Ce qui murmure à l’oreille d’Hugo Delavelle, ce qu’il le fait vibrer, l’inspire, c’est le bruit sourd de ses pas progressant sur la mousse tendre des sous-bois, c’est le craquement sec des branches mortes tombées au sol, quand le rythme de sa course s’accélère, c’est aussi les effluves vertes, piquantes et terreuses des hêtraies sapinières franc-comtoises. Ce décor végétal, c’est toute l’enfance de cet ébéniste originaire du village de Saulnot en Haute-Saône, mais c’est aussi son présent et son avenir.
« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été dans les bois, confie-t-il. Mon père était garde forestier, et si je l’accompagnais bien souvent dans ses missions, j’ai également très tôt côtoyé les bûcherons et les ouvriers des scieries environnantes, au point d’hésiter longtemps entre devenir bûcherons où construire des meubles. J’ai fini par opter pour le second, mais j’ai toujours autant envie de courir en forêt et de donner un coup de serpe, de débarder les bois quand je peux ».
Côté études : après avoir obtenu un CAP d’ébéniste à Luxeuil-les-Bains en Haute-Saône, il entreprend un tour de France de six ans auprès des Compagnons du Devoir. Parcours ô combien formateur, qu’il complète par deux ans à Aix-la-Chapelle, en Allemagne en tant qu’étudiant en design artisanal. Un exil outre-Rhin qu’il explique par l’inexistence d’une telle formation dans l’hexagone.
Un développement progressif
« En France, l’on forme soit au design industriel, soit aux métiers d’Art. L’approche par trop esthétique du second, ne me convenait pas totalement. Je me reconnaissais plus dans la notion de design, plus tournée sur l’approche client, les notions de fonctionnalité, d’ergonomie et de confort. Là où je m’écarte du design industriel, c’est qu’au lieu de partir d’un dessin, d’un concept pour réaliser un objet, je pars du matériaux et je me sers des contraintes qu’il m’impose pour créer des opportunités. Je suis également en quête d’efficience, d’économie de matériaux, de démarche environnementale. Par exemple, en réalisant des chaises empilables, pour leur transport, un petit camion peut suffire, alors que dans le cas contraire, leur encombrement est multiplié par cinq et je suis obligé d’utiliser un semi-remorque. En planifiant ainsi le stockage, l’emballage, le transport et la distribution dès la phase d’étude, je diminue significativement mon bilan carbone et les nuisances dues au trafic routier », explique celui qui aujourd’hui donne des cours de design artisanal à une vingtaine de stagiaire, à Lyon, chez les Campagnons du Devoir.
C’est en 2009, qu’Hugo Delavelle ouvre son premier atelier d’ébéniste. Dans la grange de ses parents d’une trentaine de mètre carré avec une seule et unique ancienne machine combinée, il réalise tous types d’ouvrage en bois, du meuble traditionnel à l’agencement en passant par la menuiserie. « C’est une violente tempête, qui a précipité mon installation comme ébéniste. Celle-ci ayant retourné un grand volume d’arbres, j’ai pu acheter à moindre coût du chablis aux scieries voisines et ainsi me constituer un stock de bois pour démarrer ».
« Actuellement nous fonctionnons autour de trois activités principales. Nous développons notre propre marque en tant que designer, éditeur et fabriquant »
Si les débuts de l’activité correspondent à une menuiserie de village pour une clientèle essentiellement locale, Hugo Delavelle dessine déjà, en parallèle, ses premières collections et fabrique les premiers prototypes de ses futurs meubles. Ceux-ci seront présentés au public sur un salon régional en janvier 2010. Un an plus tard, les commandes sont au rendez-vous, l’atelier s’agrandit, Hugo Delavelle développe son parc machine, ne cesse de créer de nouvelles collections et embauche son premier salarié. Rapidement vont le rejoindre d’autres jeunes ébénistes notamment en formation et en apprentissage, pour atteindre les 13 salariés 12 ans plus tard.
Authentique et contemporain
Les savoir-faire traditionnels de l’ébénisterie, associés à une démarche de design et d’innovation donnent naissance à des collections authentiques et résolument contemporaines. En 2014, un nouveau cap est franchi avec le lancement du site de vente en ligne. Aujourd’hui, les créations de l’ébéniste haut-saônois voyagent jusqu’aux États- Unis et même à Londres dans le restaurant d’Hélène Darroze ou encore à Moscou.
« Actuellement nous fonctionnons autour de trois activités principales. Nous développons notre propre marque en tant que designer, éditeur et fabriquant. Ces produits sont distribués en ligne et chez quelques prescripteurs architectes d’intérieur. Nous collaborons également avec des designers indépendants et fabriquons à 100 % des meubles pour le compte d’autres marques de mobilier français. Enfin, nous avons une activité d’ébenisterie d’art de luxe : des pièces uniques et sur-mesure principalement destinées à l’export », développe Hugo Delavelle.
L’engagement à produire des meubles durables, aux finitions impeccables est ancré dans l’ADN de l’entreprise. Pour assurer une qualité de fabrication irréprochable, Hugo Delavelle crée toutes ses collections en circuit-court, avec des essences de bois locales : du débit des planches de bois à la finition, l’entièreté des étapes de production est réalisée en Franche- Comté de manière artisanale. Une conception artisanale n’exclut pas pour autant l’utilisation de machines numériques et de procédés innovants.
Un suivi de A à Z
« Ce qui fait notre différence, c’est que chez nous chaque ébéniste suit la fabrication d’une pièce de A à Z, en cela il reste artisan de sa création, qui peut représenter jusqu’à 400 heures de travail. Cela nécessite forcement un temps de formation aux différents posts et machines, mais c’est beaucoup plus valorisant et impliquant pour le salarié, que de rester sur un poste fixe à toujours répéter la même tâche ».
« Dans ces vastes locaux nous avons pu intégrer un bureau d’étude et un atelier de garnissage et de tapisserie vient d’être mis en place »
En fin de fabrication, les meubles sont marqués par le feu d’une estampille : une signature issue d’une ancienne tradition des maîtres ébénistes qui marquaient ainsi leurs créations. Labellisé depuis 2017, Entreprise du patrimoine vivant (EPV), l’atelier Delavelle a connu en 2020 un incendie qui a vu disparaître en fumée son stock, représentant trois mois de chiffre d’affaires. Battant dans l’âme, Hugo Delavelle rebondit en investissant 1,1 million d’euros (dont 250.000 euros de travaux) dans de nouveau locaux à Saulnot de plus de 4.000 mètres carrés, implantés sur une plateforme de 25.000 mètres carrés.
Créer de l’emploi local
Dans ce grand espace, l’entreprise va pouvoir doubler sa capacité de production, développer de nouveaux produits et partir à la conquête de nouveaux marchés étrangers. « Nous avions un à deux ans de commande d’avance. L’atelier de 700 mètres carrés, devenu trop petit, fonctionnait à 120 % de sa capacité, nous obligeant à refuser 50 % des commandes. C’est dire ce que les nouveaux locaux vont nous permettre de réaliser ». Ce nouveau départ et également l’occasion pour l’ébéniste d’internaliser un certain nombre d’éléments de sa production.
« Dans ces vastes locaux nous avons pu intégrer un bureau d’étude et un atelier de garnissage et de tapisserie vient d’être mis en place. Avant nous sous-traitions à distance avec une artisan de Besançon. Aujourd’hui, c’est elle qui vient ici pour travailler avec nous sur l’élaboration des nouvelles collections et des prototypes. Cela offre une meilleur réactivité en évitant les allers et retours dans le processus de création. Dans le futur nous devrions également développer un atelier pour le travail du métal et aménager des espaces dédiés aux premières étapes de transformation du bois : le sciage et le séchage, actuellement opérées par des partenaires régionaux. Cela me donnera également l’occasion de retourner en forêt pour mon plus grand bonheur ».
S’ouvrir à de nouveaux univers
Pour l’avenir, Hugo Delavelle souhaite ouvrir sa marque à de nouveaux univers. « Actuellement nos créations tournent autour du repas et des arts de la table, demain nous imaginerons des chambres à coucher, des salons, du mobilier d’extérieur ou encore dédié aux enfants... ».
Autant de projets qui continueront de s’inscrire dans une approche d’économie circulaire : « Avec nos produits écoconçus : bois certifié PEFC depuis 2012, colle sans formaldéhyde, finition à l’huile naturelle dont n’émane aucun Composant organique volatile (COV), nous cherchons à conserver un développement vertueux qui ne détruit ni l’emploi local, ni l’environnement. Attaché à mon territoire, je n’ai pas l’ambition de devenir un industriel, je m’inscris volontiers dans l’ESS. C’est dans ce sens que nous développons actuellement une série de bancs élaborés à partir d’un déchet de scierie : le dosse. J’achète, aux scieries locales, cette partie périphérique du tronc à la moitié du prix d’une planche d’ameublement, soit dix fois plus que son prix de déchet. Cela permet ainsi de soutenir l’économie locale ».