Quand on rencontre pour la première fois Éric Goettelmann, ce qui frappe instantanément c’est cette force qui émane de lui, cette volonté, cette détermination qui se lit aussi pleinement dans son regard, dans sa posture, dans ce corps un brin émacié, tout en énergie contenue, que dans ses premiers mots. Ainsi, quand on l’invite à se confier sur son passé, cet ancien boxeur vous assène un premier uppercut : « Je n’ai pas l’habitude de regarder en arrière ! ». Puis il développe : « Pour avancer, j’ai besoin d’une vision, d’une cible vers laquelle tendre... de passion, enfin, car sans elle, il n’y a pas d’élévation possible ». Ce besoin de sens, de quête, il l’assouvit d’abord, à 17 ans, dans le sport de combat. Un ring, des bleus sur le corps pour masquer d’intimes bleus à l’âme.
L’esquive est de mise, avant que Dionysos ne le surprenne au détour d’une rencontre avec des passionnés du vin de son Alsace de jeunesse, le KO est alors immédiat. Il a 20 ans. « Avant cela, je n’avais jamais bu une goutte d’alcool. J’avais une vision négative du produit. Les personnes que j’ai croisées ont su me transmettre leurs émotions. En me parlant de terroir, d’arôme, de longueur en bouche, de vinification, de partage, de tradition... Elles ont également fait naître en moi de la curiosité pour cet univers », raconte-t-il. L’alchimie se fait jour décantant son lot de questions gigognes jusqu’à la lie. Ainsi enivré par cet art qu’il vient de découvrir, il sait qu’il a trouvé sa voie et que celle-ci ne peut que passer par la recherche de l’excellence, d’un apprentissage auprès des meilleurs.
Évasion en terres bourguignonnes
Son appétit de sommets, d’ascensions, son envie de toucher les étoiles débute à Beaune, auprès de Georges Pertuiset, meilleur sommelier de France en 1980. « Il m’a légué un état d’esprit, une certaine vision du métier, cette exigence de placer l’échelle toujours plus haut ». Son brevet professionnel en sommellerie obtenu en 1998, avec les félicitations du jury (meilleur brevet professionnel de France), il voit s’ouvrir à lui, deux ans plus tard, l’opportunité de rentrer chez Bernard Loiseau, comme second de sommellerie. « J’avais une fascination pour l’homme, pour son travail, sa rigueur, son parcours, sa générosité... ». Un aveu, qu’il serait bien difficile de mettre en doute au vu de la gémellité d’âme de ces deux personnalités, de ces alter-ego, tant gagnés par l’appétit d’étoiles... Si pour son évasion en terre bourguignonne, Éric Goettelman, ne prend pas le temps de l’hésitation, profitant d’une migration de cigognes sauvages, pour paraphraser les mots de Saint-Exupéry, il n’en a pas moins conscience des contraintes qu’une telle décision implique.
« Je reviens avec cette ambition d’aider cette jeunesse, cet avenir en devenir, de leur partager mon expérience »
« Partir travailler à Saulieu, cela voulait dire être loin de ma femme et de mes enfants restés en Alsace... », confit-il. Au compteur kilométrique, cela représente 22 mois d’aller et retour. Mais c’est aussi d’autres craintes moins avouées : « Mon père était chef de cuisine au Vieux Berlin à Paris, dans les années 1970. Il a beaucoup donné, je l’ai vu souffrir à cause de son métier. Enfant, j’ai ressenti son absence, j’ai surtout retenu les côtés négatifs et jamais je ne me serais vu prendre le chemin des métiers de l’hôtellerie restauration ». En choisissant néanmoins de suivre les traces paternelles, faisant toutefois un léger pas de côté, puisque ce n’est pas les cuisines qu’il compte apprivoiser mais bien la salle, notre sommelier sait qu’il devra être vigilant. Il connait les écueils de la destination et s’il veut que la route reste belle il doit s’astreindre à garder les yeux ouverts sur l’essentiel : « J’ai tout fait pour rester attentif à ma famille, être présent dans l’éducation de mes enfants... ».
Viser les étoiles pour mieux avancer
En Bourgogne, il reprend la boxe, au côté de Jean-Marc Gossot, à Beaune, un des meilleurs professeurs de boxe à l’anglaise de la région. Ainsi, le sport comme soupape, la famille comme pilier, Éric Goettelmann est prêt à embrasser les étoiles. En salle comme sur le ring le jeu de jambe est là : technique. Si dans la salle de sport, le nez se protège, dans celle des belles tables, il déploie toute l’étendue des connaissances oenologiques de cet homme de retenu et de challenge. En 2005, il prend le poste de sommelier exécutif du groupe Bernard Loiseau. Un an plus tard, il est nommé sommelier de l’année, par le média spécialisé Chef Magazine. Un titre qui lui sera une nouvelle fois décerné en 2010, par le Guide Champérard, puis en 2016 au Trophée de la gastronomie.
Mais avant cela, il participera en 2007 à la naissance du premier “oisillon” du groupe Loiseau en Bourgogne : Loiseau des vignes et sa sélection exceptionnelle de vins de Bourgogne, dont 70 références sont disponibles au verre, grâce à un système révolutionnaire et multi-primé, l’Enomatic, qui permet de conserver les bouteilles à température idéale pendant plus de trois semaines. En 2018, il décroche la certification Gold de l’association de la sommellerie internationale (ASI), la plus haute distinction de la profession, avant d’atteindre, la même année, le graal : le titre de Meilleur ouvrier de France en sommellerie. « J’aurai tenté trois fois d’obtenir le titre de MOF. Au total, mon parcours professionnel est jalonné de 14 années de concours. C’est un besoin que j’ai ancré en moi, de chercher à toujours aller plus loin, d’évoluer... », lâche-t-il. Pour cet animal de défi, ce chantre de la pensée positive, du « tout est possible à condition de s’en donner les moyens », le MOF représente les Jeux Olympiques de sa profession.
« Si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce aux rencontres, à ces gens, à leurs mots qui ont eu une résonance particulière en moi... J’ai construit mon ascension avec ces briques-là »
« Le MOF, c’est différent des autres concours, il y a une philosophie de métier, des notions d’excellence et de partage. Dans cette épreuve on ne réussit pas en éliminant les autres candidats. Aujourd’hui, on compte 23 MOF sommeliers dont une douzaine maximum encore en activité. Quand on devient MOF, les confrères vous disent : “Bienvenue dans la famille !” On n’est pas seul. Il y a ces notions de transmission et d’ambassadeur de la gastronomie française qui sont essentielles pour moi. Le col tricolore c’est la France, ma médaille m’a été remise par le Président de la République, ce sont des images fortes, de celles qui font avancer. En 14 ans, j’ai eu mille raisons d’abandonner. Quand on perd, on met un genou à terre, on apprend l’humilité, la résilience, mais lorsque l’on lit la déception dans les yeux de ses proches, on trouve la force de se relever. À ma première défaite, ma fille était en larme, je lui ai alors promis que je gagnerai un jour. Le jour J, elle m’a fait la surprise d’être là en coulisse. J’étais fier, fier aussi d’offrir pour la première fois ce titre à la maison Loiseau, ma second famille », témoigne Éric Goettelmann, avant d’avouer, sourire aux lèvres, avoir eu chaud ! Le “deal” avec ma famille c’est qu’il s’agissait de ma dernière tentative pour pouvoir décrocher ce rêve d’une vie. Je leur en ai fait baver. On ne se construit pas seul, il faut savoir capter ce qui nous révèle et le socle familial fait partie de ces totems à préserver ».
Passion, quête de l’excellence et famille
Passion, quête de l’excellence et famille sont le mantra qui guide son parcours, et la famille, l’autre raison plus intime de cette boulimie de concours. « Ma fille souffre d’un important handicap auditif, appareillée, elle a subi bien des moqueries et a eu, plus qu’à son heure, des raisons de baisser les bras. J’ai toujours essayé de lui prouver par l’exemple que rien n’était impossible, que de sa différence elle pouvait puiser une force bien à elle pour aller plus haut. C’est ainsi, qu’à 40 ans, je me suis retrouvé sur les bancs de la BSB à Dijon pour décrocher un master en Commerce international vins & spiritueux, pour motiver ma fille en pleine crise de doute sur elle-même et sur ses capacités. J’ai fini major de ma promotion en marketing et dégustation et j’ai même eu le prix de la meilleure thèse. Mais ma plus grande réussite fut de rebooster ma fille qui, quelques années plus tard, décrochait un poste à la communication de l’Élysée ».
En 2020, Vincent Le Roux, directeur général du restaurant Paul Bocuse et de l’Abbaye de Collonges lui propose de prendre le poste de sommelier exécutif de cette maison « amie » de Loiseau. « Il y a des opportunités qui chamboulent, que l’on peut difficilement refuser. Bocuse, c’est la maison des MOF, une chance de donner une vraie visibilité à mon métier de sommelier. Sur place, j’ai retrouvé un ancien de chez Loiseau, Benoît Charvet, champion du monde des desserts glacés 2018 ». Toutefois, si l’expérience se veut riche en rencontres humaines et en expériences, elle est de courte durée, puisque 18 mois plus tard, Bérangère Loiseau l’appelle pour lui proposer un retour au « nid » sédélociens pour incarner un des visages de la dynamique « Ancrage 2023 » qui acte l’arrivée de la nouvelle génération Loiseau, avec Bérangère, comme vice-présidente du groupe, Blanche en cuisine aux côtés de Patrick Bertron, et Bastien au poste d’administrateur du groupe.
Celui qui se dit « tatoué Loiseau », accepte aussitôt : « J’ai un profond respect pour cette maison. C’est un Versailles, une Notre Dame de Paris, c’est une atmosphère, une histoire irremplaçable, inspirante, une continuité, une transmission avec un esprit toujours novateur. Je reviens avec cette ambition d’aider cette jeunesse, cet avenir en devenir, de leur partager mon expérience, cette somme d’erreur résolue, d’être le garant de l’ADN Loiseau, de ses valeurs de convivialité, de résilience et d’excellence, d’être finalement un passeur, car comme le disait Bernard Loiseau : “ici, nous ne sommes que des locataires” ».