terrain, au contact d’équipes, j’ai besoin d’un peu plus d’adrénaline ». Daniel Jung trouve sa dose comme contrôleur de gestion au sein du groupe Flo, qui en surfant sur le succès des brasseries éponymes, était devenu un leader de la restauration à thème en Europe et possédait aussi des institutions parisiennes : La Coupole, Bofinger, Le Terminus Nord, la Brasserie Julien… Il est envoyé sur ses terres natales à Metz pour faire l’audit d’un nouvel établissement du groupe. Après le départ du directeur, Daniel Jung reste sur place : « On m’a dit : tu ne bouges pas, tu fais ce que tu peux, on t’envoie quelqu’un. Je suis resté six ans et demi, s’amuse-t-il. Ça arrangeait tout le monde, j’étais local, mes parents avaient un réseau assez important et le métier sur le terrain me plaisait pas mal… Quand je suis arrivé on faisait grosso modo 200 couverts, on en faisait presque 500 lorsque je suis parti ». Cette parenthèse messine lui permet aussi de peaufiner son expérience dans l’organisation de grandes fêtes et d’évènements. « Je me suis vraiment éclaté. Puis je me suis senti un peu à l’étroit dans du mono-site, j’avais 27 ou 28 ans… Je suis parti chez Häagen-Dazs, dans leurs salons de thé pour faire du développement dans leur réseau de franchise ». Le Messin habite à ce moment dans le Var où il est rappelé par le groupe Flo qui vient de faire l’acquisition des 80 restaurants de la chaîne Bistrot Romain. Un audit est lancé avec une équipe resserrée dont Daniel Jung va faire partie. Et très vite, il comprend que son travail va consister « à couper toutes les branches mortes ». Une époque de casse sociale sur laquelle il n’aime pas s’étendre et qui l’a profondément touché. « C’est une période pas très gaie où j’ai fait des plans sociaux et fermé pas mal d’établissements. Je l’ai fait avec honnêteté et loyauté. Mais je ne suis pas un killer. Ça m’a vraiment coûté psychologiquement ».
Revoir le positionnement
Il quitte le monde de la restauration et rejoint le groupe de dermocosmétique Parashop, puis Quick où il travaille au développement de franchises, avant d’être chassé sur LinkedIn par JOA, opérateur d’établissements de jeu. « Le groupe cherchait quelqu’un pour reprendre ses activités annexes aux casinos : restaurants, bars, salles de séminaires, discothèque... » Comme directeur général, Daniel Jung créé un concept de restauration, le « comptoir JOA » pour les sites du groupe, travaille sur le merchandising, le marketing, la rénovation... « J’étais au Comité de direction et au comité exécutif et stratégique, j’ai eu la chance de vivre trois changements d’actionnariat. C’était extrêmement de travail, mais passionnant ».
« Nous voulons casser cette image d’une Cité chère, inaccessible, élitiste. »
Daniel Jung a ensuite l’envie « de voler de mes propres ailes », quitte JOA et emménage avec son épouse, une Bourguignonne, à côté d’Auxonne où il ouvre une société de consulting. Et c’est là qu’il rencontre William Krief, le fondateur et investisseur principal de la Cité internationale de la gastronomie et du vin (CIGV). « J’ai croisé sa route, ça a plutôt bien matché et il m’a dit : “Il y a un challenge ici”. » Et c’est ainsi qu’en octobre 2023, Daniel Jung se retrouve directeur général du Village gastronomique de la CIGV, soit neuf boutiques et la cuisine expérientielle, un écosystème pensé, voire théorisé, pour les Dijonnais dont on s’aperçoit très vite après son ouverture, qu’il loupe totalement sa cible...
« Un quartier dijonnais »
« La difficulté ici lorsqu’ils ont ouvert est qu’ils ont voulu créer une sorte de marché, analyse Daniel Jung. Et ce n’était que des boutiques. Avec des produits très beaux, sourcés, mais aussi très chers. Alors qu’il y a des Halles à Dijon qui fonctionnent très bien ». Depuis son arrivée, Daniel Jung s’attache donc à transformer le Village : « Pour le moment ce sont des boutiques dans lesquelles on peut manger… demain, il faudrait que ce soient des restaurants dans lesquels on peut aussi acheter. La transformation elle est là. C’est mon leitmotiv en fait : assurer cette mutation, faire de ce lieu un espace de restauration, multifacettes, multi-évènements aussi sans que ce soit connoté boutiques ».
La transformation a commencé : le restaurant Meurette&Persillé de Florent Colombo a ouvert au lendemain de Noël 2023 « et on a inversé les pourcentages entre vente et restauration à l’Écaille et au Billot (poissonnerie et boucherie, ndlr), on vient de faire 80 couverts sur les deux boutiques ». Quant à la cuisine expérientielle, elle évolue d’un concept vers un véritable restaurant, « avec une croissance très forte, sur la partie restauration et bar ».
Un effort a été fait sur les prix, les allées vont être végétalisées et Daniel Jung espère que la place du Village devienne un lieu de vie accessible et animé. Quant à faire venir les Dijonnais... « C’est presque l’enjeu majeur, sourit Daniel Jung. Naturellement, les touristes se sont appropriés la Cité. Mais ce n’était pas l’idée de départ ! Aujourd’hui, nous travaillons main dans la main avec la ville pour que la Cité devienne un quartier dijonnais. »