Il est des enfances qui, par les stigmates qu’elles impriment en nous, font destinée. Celle d’Anne Vignot, élue en juillet maire de Besançon et présidente de Grand Besançon Métropole est du nombre.
C’est au cœur de la cité ouvrière de Tavaux, près de Dole, dans le Jura, que la petite Anne nait en 1960, d’un père ouvrier chez Solvay et d’une mère au foyer. La famille Vignot, nombreuse, compte un garçon et quatre filles, dont une paralysée : « J’ai été très marquée par cet environnement au déterminisme social prégnant, cela m’a très tôt construite sur des bases solides, confie-t-elle. Ma mère nous disait : “nous sommes ouvriers, de l’autre côté, ce sont les ingénieurs” ».
En posant comme acquises ces barrières de ségrégation liées à la position sociale, elle alimentait en elle un désir de transgression, de franchissement du Rubicon. Mais loin d’être mue par un sentiment d’envie à la Eugène de Rastignac ou par l’idéalisme exacerbé d’un Julien Sorel, cet élan émancipatoire n’avait alors pour seul ressort que la simple curiosité de vouloir passer l’œil de l’autre côté du mur.
Des graines d’appétence aux questionnements scientifiques qui trouveront, plus avant, un terreau fertile pour germer au cœur de son parcours professionnel « J’ai développé très jeune un intérêt pour la façon dont se construisent et s’organisent les sociétés humaines : comment les interactions sociales s’institutionnalisent, se transforment en traditions... le rôle de l’environnement, de la culture ».
En questionnant un certain fatalisme familial qui pose comme base de réussite sociale le fait de « devenir secrétaire chez Solvay », en cherchant à en comprendre les rouages, Anne Vignot va se construire une personnalité toute en pugnacité, capable d’encaisser les chocs et de saisir les opportunités au rebond sans a priori castrateurs de son action.
« Notre mère cultivait une certaine dualité : d’un côté, elle nous demandait d’assumer notre statut d’ouvrier, de l’autre elle nous incitait à rêver d’autres choses. Son univers personnel était en cela plus vaste que celui de mon père. Elle s’évadait, explorait le monde par la lecture du dictionnaire, nous parlant d’Égypte ou d’Amérique... Elle avait peu de moyens mais beaucoup d’imagination ».
Ainsi, si côté maternelle des barrières étaient posées, elles n’étaient pas fermées à double tour. « Nous avions une sorte de pacte : si nous atteignions le graal du niveau de secrétaire, nous étions autorisés à poursuivre nos études », raconte Anne Vignot.
Ainsi, l’ensemble de la fratrie dépassera allègrement ce niveau “assurance vie”. Pour la jeune Anne - une fois obtenu son baccalauréat G1 en secrétariat - les premiers pas d’étudiante se font sur les bancs de la faculté de droit à Besançon « pour suivre l’exemple de mes sœurs ».
Puis, c’est la rencontre avec la géographie, une discipline qui par son volet consacré à l’organisation des sociétés agit chez elle en madeleine de Proust, véritable réminiscence de ses questionnements et autres introspections de petite fille.
Embrassant pleinement cette voie, Anne Vignot obtient un DEA en géographie, avant d’intégrer, en 1984, le Centre national de recherche scientifique (CNRS), d’abord en tant que technicienne puis comme ingénieure de recherche. Elle étudie notamment l’aménagement du territoire à l’époque gréco-romaine. Un champ qui lui permet d’explorer les questions d’organisation du travail, de gouvernance... prémices à son entrée en politique.
Un monde qui viendra la chercher et non l’inverse : « Je ne me suis jamais projetée comme maire ou comme présidente d’agglomération, j’ai construit ma vie dans le rebond, par ricochets », explique l’édile. Ainsi, c’est en s’investissant dans des associations de défense de l’environnement (un rapport à la nature qu’elle cultive depuis le plus jeune âge) qu’elle se retrouve, bottes de caoutchouc aux pieds, à effectuer un travail de prélèvement de sol dans les tourbières de Frasne(25), pour le compte du Conservatoire régional des espaces naturels (dont elle a pris la présidence en 1998).
Sur place, au milieu des rossolis et autres plantes carnivores, elle apprend que le jardin botanique de Besançon, comme beaucoup d’autres en France, est voué à la fermeture, victime d’un a priori postulat que la botanique serait une science dépassée qui appartiendrait au XIXe siècle : « Nous étions au début des années 2000 et le monde s’éveillait à la notion de biodiversité, à son érosion et à la nécessité de sa sauvegarde. Je ne comprenais pas pourquoi nous voulions ainsi tourner le dos à un tel outil pédagogique ».
Ne pas se murer derrière de stériles compétitions
Elle fait alors le pari de démontrer que la botanique ne doit pas être remisée, qu’elle a un rôle fondamental à jouer. Celle qui est déjà ingénieure de recherche au laboratoire Chrono-environnement de l’université de Franche-Comté, prend alors la direction du jardin botanique bisontin (de 2006 à 2014) et porte la création d’une licence professionnelle mention espaces naturels, spécialité métiers du diagnostic, de la gestion et de la protection des milieux naturels.
Ouverte en 2009, cette dernière enregistre aujourd’hui plus de 600 candidatures pour un peu plus d’une vingtaine de places disponibles. Cette même année, un certain Eric Alauzet - figure de l’écologie bisontine - approche la militante pour l’inviter à prendre part à l’aventure des régionales de 2010. « D’emblée, je me suis dit : “pourquoi pas !” », se souvient-elle.
Néanmoins en adepte de la méthode scientifique, elle entend valider son choix auprès d’un échantillon de connaissances représentatif de la population : « j’ai interrogé un journaliste, un voisin, mon fils... en leur demandant ce qu’ils feraient à ma place... ». Et quand, certains la mettent en garde contre ce monde politique du “tous pourris”, elle oppose son envie de « mettre les mains dans le cambouis », de passer les barrières de l’attentisme et de cette posture d’opposition non constructive pour « s’emparer de ce qui ne fonctionne pas ».
C’est ainsi qu’à 50 ans elle décroche son premier mandat de conseillère régionale : « Pour moi, le politique est un outil qui doit permettre de changer la société, un espace structuré où l’échange est possible et non une fin en soi... J’ai dû apprendre à composer avec les jeux de rôle politiques... Ce fut très initiatique ».
En 2014, nouvelle campagne électorale. Région ou ville : la question de l’échelle se pose alors : « Avec la région, nous raisonnons à un niveau global, avec la ville la focale est plus locale, mais pas moins intéressante ».
Pour ce nouveau scrutin les écologistes sont alliés, dès le premier tour, à Jean-Louis Fousseret, en quête d’un troisième mandat à la mairie de la capitale comtoise. Après la victoire, Anne Vignot rentre dans l’exécutif comme adjointe en charge de l’Environnement et découvre les rouages des schémas décisionnels. En 2018, Besançon est sacrée capitale française de la biodiversité. Et Anne Vignot décide, avec son groupe EELV, qu’au vu des enjeux écologiques et de justice sociale, une authentique liste d’écologie et de gauche doit être formée pour 2020.
« La société se doit de porter un soin particulier aux plus vulnérables, d’être pleinement solidaire. L’écologie, dans son fondement, a toujours eu cette dimension ancrée en elle ». La victoire est au rendez-vous, portant les écologistes pour la première fois à la tête de la municipalité. La suite : elle entend mener, autant que possible, ses équipes dans la bienveillance, « avec moins d’effet de verticalité, de décisions pyramidales... Je me méfie de la déférence liée au statut, je veux pouvoir rester moi-même, pour apporter quelque chose de positif à une société qui se doit d’évoluer ».
« Pour moi, le politique est un outil qui doit permettre de changer la société et non une fin en soi... ».
Toujours côté méthode, la nouvelle élue entend créer des groupes de travail qui n’impliqueraient pas seulement les élus, mais tous les acteurs, les citoyens... « Si nous n’embarquons pas un maximum de personnes dans la résolution des urgences auxquelles le monde est confronté, nous ne les jugulerons pas ».
Sur la question dijonnaise, là encore Anne Vignot répond logique de territoire, synergie et non compétition. « La Covid nous a démontré que c’est par la solidarité et la proximité que nous avons pu éviter l’effondrement de la société. Face à la crise mondiale dans laquelle nous nous sommes inscrits, la réponse ne peut se trouver dans une opposition entre deux territoires comme Dijon et Besançon. À notre échelle, la compétition est délétère, c’est de l’énergie perdue qu’il serait plus utile d’utiliser pour construire un futur commun. C’est pourquoi, je vais prochainement inviter Monsieur Rebsamen, pour discuter d’alliance de territoires pour être plus fort dans un paysage global... De même, j’entends ne pas me polariser sur ce seul binôme métropolitain. Je chercherai à fédérer d’autres pôles comme Mulhouse ou le transfrontalier... Je n’exclus rien ! ». De quoi ne jamais se retrouver au pied du mur.