En action sur tous les champs
Alexandra Boivin ne s’imaginait pas exploitante agricole. Aujourd’hui céréalière, elle jongle au quotidien entre ses tracteurs en Saône-et-Loire mais aussi les devoirs des enfants et son rôle de conseillère municipale en Côte-d’Or.
Dynamique, souriante et féminine, Alexandra Boivin a été élevée « à la dure », notamment par son père, éleveur de vaches allaitantes à Frontenard en Saône-et-Loire. « L’exploitation a compté jusqu’à 600 bêtes. Mon père aimait élever les animaux mais avait du mal à les vendre », s’amuse la blonde de 38 ans. Bien qu’elle ait toujours vécu dans cet univers, elle ne s’imaginait pas reprendre l’exploitation bressane. Perdue sur son orientation au collège, elle suit les conseils d’un enseignant et intègre le lycée agricole de Fontaines avec l’ambition de devenir technicienne agricole pour conseiller les agriculteurs de la production végétale. « Les bêtes j’en avais vu assez ! » Elle poursuit ensuite avec un BTS de technicien végétal et trouve un premier emploi en tant que technicienne en expérimentation au sein du groupe Bayer. Son travail consiste alors à tester des produits phytosanitaires et des semences.
Un agriculteur comme les autres
Son père, malade, décède, amenant la jeune femme à opérer un virage dans sa carrière. « J’ai décidé de reprendre l’exploitation mais sans les bêtes. J’étais déjà installée en couple et je ne voulais pas déménager de Lanthes en Côte-d’Or pour m’installer sur l’exploitation à 15 kilomètres. Et puis, il y avait trop de bêtes à gérer pour moi. »
J’ai décidé de reprendre l’exploitation familiale, mais sans les bêtes »
Après la vente du cheptel, elle s’équipe en matériel agricole, profitant des précieux conseils de son compagnon, mécanicien agricole. Sur les 142 hectares d’exploitation, les trois quarts étaient en prairie qu’elle a dû labourer et travailler pour les transformer en terres cultivables. « J’ai dû drainer les champs car ils sont situés dans un secteur humide. Je devais donc évacuer l’eau sinon ils étaient impraticables en hiver à cause de la pluie et je n’aurais pas pu cultiver en hiver. » Son implantation ne s’est pas faite sans difficulté, notamment vis-à-vis des voisins. « Après le décès de mon père, les autres agriculteurs s’imaginaient se partager ses terres. Heureusement que j’habitais un peu plus loin, comme ça, j’avais une coupure. Aujourd’hui, j’ai fait mes preuves donc je n’ai plus de problème même si on est encore peu de femmes dans l’agriculture et encore moins dans les céréales. » Le sexisme, elle y a fait face plus d’une fois. Quand les commerciaux venaient sur son exploitation, nombreux lui demandaient à parler au patron, son mari, surpris qu’elle les invite à repartir en précisant que c’était bien elle qui prenait les décisions. « Il a fallu se fâcher au début. Maintenant on me prend au sérieux et on me traite comme n’importe quel agriculteur. Ça m’a forgé le caractère. » Douce, discrète, parfois effacée pour ne pas attirer l’attention, Alexandra Boivin n’hésite plus, du haut de son 1,54 m, à « montrer les crocs » quand il s’agit de défendre sa place et son travail.
Une gestion du quotidien
L’agricultrice reconnaît que son métier peut s’avérer difficile, physiquement notamment, « quand il faut porter les sacs de semences de 20 kilos ou les bidons de 20 litres. Je ressens parfois une fatigue physique. Quand il faut atteler un matériel, j’ai parfois besoin d’aide mais au moins, je n’ai pas besoin de faire de sport. » Heureusement, elle peut compter sur le soutien inconditionnel de Gaétan, son compagnon. « J’ai juste à monter dans mon tracteur, il gère la maintenance du matériel tout en me permettant de faire des économies de main-d’œuvre. » S’il met aussi ses muscles et son temps parfois à sa disposition, Alexandra Boivin reste aux manettes quand il s’agit d’organiser les moissons, de livrer le blé, l’orge, la moutarde, le soja, le maïs ou encore le tournesol à la coopérative. Avec ses cinq tracteurs, de 120 à 200 chevaux, elle assure aussi bien le travail du sol, des semis que les traitements tout en assurant sa vie de famille. « Je dépose mes filles au bus le matin et je suis là à 17 heures quand elles rentrent mais je repars dans les champs après. » Soucieuse de s’impliquer dans la vie de ses enfants, la mère de famille occupe aussi la fonction de déléguée des parents d’élèves pour chacune de leur classe. Pour partager des moments privilégiés, une fois par an, comme de nombreux agriculteurs, la famille part en vacances, délaissant difficilement son lieu de travail. « Je ne partais jamais avec mes parents. On ne nous y a pas habitué avec mon frère. » Travailleuse, l’agricultrice apprécie toutefois les plaisirs simples comme les parties de pêche en famille aux beaux jours. Elle trouve également le temps pour s’engager dans sa commune de Côte-d’Or où elle occupe bénévolement la fonction de conseillère municipale.
Un ras-le-bol partagé
Ne comptant pas ses heures, se rendant dans les champs aussi bien de jour que de nuit selon les travaux à mener, Alexandra Boivin ressent un profond sentiment d’injustice au regard des accords mondiaux qui s’organisent. Même si le temps lui manque pour aller manifester avec ses homologues, elle soutient leur démarche. « Nos produits sont payés au même prix dans tous les pays mais nous n’avons pas tous les mêmes charges, les mêmes contraintes ni la même qualité. » Elle rappelle que les agriculteurs ne choisissent pas le prix de vente de leur production et que seul leur milieu est autorisé à vendre à perte. « On devrait payer la qualité à sa juste valeur ou alléger les normes car il y en a de nouvelles en permanence. Dans le passé, l’agriculture était une richesse française, aujourd’hui, on veut tuer notre agriculture au risque d’importer des produits OGM dont on ignore l’incidence sur la santé mais aussi des produits traités avec des produits cancérigènes interdits en France depuis des décennies. » Inquiète pour la souveraineté alimentaire de la France et pour le sort des Français si un conflit pointait le bout de son nez, elle regrette que ses concitoyens ne perçoivent pas toujours ce qui se joue alors que sa profession était portée aux nues pendant la Covid.