À l’époque où la confrontation et la « punchline » semblent guider la parole publique, la voix et la personne d’Élise Moreau sont un contrepoids bienvenu. La présidente du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), installée en janvier 2024, est une militante des échanges, de l’argumentation, de la nuance et de la recherche du consensus, un exercice délicat en France : « Nous ne sommes pas un pays de consensus, mais un pays en proie à une sorte d’incessante guerre civile » écrivait en 2015 l’immense intellectuel Michel Winock. Mais c’est ainsi et bien ainsi – car sous la blondeur et l’élégance hitchkochiennes, se lit aussi une volonté pugnace – que l’entend Élise Moreau : « Je crois que c’est vraiment là que réside la force du Ceser : dépasser les clivages, les transcender même pour arriver à un consensus, à des positions communes et proposer des préconisations vraiment concrètes et opérationnelles ».
Éclairer la décision
Composé de 110 représentants de la société civile, du patronat aux syndicats de salariés en passant par la vie associative et cinq personnalités qualifiées, le Ceser de Bourgogne Franche-Comté est la déclinaison régionale du « Conseil économique, social et environnemental », lui-même issu des soubresauts de la grande Histoire. Né en 1925 sous l’impulsion du Cartel des gauches mené par celui qui deviendra le président du Conseil Édouard Herriot, le « Conseil national économique », composé de syndicalistes ouvriers, de patrons et de représentants des mondes agricole et associatif est purement et simplement supprimé en 1940 par le gouvernement de Vichy, Philippe Pétain le jugeant séditieux. Il réapparaît en 1946 sous le nom de « Conseil économique », est inscrit dans la Constitution de 1958 comme « Conseil économique et social », avant d’être sanctuarisé en 2000 à la faveur d’une réforme constitutionnelle qui lui adjoint un second E pour environnemental.
Les Ceser eux, ont accompagné les grandes lois de décentralisation. Son rôle ? « éclairer par le regard singulier de la société civile organisée les politiques régionales. Les Ceser sont amenés également à mener des études de prospective et à évaluer les grandes politiques et les grands schémas régionaux », précise Élise Moreau. Sollicité par l’exécutif régional sur ses travaux, le Ceser peut aussi être saisi par la présidente de la région BFC pour des rapports plus approfondis nécessitant, par exemple, l’audition des parties prenantes sur un point spécifique (saisine) ou peut s’auto-saisir s’il le juge nécessaire (auto-saisine). Depuis décembre 2022, il peut aussi également être saisi par un collectif de citoyens à partir de 16 ans selon des modalités spécifiques sur des sujets à caractère régional. Un dispositif tout neuf, encore jamais usité, « qui m’est très cher, que je souhaite vraiment communiquer auprès du grand public et aussi des organismes, s’enthousiasme Élise Moreau, parce que je trouve que c’est un point intéressant pour permettre justement de recueillir la parole des habitants de Bourgogne Franche-Comté et de faire vraiment du Ceser cette passerelle entre les citoyens et les décideurs publics ».
De l’entraide à l’intérêt général
Chargée de relations entreprises à l’École de la deuxième chance de Chevigny-Saint-Sauveur, Élise Moreau a choisi pour l’instant d’être en congé sans solde afin de se consacrer pleinement à son mandat : « Quand on est dans la vie active c’est plus compliqué donc j’ai fait le choix de cette disponibilité. Effectivement, je n’ai pas un profil typique de président de Ceser : souvent ce sont plutôt des hommes un peu plus âgés et je trouve intéressant de montrer que les jeunes, les femmes peuvent aussi s’engager sur ce type de poste à responsabilité. » Mais elle emporte avec elle les valeurs de l’enseignement populaire, elle qui est entrée au Ceser à la demande de la Ligue de l’enseignement, d’abord comme simple conseillère en 2018, puis au bureau en 2021.
« C’est là que réside la force du Ceser : dépasser les clivages, les transcender même, pour arriver à un consensus et proposer des préconisations vraiment concrètes et opérationnelles. »
Ces valeurs, ce sont « la solidarité, l’entraide, la pratique démocratique. Ça me semble essentiel de travailler à la démocratie, de permettre de servir l’intérêt général et de ne laisser personne au bord du chemin. C’est vraiment une des valeurs fortes qu’on porte en éducation populaire mais qui m’animaient bien avant d’avoir rejoint cette association ! » Si elle se doit d’une certaine neutralité quant à la tenue des débats, « je n’en crois pas moins que par les actions, par le cap que je peux garantir à l’assemblée et via le travail avec tous les membres du bureau, cette solidarité entre les conseillers, cette écoute mutuelle et l’envie justement d’avancer ensemble pour servir l’intérêt général », assure Élise Moreau.
Rempart démocratique
Le Ceser, assemblée consultative qui émet des « préconisations » est-elle réellement un maillon des politiques régionales ? Oui, affirme sa présidente, qui rappelle que deux tiers des préconisations sont reprises, en totalité ou en partie, selon le suivi mis en place au Ceser sous la mandature précédente. Mais n’est-ce pas frustrant de n’être pas décisionnaire ? « Oui il y a ce côté frustrant. Après je peux toujours m’interroger : pourquoi n’est-ce pas repris, est-ce que la présentation était claire, suffisamment argumentée ? Cela permet de remettre notre travail en question et d’avoir peut-être des préconisations plus percutantes, plus argumentées, plus concrètes ! »
Pas de quoi rabattre son engagement donc, d’autant qu’Élise Moreau en est persuadée : la démocratie participative, telle qu’exercée par le Ceser, est essentielle à la démocratie : « Elles doivent fonctionner ensemble pour permettre enfin aux citoyens de s’exprimer en dehors des échéances électorales. Mais pour que ce dispositif réussisse, il faut nécessairement que la démocratie représentative soit à l’écoute. S’il n’y a pas de prise en considération de la parole citoyenne – tel qu’on a pu le constater après la Convention citoyenne sur le climat, ndlr -, je crois que c’est totalement contre-productif et qu’on va droit à l’échec. C’est même dangereux et cela peut totalement desservir la démocratie représentative. C’est ce qui fait aussi que le citoyen perd confiance dans ses représentants politiques », analyse Élise Moreau.
En septembre 2024, le Ceser BFC votera en assemblée plénière sa feuille de route pour le premier mandat d’Élise Moreau qui court jusqu’en 2029. Avec une échéance de taille en 2028 : les prochaines élections régionales, un scrutin dont la présidente connaît déjà tous les enjeux et les dangers aussi.
Le Ceser, dégagé des partis politiques, est d’ailleurs à son sens un rempart aux populismes où tant de citoyens meurtris se réfugient : « Le Ceser peut se défier de ça en proposant des préconisations réalistes, conclut la présidente. Ne pas mentir, ne pas avoir des promesses inaccessibles, bien se garder de la politique politicienne et rester les pieds sur terre en lien avec les spécificités des territoires : c’est vraiment essentiel ».