À Tonnerre, dans ce bassin économique jadis prospère qui s’enorgueillissait de compter quelques-uns des fleurons de l’industrie française, la Compagnie Dumas fait figure d’institution, tant l’entreprise a su traverser les époques et coller à l’air du temps.
Dépositaire d’un savoir-faire d’excellence qui lui a ouvert les portes de l’Élysée, mais aussi celles des plus prestigieuses chaînes hôtelières, la manufacture d’oreillers, de couettes et de surmatelas de haute qualité, incarne aussi bien la tradition que l’innovation. Une identité revendiquée par Édouard Dumas. À 36 ans, le président de cette société, dont les origines remontent à 1880, semble aussi à l’aise pour évoquer la saga familiale que pour détailler les engagements RSE d’une marque « 100 % française ». Et pour cause.
Depuis son plus jeune âge, sa vie est rythmée par les ateliers installés depuis 1910 près du bief du moulin. « Lorsque j’ai eu 18 ans, j’ai pris la décision que je deviendrai un jour le président de la Compagnie Dumas », explique-t-il, sereinement. Ce qui s’apparente, aujourd’hui, à une succession naturelle ne l’était pas forcément à cette époque.
En partant suivre ses études à Paris, ce rugbyman accompli nourrissait d’autres ambitions : intégrer le pôle espoirs de Toulouse. Au poste de troisième ligne, Édouard Dumas n’est d’ailleurs pas du genre à ménager ses efforts. Après des tentatives à Bourgoin-Jallieu où il enchaîne les entraînements et les sélections, le jeune homme passe néanmoins à côté de sa scolarité. « Or, je ne voulais pas sacrifier des études supérieures pour une carrière professionnelle, qui restait aléatoire avec des risques de blessures… J’ai arrêté le haut niveau assez tôt, mais le rugby m’a forgé et m’a appris à être vaillant, à encaisser une charge importante de travail en peu de temps. »
Cap sur l’Afrique du Sud
La suite de la partie se joue loin de l’Ovalie, du moins en apparence. À Lausanne, en Suisse, l’étudiant intègre l’École polytechnique fédérale où sur le campus se retrouvent 6.000 étudiants venus des quatre coins de l’Europe. « C’est un univers multiculturel incroyable qui permet une totale ouverture d’esprit.
J’ai fait connaissance d’expatriés anglo-saxons avec lesquels nous nous sommes évidemment retrouvés sur un terrain de rugby… » Après avoir décroché le diplôme d’ingénieur qui le menait « tout droit à la direction de l’usine » tonnerroise, Édouard Dumas emprunte un chemin diamétralement opposé et met le cap sur Johannesburg, en Afrique du Sud où il accepte une mission destinée à rationaliser la logistique de la Zimbulk Tankers, spécialisée dans le transport transfrontalier notamment pour les sites d’extraction de cuivre et de cobalt. Un environnement à mille lieues de la douce quiétude des rives du Lac Léman.
« Nous avons toujours eu le souci de respecter la trilogie : marque, produit, clientèle »
« J’ai voyagé en camion à travers le Zimbabwe, la Zambie, la République démocratique du Congo, traversé des frontières à pied et négocié avec les autorités locales. J’ai appris à prendre des décisions en une fraction de seconde et à gérer l’imprévu. » Malgré une proposition d’embauche, il rentre en France mais, pour le jeune homme au fort tempérament, « il était clairement trop tôt pour que je rentre dans le giron familial. » Édouard Dumas rejoint alors la succursale européenne de Philip Morris à Neufchâtel. « Pendant huit mois, j’ai découvert tous les pôles stratégiques d’une grande entreprise, de la finance à la supply chain, à vitesse grand V. » En octobre 2011, son père lui demande de le seconder à la tête de la Compagnie Dumas. L’heure semblait, cette fois, avoir sonné.
French Flair
Nommé directeur général à 26 ans, Édouard Dumas n’a que trois mois pour prendre en charge la production, gérer les achats et se saisir des rênes de l’entreprise. « J’étais conditionné pour cela et j’avais la volonté d’endosser le costume avec le souci d’être irréprochable dans le job. » D’autant que la transmission constitue parfois une « faille » pour une entreprise, un laps de temps durant lequel les partenaires peuvent « s’engouffrer ». « L’héritage de l’entreprise fait que nous avons toujours été proches de nos fournisseurs. Je ne pouvais pas manquer de crédibilité. » Le nouveau dirigeant imprime d’ailleurs rapidement sa marque.
En 2013, il se penche sur les investissements de la Compagnie Dumas et relocalise 100 % de la production des couettes « premier prix » en Bourgogne. L’année suivante, en précurseur de l’industrie 4.0, il développe en interne un outil de pilotage de la production accessible sur smartphone afin de gagner en flexibilité.
Grâce aux travaux de sa sœur Constance, l’entreprise tonnerroise qui a réalisé dès 2009 son bilan carbone, se lance en partenariat avec Pure Project, un plan de reforestation dans le Pérou. « Aujourd’hui, seules 10 % des entreprises dans le monde ont effectué cette démarche », précise l’entrepreneur. « En 2020, à la fin de ce programme alliant démarche environnementale et dimension sociale, nous avons décidé de relocaliser cette contribution en replantant 15 hectares d’arbres à Minot, en Côte-d’Or. »
En parallèle, Édouard Dumas clarifie le positionnement marketing de l’entreprise en créant trois marques - Dumas Paris, Petit Meunier et Edona, développée en 2019 avec l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) - représentant trois gammes distinctes. « Nous avons toujours eu le souci de respecter la trilogie : marque, produit, clientèle », explique-t-il. « En prenant la suite de mon père, nous avons changé de logiciel parce que l’époque est différente. Le temps du “Vivons cachés, vivons heureux“ est terminé. L’entreprise doit s’ouvrir vers l’extérieur. » C’est certainement ce qui a motivé l’entrepreneur icaunais à accepter la présidence de l’association des Entreprises du patrimoine vivant (EPV) de Bourgogne Franche-Comté qui regroupe une centaine de membres seulement. Valoriser le savoir-faire et l’innovation d’entreprises locales qui participent à façonner l’identité de tout un territoire. « Cela m’a paru être une évidence », dit-il simplement. Une manière pour lui de rendre hommage, non pas au poids, mais à « la puissance de l’Histoire. »