Développeur dans l’âme
Alexandre Arnodo. Après dix ans passé au pôle culture de la ville de Besançon, ce bisontin d’adoption a pris la direction de la Citadelle de Besançon, le 18 janvier de cette année. La vision et le projet qu’il porte pour ce site, qui lui a toujours fait envie, se résument en trois mots : accueillir, animer et incarner.
Né sur la frontière allemande, dans la petite ville de Forbach en Moselle, d’une famille modeste, rien sur le papier ne prédisposait Alexandre Arnodo à prendre la direction de la Citadelle de Besançon, patrimoine mondial de l’Unesco et troisième site touristique de Bourgogne Franche-Comté. Côté formation, converti par l’adage familiale qui veut que seule des études longues offrent de réelles chances d’obtenir un bon travail, il s’oriente vers le droit et intègre une prépa HEC à Metz, avant de décrocher en 2004, un DEA en droit communautaire à l’université de Nancy. Et même si son cœur lui souffle une autre musique, celle du théâtre, de la culture et des arts créatifs, il enchaîne sur un concours administratif pour poser ses valises à Lons-Le-Saunier comme directeur adjoint des affaires juridiques et des marchés publics au Conseil départemental du Jura. Poursuivant dans le droit et le chiffre, il arrive à Besançon en 2005, pour intégrer, en juin 2006 le service juridique à la Ville de Besançon. Quatre ans plus tard, l’opportunité se fait jour - pour notre amoureux de la culture - de poser sur une même partition cœur et raison, en intégrant les équipes du pôle culture de la ville de Besançon, d’abord comme secrétaire adjoint, puis comme directeur adjoint d’une version élargie au tourisme et à l’agglomération. « J’ai toujours eu un attachement profond, une attirance en vers les métiers de la création qu’ils soient artistiques ou liés à l’artisanat. Je suis admiratif devant ces “concepteurs de choses”, qui fort de leur intelligence pratique sont capable de prévoir quatre coups à l’avance... ». Une appétence pour la culture qui s’est construite au gré de rencontres marquantes, avec un professeur de littérature qui l’éveille et forge sa curiosité ou avec un second, en art plastique, avec qui il lie amitié. « Dans mon parcours, il n’y a pas de déterminisme, juste une ouverture d’esprit, une envie de connaître... Le droit n’aura été finalement qu’un outil pour aller vers quelque chose qui me représente pleinement ».
« Je souhaite que la Citadelle devienne pleinement un objet d’attention collective, fédérant l’ensemble du territoire régional ».
Quand en 2020, il apprend que la direction de la Citadelle de Besançon est à prendre, Alexandre Arnodo s’attèle à formaliser les grandes lignes d’un projets audacieux pour cet édifice emblématique qu’il suit de longue date. Le jury est aussitôt séduit par cette vision dynamique et ouverte sur la ville et ses acteurs défendue lors de son recrutement. C’est ainsi que le 18 janvier de cette année, il prend officiellement ses fonctions au sein de ce monument classé au patrimoine mondial de l’Unesco : lieu à la fois unique dans son ensemble et multiple dans sa composition où se croisent des enjeux touristiques, culturels et environnementaux majeurs pour le territoire. « Par la présence dans ses murs de trois musées de France, par la grande variété de publics ciblée, par sa vraie richesse, la Citadelle m’a toujours fait envie. Nous nous étions déjà plusieurs fois approchés, côtoyés comme lorsque j’ai participé à sa mise en régie, ou au projet de rénovation du musée de la Résistance et de la Déportation... Je connais donc bien ses équipes, ainsi que les enjeux et les défis auxquels le site doit faire face. Je suis plutôt un développeur dans l’âme. J’aime prendre les choses dans un état initial et les projeter ailleurs, pour révéler leur plein potentiel... Jusqu’ici, au travers de mes précédentes missions, c’est surtout les idées des autres que je devais mettre en mouvement, avec la Citadelle j’ai cette chance unique de pouvoir incarner une action, rendre concret des réflexions, des pistes de développement et en voir les effets au fil du temps. Un temps nécessaire long, tant nous sommes ici à l’école de la ténacité ».
Pour son nouveau directeur, l’avenir de la Citadelle s’articule autour de trois mots totem : accueillir, animer et incarner. « Ce lieu imposant et complexe qui reçoit chaque année quelque 270.000 visiteurs sur 12 hectares, impose d’être modeste face à l’œuvre. Mais cela ne sous-tend pas un immobilisme dans l’action : Un site inscrit sur la liste Unesco ce n’est pas qu’un tampon qu’on appose en bas d’une feuille, bien au contraire, ça se vit. Il faut pouvoir offrir aux visiteurs l’expérience qu’ils sont en droit d’attendre d’une offre touristique labellisée Unesco, défend Alexandre Arnodo, précisant que, pour bien accueillir, il faut partir du public, prendre en compte l’accessibilité, la minéralité des lieux, la question de la chaleur, écrasante en été, chercher à surprendre... ». Pour ce faire, le directeur évoque déjà les premières pistes avec les travaux de rénovation en cours sur le restaurant pour une réouverture au mois de juin, avec la création à côté d’un jardin d’aromates, qui servira à la fois aux cuisines de l’établissement et participera à végétaliser le site. « Un jardin des légumes anciens de Vauban est également envisagé en lien avec les espèces locales et le musée comtois. Pour la question du soleil, nous allons travailler à l’installation de nombreux voiles d’ombrages permettant la création de zones de pique-nique. Il s’agira également de refaire les sanitaires... ».
Développer le volet hôtellerie
Accueillir, c’est aussi recevoir. « Trop longtemps, la Citadelle a été perçue comme le lieu familial par excellence, le “zoo” de la ville où l’on vient avec les enfants pour voir les animaux. Si cette dimension existe, il est temps, à l’heure où une réflexion s’engage sur l’avenir du parc animalier, d’élargir notre clientèle, d’enfin oser nous adresser directement aux adultes. Je travaille par exemple avec des restaurateurs pour proposer des diners nocturnes en terrasse. Toujours côté restauration, nous avons programmé la refonte des plafonds de l’actuel restaurant pour faire apparaître la charpente d’origine de toute beauté. Cela devrait voir le jour en 2027, donnant à l’établissement une authentique dimension Unesco. J’ai également en projet de développer tout une offre hôtelière, avec notamment la création d’habitats insolites en matériaux biosourcés... ». Sur le volet animation, Alexandra Arnodo fait le constat qu’« avec le temps la Citadelle s’est coupée de son territoire. Or celui-ci est riche de talents, de compétences et de ressources qui ne demandent qu’à être mobilisés ». Dans ce domaine, le directeur, de par ses anciennes fonctions qui l’ont vu travailler de concert avec des acteurs aussi variés que ceux de la Scène Nationale, de La Rodia, du Centre dramatique national (CDN), de l’École d’art, de l’Orchestre de Besançon, du Conservatoire à rayonnement régional (CRR), des offices du tourisme, ou encore des musées et bibliothèques de la ville, apporte un vaste réseau qui ouvre tous les champs des possibles. « La Citadelle est un véritable écrin pour la création visuelle, les arts vivants... Mon souhait, c’est que l’on assiste à plus de spectacles, plus d’expositions. Nous travaillons dès cette année à une programmation avec les acteurs locaux de la culture. Et pour l’année suivante, une grande exposition sur le cirque Plume et bon nombre de surprises sont déjà dans les tuyaux. Pour l’avenir, je me suis rapproché d’un cabinet d’architecte pour voir si l’imposant hangar aux manœuvres ne pourrait pas se muer en lieu de spectacles et de congrès... Par ailleurs, nous sommes en train d’imaginer un travail sur la lumière pour magnifier les lieux. J’ai pris contact avec le lycée professionnel Ferdinand Fillod, à Saint-Amour dans le Jura qui possède une section ferronnerie d’art, pour retravailler avec eux sur les lanternes de la Citadelle... J’envisage de démultiplier ce genre de démarches, notamment avec le lycée du bois à Mouchard. L’objectif : s’ouvrir largement à l’extérieur, tendre la main au territoire, le faire vivre ». Enfin, reste à incarner l’Unesco. « C’est un label large. L’Unesco vise à construire la paix au travers de l’éducation, de la culture, des sciences et de la biodiversité. Or la Citadelle possède tout cela en elle. Son musée de la Résistance et de la Déportation appelé à rouvrir à l’automne 2023 dans une configuration totalement repensée, et le lieu qui témoigne du “plus jamais ça”, un outil citoyen qui vise à éduquer pour éviter la répétition de l’histoire. Notre musée comtois nous parle de mixité culturelle, d’identité. Enfin le Muséum, permet de découvrir et de comprendre la biodiversité. Souvent méconnues du grand public, ses très riches collections des sciences naturelles offrent notamment un rempart éclairé au populisme actuel ». Quant au vivant, son futur fait actuellement l’objet d’un processus de concertation d’un an qui associe scientifiques, experts de la biodiversité, associations, partenaires de la conservation animale. Prévue en deux temps, la démarche doit permettre à un éthologue d’établir sur six mois un état des lieux relatif au bien-être animal des espèces présentes. Suivra la rédaction d’un document cadre définissant le parc zoologique de demain dans toutes ses composantes scientifiques (conservation, recherche) et pédagogiques. Il établira le choix des espèces présentées ainsi que les aménagements nécessaires en cohérence avec la complexité et les contraintes architecturales du site. « Il faut bien garder à l’esprit que la Citadelle n’est pas un “zoo vitrine” mais un espace animalier de recherche et de conservation qui accueille plus de 70 % d’espèces menacées. Pour exemple, un grand nombre des Ibis qui volent aujourd’hui en Andalousie sont nés ici, il en va de même, plus localement, de l’apron... Moins connu, la Citadelle travaille aussi à la protection de la biodiversité au-delà de ces frontières, notamment avec VNF sur un programme de capture, d’hébergement et de reproduction à la Citadelle de couleuvres vipérine avant travaux d’aménagement et réintroduction sur site six mois après. De même nos travaux sur les remparts s’accompagnent systématiquement de la création de nichoirs pour les oiseaux (faucon pèlerin, grand-duc...) ».