Quand à l’école primaire, le maître ou la maîtresse demande à ses chères petites têtes blondes ce qu’elles veulent faire plus tard, parmi les réponses qui fusent, les astronautes, vétérinaires et autres pompiers arrivent en pole position. La réponse de Gaël Chevalier, elle, avait tout de l’outsider, voire du jamais entendu : « tenir un magasin de sport ! Quand mes copains préféraient jouer à la console ou regarder la télé, moi je passais des heures dans les magasins de sport : tout me plaisait, de l’atmosphère jusqu’à l’odeur si particulière et j’étais déjà attiré par le rayon tennis ». À six ans, Gaël obtient sa première raquette : « je pouvais rester plus de quatre heures d’affilée à faire des matchs contre le mur sous un soleil de plomb ou sous des trombes d’eau : rien ne m’arrêtait ! ». Après un BTS en alternance, le jeune homme entre chez Decathlon. Il n’y reste que quelques mois, une opportunité qu’il tient à saisir au rebond se présentant à lui : « Chez Decathlon, je n’avais pas obtenu le rayon tennis, or une telle place se libérait chez Intersport. J’ai été pris et je suis resté 12 ans ». Très vite Gaël Chevalier se fait remarquer pour son aisance avec les clients, sa capacité à créer un climat de confiance, la richesse de ses conseils et son offre de services : « Très vite, le rayon tennis a pris des allures de petit magasin dans le magasin. Mon objectif était de vendre la raquette qui correspond le mieux au besoin du client, de le servir comme moi j’aurais aimé être servi. Parallèlement, ayant toujours été bricoleur, j’ai commencé à corder des raquettes. Cela demande de l’attention et de la minutie : il y a quelque chose d’assez magique à faire une raquette ».
Le Grand Chelem côté cordes
Cette nouvelle corde à son arc va propulser Gaël Chevalier dans la cour des grands. En 2004, Intersport est partenaire de l’ATP Besançon Challenger et Gaël Chevalier est proposé par l’enseigne pour faire partie des cordeurs du tournoi. « Ce fut une expérience tout aussi éprouvante qu’exceptionnelle. J’ai pu croiser Jo-Wilfried Tsonga et Michael Llodra. J’ai dû également me remettre en question sur ma façon de corder. Avec Nicolas Guillaume, la première raquette que je corde pour lui casse. Il a fallu être réactif et accepter que ma façon de faire ne convenait pas, ce qui a été très apprécié, le champion a ainsi, par la suite, demandé à ce que je sois son cordeur prioritaire. Les joueurs professionnels sont très pointilleux et sont capables de savoir, juste au son, si une raquette est bien cordée ». Cette première côté cours, bien que très intense avec des journées de plus de 17 heures se terminant au-delà de minuit, galvanise Gaël Chevalier qui ne rêve alors que d’une chose : baigner à nouveau dans ce monde-là. Son vœu sera exaucé deux ans plus tard. « Ce sont les grandes marques comme Head ou Babolat qui recrutent les équipes de cordeurs pour les tournois. En 2006, au magasin, nous faisions la marque Tecnifibre qui cordait pour Roland-Garros. J’ai demandé si je pouvais rentrer avec eux et j’ai été invité sur une semaine comme bénévole. C’était pour moi le Graal ». En 2012, il corde pour sa première Fed Cup : « Après un désistement, l’équipe féminine de Slovénie cherchait un cordeur, j’ai écrit à la fédération, on était plusieurs à postuler sur Besançon et j’ai été retenu. Cette expérience a renforcé mon expertise, j’ai pu me perfectionner en vitesse, sur la qualité de ma pose et sur mes connaissances des propriétés des différentes cordes (résistance, tension...) ». En 2011, la marque Babolat remplace Tecnifibre sur le plus célèbre tournois de terre battue. Ce changement de sponsor s’accompagne de nouvelles règles : « Babolat ne voulait plus prendre de bénévoles venus de magasins. Ils voulaient des professionnels car il y avait trop d’erreur de cordage avec les amateurs et qu’ils n’avaient pas le temps de les former ». Gaël Chevalier se voit ainsi contraint de sortir du jeu. Mais une bonne étoile veille sur lui : « En 2013 un cordeur manque à appel pour le tournoi de Nice - également sous marque Babolat - ils m’ont appelé pour le remplacer et comme cela s’est bien passé, j’ai été sollicité pour deux autres tournois dont le Quimper Challenger. Enfin, en 2014, je reçois un appel de la personne en charge du recrutement pour Roland-Garros. Il est en quête de nouveaux cordeurs et au vu des bons échos que l’on lui a rapportés, veut me tester pendant cinq jours sur les qualifications ». Une nouvelle fois, Gaël Chevalier ne déçoit pas, intègre l’équipe professionnelle de cordeur de Babolat et devient même le seul Français à officier à Roland Garros avec à ce jour 12 tournois à son actif. En juin 2011, Gaël Chevalier démissionne d’Intersport pour réaliser son rêve d’enfant : ouvrir son propre magasin de sport. Deux mois plus tard, Court Central voit le jour à Pirey. Le lieu offre un large choix de produits pour tous sports de raquettes (tennis, squash, badminton) ainsi qu’un service de cordage pour les pratiquants locaux :
« que je corde Rafael Nadal ou un débutant d’ici, je m’attache à proposer le même niveau de service »
Gaël Chevalier consacre aujourd’hui 90 % de son temps aux sportifs locaux « Aujourd’hui, je limite mes déplacements à deux semaines en Grand Chelem et une semaine pour les autres tournois ». Le commerçant a également décidé de fermer sa boutique le matin afin de corder en toute sérénité et d’accueillir ses clients l’après-midi.
En 2019, le marché de Roland-Garros est remporté par Wilson qui possède déjà sa propre équipe de cordeurs pour l’US Open. Gaël Chevalier est ainsi obligé de passer des auditions à Paris « Ils appellent cela des training day. Après un court entretien en anglais, on vous demande de corder pendant dix heures, de toutes les façons possibles, sur tous types de raquettes dans des conditions simulant une journée hard de tournoi. Si vous n’êtes pas validé, vous sortez du processus de sélection. Sur les 40 postulants européens nous avons été trois à être retenus. Avec Wilson, chaque cordeur doit corder de la même façon, avec des tailles et des emplacements de nœuds identiques : c’est très formateur », confie Gaël Chevalier, qui avoue toutefois ne pas y être arrivé du premier coup. Mais la persévérance paie et en 2022, il est le premier Français à intégrer l’équipe Wilson de cordeurs pour l’US Open.
« Cela fait 25 ans que je corde et aujourd’hui je ne corde plus comme à mes débuts... Pour tout dire, je ne corde même plus comme après la Covid. J’ai évolué tant avec le matériel, qu’avec les rencontres d’autres cordeurs de tous les pays. Il y a également les exigences des joueurs professionnels, plus au fait de leur matériel, qui n’ont cessé de croître. Ce qu’ils demandent actuellement c’est de pouvoir conserver sur tout un match la même sensation de frappe et ne pas avoir à gérer la perte de tension, ce qui oblige à recorder plus souvent. Sur un Grand Chelem, nous sommes une vingtaine à corder environ 7.000 raquettes en trois semaines, contre 2.500 en 2005. Les joueurs du top 10 changent de raquette à chaque changement de balles ».