David Barth, fondateur de Pixii, premier appareil photo directement connecté à une application mobile, est ce que l’on peut appeler un geek, du style Macgyver, pour le côté démontage et remontage de toutes sortes de machines. « J’ai très tôt eu une passion pour les objets techniques que l’on pouvait manipuler, dont on pouvait explorer le mécanisme pour en comprendre le fonctionnement ». C’est d’ailleurs en désossant un vieil appareil Leica acheté d’occasion, datant de 1932, dont la pause longue est grippée qu’il constate que « la mécanique ressemble énormément à ce qu’on peut trouver dans une montre, on y entend même le temps s’écouler... Je suis bluffé, et c’est ainsi que germe en moi l’envie de réaliser mon propre appareil photo ». Son idée se peaufine, quand, voulant prendre une photo dans un environnement sombre, il utilise la lumière de son smartphone pour éclairer son sujet : le concept Pixii venait de naître... Mais n’allons pas trop vite et rembobinons quelque peu le film des événements. À 11 ans, David Barth a son premier ordinateur, un Commodore 64 et à 17 ans, avec un copain, il développe un jeu vidéo, qu’il réussit à vendre à Ubisoft. Contre toute attente, côté étude, il choisit d’abord l’économie. « Mon oncle était professeur d’économie et avec lui, je lisais The Economist et des livres d’entrepreneurs… J’avais une vraie appétence pour les théories éco... ». Tombé dans Linux dès les premières heures, en maîtrise, il prend une passerelle pour obtenir un DESS « parallel computing ». « À cette époque, travailler sur Linux, c’était un peu faire acte de rébellion. C’était également le début d’internet, là encore un monde en construction qui ne comptait que quelques pionniers avides de liberté ». C’est dans ce cadre qu’il rencontre Didier Sikkink qui avec Jean-Michel Planche ou Didier Soucheyre fait parti des pionniers de l’Internet français. « C’est un associé de Didier qui m’offrira ma première expérience professionnelle au Canada ». De retour en France après un passage par la Suisse « pour se frotter à un sujet de thèse », David Barth se voit offrir, au début des années 2000, l’opportunité d’intégrer une start-up parisienne qui participe à la conception du Mandriva flash permettant de transformer n’importe quel ordinateur en Linux. Après « dix ans de costume-cravate », on le retrouve chez LaCie (un partenaire d’Apple, concepteur de disques durs robustes et design), avant de travailler pendant huit ans avec Mark Shuttleworth, de Canonical, sur le projet Ubuntu (système d’exploitation Linux simple d’accès). « Quand je repense à mon parcours, deux images se juxtaposent : moi, à 17 ans parti en 4L vendre mon jeu chez Ubisoft et le même moi, 20 ans plus tard, revenant d’Afrique du Sud en jet avec un milliardaire comme patron. Il n’y a pas plus grand écart ! ».
C’est au cours de ses pérégrinations au côté du self-made man anglo-sud-africain, deuxième touriste spatial après Dennis Tito, que David Barth va développer son esprit créateur, galvanisé par cet environnement du « tout est possible ». « J’avais ce besoin de reprendre le leadership de ma vie. J’ai alors réfléchi à ce que je pouvais faire, ce qui m’animait : il y avait la mécanique, bien-sûr mais aussi le design, le côté artistique et la photo… ».
Le goût du beau, David le cultive très tôt, en couche culotte, dans l’univers très design d’un père détenteur d’une galerie contemporaine à Besançon : « je prenais mon biberon, puis un peu plus tard mon goûter, sur des meubles Bertoia ». Quant à la photo, le déclic, on l’a vu, ne date pas d’hier... Le kaléidoscope de ces différentes appétences va enfin pleinement se révéler dans le projet Pixii. « Alors que la nouvelle génération apprend la photographie avec un smartphone, plus personne ne comprend pourquoi un appareil doit encore s’encombrer d’un écran ou de cartes mémoires. Avec Pixii, j’innove en combinant un véritable boîtier photo et une application mobile qui en décuple l’évolutivité ». L’appareil offre un viseur télémétrique original et la compatibilité avec les optiques Leica (mais aussi avec des références anciennes comme Leitz, Zeiss ou Voigtländer). Autonome, dépourvu d’écran, il enregistre l’image brute en laissant le contrôle des paramètres de prise de vue au photographe et propose même un mode exclusif monochrome. En même temps il communique, en Wi-Fi ou en Bluetooth (une première dans le monde des appareils photos), avec une application mobile qui développe et révèle les images sur l’écran du smartphone, rendant possible un partage direct sur les réseaux sociaux. Dès qu’une photo est prise elle peut être retraitée ou partagée. Sur l’origine du nom Pixii, David Barth raconte avoir d’abord cherché du côté des vieilles marques françaises d’appareils photos qu’il pourrait revisiter ou des pionniers comme Nicéphore Niépce, inventeur de la photographie, avant de se recentrer sur sa propre histoire :
il y avait toujours cette idée d’éléments mécaniques qui me faisaient vibrer enfant, les viseurs, les retardateurs ou encore les manivelles des vieux Rolleiflex, je voulais de cet esprit-là dans mon appareil. C’est comme ça que j’ai trouvé le nom de l’inventeur de l’ancêtre de la dynamo, un français : Hippolyte Pixii. Et en plus cela fait également penser à pixel ce qui fonctionne aussi »
Transgénérationnel
En se plaçant sur un créneau de niche comme Leica et se servant de sa propre histoire, celle d’un Bisontin né dans la patrie de l’horlogerie et des micro-techniques, David Barth voit son projet prendre corps, se rationaliser. Il réunit d’anciens mécaniciens de chez LaCie et crée sa SAS en 2015. Celle-ci se situe au Sidhor, un bâtiment bisontin mythique où Fred Lip lui-même a mis au point la première montre électrique au monde. Là, sont assemblées les plus de 300 pièces de son appareil photo, pour une bonne moitié « made in France », l’électronique est, elle, asiatique. « Nous venons titiller le terrain de jeu de Leica, celui du viseur télémétrique, où il était seul depuis plus de 10 ans. Toutefois, notre orientation n’est pas dans le classicisme, le vintage, mais tournée vers le futur. Notre appareil invite à la magie de la découverte du “je comprends la photo”. La technique devient intuitive, elle n’est pas polluée par l’écran. Pixii répond aux attentes de jeunes qui n’ont jamais fait d’argentique, qui ont commencé par le smartphone et qui s’enthousiasment pour la photo sur Instagram. Notre boîtier, au design moderne, contemporain, épuré, à l’image d’Apple, contente également ceux en recherche d’appareils télémétriques-numériques ». Après une phase de mise en place des financements auprès de Bpifrance, l’obtention d’une bourse French Tech et un apport personnel de plusieurs centaines de milliers d’euros, à l’été 2018, la start-up a levé 500.000 € d’amorçage pour entrer sur le marché. Après avoir sorti le premier appareil photo 64 bits au monde, Pixii a développé deux autres appareils : le Pixii + et son télémètre étendu avec correction dioptrique, puis tout récemment le Pixii Max doté d’un capteur plein format de 24,5 millions de pixels (contre 12 jusqu’ici) et d’un viseur grand angle. « Notre dernier né intègre également un afficheur miniature interactif qui projette des indications essentielles (vitesse, compensation d’exposition, balance des blancs…) directement dans le viseur optique.
Cela permet d’interagir avec les réglages de l’appareil sans avoir à sortir l’oeil du viseur, pour une expérience encore plus immersive. C’est quelque chose d’unique que l’on ne retrouve même pas chez Leica », affirme celui qui a vu plus d’une de ses innovations (mémoire interne connectée à un lecteur USB-C, transfert d’image par bluetooth…) imitées par la concurrence. Aujourd’hui, David Barth et sa petite équipe de quatre personnes envisage une seconde levée de fonds pour « faciliter une croissance rapide et ordonnée ». L’entrepreneur se trouvant actuellement dans ce qu’il nomme la vallée du désert. « Nous n’avons pas suivi un process industriel classique. Nous avons sorti un produit le plus vite possible et peaufiné celui-ci ensuite en testant sans cesse de nouvelles idées. Pour cela, il nous a fallu parfois designer nos propres composants, ce qui nous a permis de gagner en agilité et en autonomie notamment pendant la crise de la Covid et celle des composants qui a suivi. Quand je regarde dans le rétroviseur, je me dis : notre modèle est avancé et vertueux. Le ticket d’entrée technologique on l’a et notre besoin en R&D est 100 fois plus petit que les acteurs de ce marché, car s’appuyant sur des technologies empruntées aux smartphones produites par milliards à bas coût. On a des appareils photos pour lesquels on a défini le bon prix (autour de 3.000 €, Ndlr) et la bonne marge. Nous avons dès le départ vendu à l’international avec 50 % de notre chiffre d’affaires réalisé aux États-Unis, 30 % en Asie et le reste en Europe (avec la France comme premier marché). Et pourtant aujourd’hui, si on a bien atteint le deuxième palier de notre fusée entrepreneuriale, on est grippé, ça n’avance pas assez vite. On est en plein milieu de l’Atlantique peinant à avancer sur un radeau gonflable : ce n’est plus la bonne embarcation ! ». Pour enrayer cette lenteur sédimentaire, David Darth cherche ainsi à muscler son entreprise. Il estime avoir besoin d’1,5 M€ pour lever les freins et changer d’échelle, avant d’envisager une troisième levée de fonds plus importante à 24/36 mois afin cette fois d’élargir sa gamme, ainsi que sa clientèle avec des produits plus accessibles.