Il y a sans conteste du sage Miyagi (le personnage mythique du film Karaté Kid) chez Fodé Ndao. Ce vice-champion du monde de karaté, champion de la Paix depuis septembre 2018, allie à une carrure qui impose le respect, un sourire dont il semble ne jamais se départir, qui respire la bienveillance et l’attention à l’autre. Né au Sénégal, quand Fodé Ndao arrive en France en 1997, il est déjà champion d’Afrique. Un titre qui lui a permis de décrocher une bourse universitaire. Il a alors le choix entre se rendre à Marseille ou à Besançon.
Il opte pour la seconde destination, la ville possédant une riche communauté africaine. Il intègre le Planoise Karaté Academy (PKA), un club créé en 1984 et dirigé par Aly Yugo médaillé de bronze aux championnats d’Afrique sous les couleurs du Burkina Faso en 1997.
Un karaté qui construit
Si son arrivée hivernale enrichit son vocabulaire de l’expression « ça caille ! », ce qu’il découvre de son nouveau quartier d’adoption fait écho à son enfance à Pikine-Guédiawaye, une banlieue difficile au nord de Dakar. Avec plus de 15.000 habitants, Planoise est le quartier le plus peuplé de Besançon. Marqué par la précarité et le trafic de drogue, ce quartier est particulièrement jeune (41,5 % de la population à moins de 25 ans). Une jeunesse fortement touchée par le chômage et la déscolarisation (le chômage est de 5,6 % à Besançon pour près de 8 % à Planoise).
« La situation m’a rappelé celle de mon pays d’origine. Mon père a créé un club de Karaté au centre Sauvegarde de Guédiawaye en lien avec le ministère de la justice pour des enfants en difficulté. Dans sa tête, le sport était un prétexte, un alibi, un point de départ pour oeuvrer au service de la communauté, pour accompagner et fédérer les familles, les femmes, les hommes et les jeunes. Il y avait cette idée qu’à travers les valeurs du karaté que sont l’honneur, la fidélité, la sincérité, le courage, la bienveillance, l’humilité, la droiture, le respect et le contrôle de soi, on pouvait générer de l’inclusion, de l’insertion, de la solidarité et de l’émancipation… Et si à n’en point douter, je devais déjà faire du karaté dans le ventre de ma mère, les moments intenses passés sur les tapis de la salle de mon sensei de père ont été vecteur d’éducation : c’est sur ces bases que je me suis construit un avenir meilleur », se souvient Fodé Ndao.
Ainsi, en 2003, après avoir remporté une nouvelle fois le titre de champion d’Afrique en 1999, puis la médaille d’argent aux championnats du monde de karaté en 2000, il décide de créer à Planoise son propre club d’arts martiaux. Baptisé Club Sauvegarde de Besançon, en hommage à la structure paternelle, l’association se veut un lieu totem, un phare dans le brouillard pour toute la communauté planoisienne.
« Mes titres de champion ont permis d’attirer les jeunes et dès l’ouverture, j’ai multiplié les actions aussi bien sur les tapis d’entrainement qu’hors les murs, avec des thématiques comme “les femmes d’abord”, “sport et femmes”, mixité sociale… De loin, les gens avaient l’impression que je mélangeais tout, mais moi je savais où j’allais, je voulais fusionner sport, étude et intégration sociale ».
« Plus que des champions, je cherche à faire de mes élèves des citoyens bien dans leur tête et dans leur ville »
Cultivant les similitudes entre, ses origines, son parcours et les questionnements de ses élèves, le sportif fédère. Ces gémellités misent en exergue sont le point d’ancrage d’une compréhension et d’une acceptation mutuelles, qui permettent au club de compter aujourd’hui 230 licenciés dont 43 % de filles. Il fait partie des structures sportives les plus performantes en région et sur le plan national. En 2022, les jeunes karatékas du club Sauvegarde de Besançon ont décrochés 16 médailles à l’Open International de Bâle.
La même année, au dernier Championnat Ligue de Bourgogne Franche-Comté, minime, cadet, senior et vétéran, raflent 21 médailles dont neuf en or. Cette année, l’équipe féminine a remporté les championnats de France. Devenu club Élite, la structure planoisienne a formé plusieurs athlètes de haut niveau comme Abdel Boujaaba (vainqueur de la coupe de France et membre de l’équipe de France aux Mondiaux 2014), Yasin Boujaaba (champion de France), Sofiane Hakkar et dernièrement, Laura Sivert.
Un Club, un quartier, une famille
Mais au-delà des performances sportives, c’est la puissance du lien social que le sportif sénégalais veut d’abord mettre en avant. « Mon club est ouvert à tous et à tous les âges. Ici on promeut la cohésion, le dialogue et les échanges. On cherche à connaître et à comprendre, on est pas dans le jugement. Ce que j’enseigne dans la salle à vocation à se diffuser dans tout le quartier. Ainsi, je me déplace dans les collèges avec l’opération “Ma force, le respect” pour sensibiliser les jeunes aux valeurs du sport et de la République. Il y a aussi le projet “Caravane des pieds d’immeuble” lancé en 2020, où l’on va à la rencontre des familles ou encore l’intervention bénévole des policiers du Raid Aventure venus jouer une pièce de théâtre au centre Mandela sur le thème des violences conjugales. Un moment suivi d’une table ronde. Sans oublier “l’Arbre à Palabre”. »
« En Afrique, la palabre désigne les assemblées où sont librement débattues des questions et où sont prises les décisions importantes concernant la communauté, réunies généralement sous un grand arbre. Organisée en partenariat avec RéCiDev, l’initiative fait partie du Pacte pour l’émancipation des jeunes de Planoise signé le 31 janvier 2023… Toutes ses pistes visent à s’enrichir de la diversité malgré les différences : une ligne directrice que s’est donné le Club Sauvegarde de Besançon depuis sa création », défend Fodé Ndao, qui en parallèle de ses activités bisontines, en tant que Coach mondial certifié WKF, est également responsable du haut-niveau et entraineur de l’équipe de Karaté sénégalaise.
Il a d’ailleurs mis en place des échanges avec son club bisontin et le Club Sauvegarde du Sénégal pour « ouvrir des ponts et les horizons des jeunes des deux pays ». Pour l’avenir, celui qui a été rejoint par son frère et qui compte ses deux fils comme sportifs du club veut : « occuper encore plus le terrain, multiplier les actions bien au-delà des vacances scolaires et des opérations ponctuelles, être dans les rues de Planoise au quotidien, aller de portes en portes et devenir une enseigne tribune de la cohabitation et du vivre ensemble en partenariat avec les collectivités locales ».