Le onze novembre 2016, dans les rues de Lyon, Marin, 20 ans, prend la défense d’un couple agressé. Il est violemment frappé ; laissé pour mort et amené à l’hôpital. Un seul neurochirurgien accepte de l’opérer. Celui qu’on appelle le « docteur A » tente la première opération au monde d’un patient en état de mort cérébrale. « Quand ils m’ont dit, il vient en réanimation, j’ai dit : non non, au bloc opératoire ! » Ces collègues lui rappellent le risque d’une telle intervention. « Je n’ai pas hésité à l’opérer, je n’ai pas d’autre choix ! Si moi j’étais à sa place ou si mon fils était à sa place, j’aimerais bien que quelqu’un me donne une chance de vivre, même si elle est très minime. » Il reçoit le feu vert des parents. « À ce moment j’ai oublié tout le reste, je vais faire le maximum pour sauver ce garçon. Je l’ai opéré et on a gagné, voilà, aujourd’hui, il m’appelle “mon père”. »
Ce chirurgien, c’est le docteur Afif Afif, arrivé en France depuis la Syrie pour approfondir ses études de neurochirurgie, une passion qu’il nourrit depuis son cinquième anniversaire. « À l’époque en Syrie, on n’avait pas de neurochirurgien, et quand quelqu’un me demandait : “qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?”, je disais médecin, et quand on me demandait quelle spécialité je disais “dans la tête” Tout le monde dans le quartier se rappelle de ça à ce jour. »
Déterminé à réaliser son rêve, il débute ses études à Damas, puis décide de partir en France pour développer ses connaissances. Son but est clair : devenir professeur pour créer par la suite le premier service de neurochirurgie en Syrie. Le 1er mars 2000, Afif présente son dossier à l’ambassade de France à Damas. Après quelques mois d’attente, il reçoit une réponse positive. « C’était une très bonne surprise ! » Il atterrit à l’aéroport de Paris, puis emménage à Lyon, « qui on peut dire, est ma ville natale en France ». Sa femme Eiva le rejoindra la même année.
Apprentissage à Lyon
« J’ai commencé dans la meilleure école de neurochirurgie en France, celle de Lyon. » Il est également passé par Grenoble. « J’étais dans le service du grand professeur, l’un des meilleurs professeurs en neurochirurgie jusqu’à maintenant, Alim Louis Benabid, c’est lui qui a inventé la chirurgie de Parkinson, j’ai eu la chance de travailler avec lui presque quatre ans avant qu’il ne parte à la retraite, j’ai appris beaucoup de choses. »
« Au-delà des confessions religieuses et des nationalités, selon le « mazhab » - la doctrine religieuse - on est tous humains, on peut vivre à n’importe quel endroit au monde. On garde le respect pour les autres. »
Il obtient tous les diplômes possibles en neurochirurgie et consacre ses nuits à la recherche. « Quand je finis mes interventions, mes consultations ou mon travail au service, je rentre au laboratoire. »
Un tourbillon de défis
Le docteur Afif Afif est naturalisé fin 2004. « Je pense qu’ils ont trouvé que je travaille, que je faisais des recherches. Ma langue française n’était pas très bien, elle était mauvaise, et rapidement en quelques mois j’ai appris. » Il se souvient des dictionnaires français-arabe et anglais-arabe constamment étalés sur la table des invités, pour la traduction des articles médicaux. « Je dormais entre une heure et quatre heures, c’était une période très intense. J’ai perdu quatorze kilos en six mois ». Au-delà de la barrière de la langue, il affirme ne pas avoir éprouvé de difficulté à intégrer cette nouvelle culture. « L’éducation familiale que j’ai eue en Syrie m’a donné la chance et les méthodes pour vivre avec tout le monde ; j’ai appris à ne pas juger sur les nationalités, les confessions religieuses. On est Syriens, on est ouverts, la plupart sont comme ça. » Afif explique s’être renseigné sur la Révolution, la politique ou encore le mode de vie français grâce à l’école ou encore la lecture. « On a le terrain pour s’intégrer complètement. »
Ce qu’il a apprécié en France, c’est la diversité culturelle. « Je suis quelqu’un d’ouvert, et je pense que les intelligents sont toujours ouverts. En Syrie, ma ville d’amour c’est Damas, et en France, c’est Lyon. » Son aspiration à devenir professeur à l’université et à établir son propre cabinet de neurochirurgie en Syrie commence à s’effriter lorsque la guerre éclate en 2011. Afif Afif décide alors de rester en France. Malgré vingt années d’études comprenant un diplôme de doctorat d’université en neurosciences, il ne parvient pas à obtenir le poste de professeur.
De rêves brisés en nouvelles opportunités
Mais l’opération de Marin redéfinit sa carrière. En 2017, Afif Afif est invité à l’Élysée lors de la remise de la Légion d’Honneur à Marin. Dans son discours, le Président Emmanuel Macron lui rend hommage. « Deux-trois jours plus tard, l’hôpital où je travaille m’a appelé pour me proposer un poste à mi-temps PH (praticien hospitalier, Ndlr) contractuel avec l’échelon 1, alors que j’étais échelon 8. Mais à cette époque, j’avais décidé de venir à Sens. »
Il s’y installe pour fonder un service de neurochirurgie. « À partir de 2019, j’ai opéré des malades venus de l’étranger : Suède, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Allemagne […] J’étais le seul médecin dans ce service. » Ce dernier n’existe plus depuis 2023. Aujourd’hui, le docteur Afif continue à faire des consultations et poursuit ses recherches. Dès septembre 2024, il présente l’un de ses nombreux travaux sur le cerveau humain lors d’une conférence à Chicago. « J’ai ce rêve de recommencer encore dans un hôpital universitaire ou dans un laboratoire la chirurgie, et d’effectuer de nouvelles recherches, surtout pour des projets importants au niveau du cerveau et de la moelle, si j’en trouve l’occasion. »
« T’as jamais baissé les bras »
Face aux épreuves professionnelles, linguistiques ou encore financières, il a pu compter sur les paroles de son épouse, Eiva. « À une époque, je me suis dit que c’était difficile de réaliser mon rêve, j’en ai parlé à Eiva et elle m’a dit : “je n’ai pas l’habitude de te trouver faible comme ça, t’as jamais baissé les bras”. Alors j’ai repris courage, c’était difficile mais la seule façon pour passer cette étape c’est que je travaille encore plus, que je montre à quel point je peux y arriver. » Aujourd’hui, Eiva a également décroché son doctorat en Langue et Littérature arabe, et parmi leurs sept enfants, quatre sont dans la médecine et un est ingénieur informatique. « Donc on a un succès familial, professionnel et personnel avec ma femme est mes enfants, ce que je pense est très important, malgré toutes les difficultés qu’on a vécues », conclut-t-il en leur souriant.