Depuis quatre ans, il est à la tête d’une véritable institution créée, au tournant des années 1980, par quelques pionniers de l’agriculture biologique en France, qui décidèrent de se fédérer et de créer une coopérative. Le silo est alors implanté à Druyes-les-Belles-Fontaines, en Forterre. La Cocebi naît alors d’une « utopie » : produire une alimentation saine et respectueuse à la fois des consommateurs et des producteurs. Aujourd’hui l’archétype du paysan qui porte les cheveux longs et écoute Pink Floyd fait sourire Guillaume Conseil, même s’il confesse qu’il « reste toujours cette volonté de construire un monde meilleur. Faire attention aux autres fait encore partie de notre ADN ». Quatre décennies et quelques scandales alimentaires plus tard, la coopérative agricole, installée désormais à Nitry, compte quelque 260 adhérents répartis en Bourgogne Franche-Comté et dans les départements limitrophes, pèse 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et a collecté, la saison dernière, 35.000 tonnes de céréales.
Les précurseurs sont devenus des sages et la filière s’est structurée. « Nous gagnons en crédibilité chaque année qui passe », glisse-t-il. Sur ses 150 hectares en grande culture « 100% bio », à la croisée de l’Aillantais, de l’Auxerrois et du Migennois, ce fils et petit-fils d’agriculteurs cache une nature discrète et des convictions chevillées au corps. Après des études d’ingénieur agronome à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse (Ensat), il s’oriente d’abord vers le secteur bancaire en devenant chargé d’affaires pour le Crédit agricole, puis responsable d’agence à L’Isle-sur-le-Doubs, à Rioz (Haute-Saône), à Brienon-sur-l’Armançon et à Villeneuve-l’Archevêque. « J’ai toujours eu en tête de reprendre la ferme familiale et de travailler avec mon père. Il était attiré par l’agriculture biologique mais n’avait jamais franchi le cap par crainte de répercussions économiques. Il a d’ailleurs toujours refusé que je m’occupe des traitements. Nous avons fait ensemble la conversion en bio en 2010 et en 2011. »
Une agriculture plus humaine
Guillaume Conseil reprend la succession à la tête de l’exploitation en 2014. Il poursuit, par ailleurs, le développement de l’agroforesterie débuté dès 2006. « Le plus important dans l’agriculture biologique, c’est la notion de développement durable. Les agriculteurs maîtrisent leur production et ne sont ainsi plus dépendants des produits phytosanitaires. C’est aussi une agriculture plus humaine, en phase avec la société. » Au-delà de la dimension « agroresponsable », le quadragénaire est un adepte des aventures collectives. Il préside, par exemple, la Cuma (Coopérative d’utilisation de matériel agricole) du Châtillonnais. Cette structure qui regroupe des exploitants agricoles du territoire mutualise les outils de production afin d’amortir les investissements.
« L’agriculture biologique est aussi une agriculture plus humaine, en phase avec la société. »
« En 2010, lorsque mon père s’est converti en bio, il était le deuxième de la Cuma. Aujourd’hui, sur les 16 membres, 11 sont en agriculture biologique. » Marginal il y a encore 20 ans, le mouvement s’installe peu à peu dans les consciences, encouragé par les pouvoirs publics, le renouvellement des générations et la demande légitime d’une alimentation plus respectueuse de l’environnement. Et cela malgré des rendements deux à trois fois moins élevés. « C’est une dynamique collective. Quand nos collègues se rendent compte, année après année, que nos champs restent propres et que le risque économique est moindre, ils n’hésitent plus à se lancer dans l’aventure. »
Qualité, proximité, complémentarité
En 2016, il fonde avec cinq autres agriculteurs « Les fermes du Ravillon », une société en nom collectif (SNC) qui commercialise des produits - biologiques évidemment - cultivés et transformés dans leurs exploitations. Graines, huiles, pâtes et farines sont vendues une fois par mois dans leurs fermes, directement du producteur au consommateur. Sans intermédiaire. Leur production se retrouve à présent dans des magasins spécialisés comme Germinal ou dans les enseignes Bi1 développées par Schiever. La farine de petit épeautre ou de khorasan - une variété de blé ancien - produite avec les céréales de Guillaume Conseil a trouvé grâce auprès de boulangers parisiens. Afin d’accompagner leur activité et de rationaliser la distribution, les six associés viennent d’investir 600.000 euros dans la construction d’un hangar en bois à Neuilly, dans la commune nouvelle de Valravillon.
« Il est important de déléguer un maximum de compétences et de ne pas tomber dans le piège dans lequel tombent de nombreux présidents : la longévité. »
Mais le dossier qui va occuper, cette année, Guillaume Conseil va être, sans conteste, la construction de l’usine de flocon d’avoine que le président et les administrateurs de la Cocebi entendent ouvrir à Nitry à l’été 2023. Avec six autres acteurs historiques de la filière biologique, la coopérative agricole icaunaise vient, en effet, de créer une nouvelle société, Avena (Avoine en latin) et d’investir 7,6 millions d’euros. L’expérience bancaire fait de l’exploitant agricole l’une des chevilles ouvrières incontournables de cette structure qui vise à relocaliser, en partenariat avec Biocoop, cette production en plein essor sur le territoire national. Un nouveau défi que le quadragénaire s’apprête à relever avec méthode et concertation.
Car s’il consent volontiers avoir accepté la présidence de la coopérative plus par devoir que par ambition personnelle, il livre un regard singulier sur ses responsabilités afin d’éviter de « s’essouffler », dit-il. « Il est important de déléguer un maximum de compétences et de ne pas tomber dans le piège dans lequel tombent de nombreux présidents : la longévité. Il faut instaurer une rotation de la présidence, quitte à rester dans le conseil d’administration, pour faire profiter de son expérience. Nous avons besoin d’être nombreux à être éprouvés aux responsabilités pour être résilient. » Du souffle, l’Icaunais n’en manque pourtant pas. Malgré un agenda bien chargé, cet adepte du cyclisme et de la course à pied s’astreint à s’entraîner deux fois par semaine avec ses amis, « les mêmes que lorsque j’étais enfant ». Celui qui a déjà participé à l’ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) et parcouru ses 170 kilomètres, prépare la première édition sénonaise du « Dernier homme debout » qui se déroulera le 12 mars prochain. Son secret ? « Beaucoup de sommeil », sourit-il. Et une alimentation saine.