New Balance aux pieds, portant jean et t-shirt, le fondateur de PapyHappy ne se différencie guère de ses collaborateurs dans le vaste open space. La moyenne d’âge n’y excède d’ailleurs pas la quarantaine et l’ambiance est des plus décontractées. Installé dès le début de l’aventure à la pépinière d’entreprises du Jovinien, Joachim Tavares l’a choisie comme une évidence, tordant le cou, au passage, à quelques idées reçues sur la « nouvelle économie ».
« J’habite à quelques kilomètres d’ici. Je vais chercher mes filles à l’école. Nous sommes ici parce que nous nous y sentons bien », souligne le chef d’entreprise qui confesse, bien volontiers, préférer la vie à la campagne à la frénésie des grandes agglomérations.
Si en cinq ans, PapyHappy s’est imposée comme la référence des solutions d’hébergement pour les séniors en France, ce n’est pas le résultat d’études analytiques ou de savants calculs algorithmiques, mais bien la concrétisation d’une idée qui a traversé l’esprit de son créateur, un jour, sur le trajet du retour après un entretien à Lyon : proposer une plateforme, à mi-chemin entre TripAdvisor et le guide Michelin, qui offre aux personnes âgées et à leurs familles, des clés pour le bien-vieillir.
« J’en ai parlé le soir même à Juliette, mon épouse, et elle m’a répondu que c’était l’idée la moins mauvaise que j’avais eu… J’ai ensuite évoqué le sujet avec mon père qui n’est pas du tout un utilisateur des outils numériques et il m’a dit : fonce ! », résume-t-il simplement avec le sourire.
Après quelques recherches sur internet, le Bourguignon s’aperçoit qu’il n’existe aucun équivalent en France, ni même dans les autres pays européens. La suite se fera à force de travail et au hasard des rencontres. Et en premier lieu, les représentants du Synerpa – le puissant Syndicat national des établissements et résidences privées et services d’aide à domicile pour personnes
âgés -, lors d’un congrès à Marseille, qui croient dur comme fer en son projet. Une première victoire pour celui que rien, de son propre aveu, ne prédestinait à devenir, un jour, chef d’entreprise.
Nous préconisons parfois à la personne âgée de rester dans son lieu de vie au prix de quelques aménagements
Né dans un quartier populaire de Sens, ce féru de sport est issu d’une famille modeste, originaire du Portugal. Son père, maçon, et sa mère, femme de ménage, – « un cliché », glisse-t-il avec humour – l’encouragent à faire des études. Après avoir obtenu une maitrise à l’université de Bourgogne à Dijon et validé un master d’audit en contrôle de gestion à l’ISG, il accomplit ses premières armes dans le groupe de travaux publics Colas, sur le site auxerrois.
« C’est un secteur où j’ai vraiment apprécié les valeurs d’entraide. » Il refuse néanmoins une promotion qui doit l’envoyer en région pari- sienne. En 2009, il devient responsable financier au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Yonne mais il s’aperçoit rapidement que la fonction publique n’est pas faite pour lui.
Après une expérience de deux ans comme responsable du controlling chez Hermès Métal, un cabinet de recrutement le sollicite pour intégrer le groupe Korian qui gère près de 300 résidences pour personnes âgées en France. Il prend alors la direction de l’Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de Saint-Clément, près de Sens, où il gère près de 90 lits.
« J’ai découvert un univers complexe où la question du bien-vieillir revêt une dimension sociétale centrale. Les familles peuvent être parfois très exigeantes, voire injustes, confrontées au vieillissement de leurs proches alors que la grande majorité du personnel encadrant fait parfaitement son travail dans des conditions souvent difficiles. »
Il y reste trois ans, éprouvé – « Je viens d’un milieu ouvrier et je ne cautionnais plus les conditions offertes au personnel » – mais convaincu qu’il demeure primordial d’apporter une solution sur-mesure à chacun quand l’âge prend le dessus. Toujours pour le compte du groupe Korian, il est nommé directeur de clinique à Saint-Denis-lès-Sens, sa dernière expérience en tant que salarié.
Le bien-vieillir, un enjeu de société
Aujourd’hui, l’entreprise jovinienne répertorie quelques 12.000 fiches de solutions d’hébergement, dont 1.200 proviennent d’établissements qui rémunèrent les services de la plateforme, « alors même que les avis que nous émettons peuvent parfois être négatifs ».
Tel est le jeu de la transparence. L’accès reste gratuit pour les usagers et leur famille qui disposent d’une information indépendante sur les différentes offres, en maison de retraite ou alternatives. En parallèle, Joachim Tavares a souhaité développer le conseil personnalisé en jouant le rôle, à la fois d’agent de service social et d’expert immobilier. « Entourés de prestataires de confiance, nous prenons en compte un certain nombre de paramètres comme la proximité géographique, le budget ou les aspirations des personnes. Nous préconisons parfois à la personne âgée de rester dans son lieu de vie au prix de quelques aménagements. »
À ce titre, PapyHappy à remporter, fin 2019, un appel d’offre novateur émis par la ville de Joigny visant à l’accompagnement des seniors et le « bien-vieillir chez soi », une première, qui devrait bientôt faire des émules. D’autant que les solutions proposées n’ont pas tapé que dans l’œil des collectivités territoriales, elles intéressent de grands comptes comme Groupama Paris-Val-de-Loire ou la Banque populaire Val-de-France avec lesquels la start-up a noué des partenariats stratégiques au profits de leurs sociétaires.
Une hyper-croissance freinée néanmoins par la crise sanitaire qui a ralenti son activité en Espagne – un marché que l’entreprise a investi la même année – et retardé son expansion vers la Suisse. « Nous avions prévu un million d’euros de chiffres d’affaires l’an dernier mais nous avons perdu neuf mois de développement que nous rattraperons plus tard. Nous allons continuer quoi qu’il arrive avec la même bienveillance », promet l’entrepreneur icaunais.