Hugues Daussy
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Hugues Daussy

Une histoire universitaire

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Professeur des universités en histoire moderne depuis 2013, engagé de longue date dans la vie universitaire, Hugues Daussy accède à la présidence de l’UMLP, après quatre ans de vice-présidence à la recherche au sein de l’équipe sortante de Macha Woronoff. (Crédit : JDP.)

Enfant, si le goût pour la chose historique était déjà prégnant chez Hugues Daussy, celui-ci se rêvait bien volontiers archéologue. Mais son imaginaire coloré de pyramides et de trésors antiques a été bien vite douché face à la triviale réalité du métier. « J’avais une cousine qui avait embrassé cette voie. Alors, pour un stage, j’ai pu me rendre sur un chantier de fouilles et je l’ai retrouvée se tenant debout prise dans une sorte de marécage boueux duquel elle sortait de tous petits objets informes… On était loin de la mythique vallée des Rois ». Dès lors, en lieu et place du fouet et du chapeau iconique d’Indiana Jones, Hugues Daussy va pleinement prendre ses aisances dans le costume d’historien moderniste, aidé en cela par une professeure charismatique, Arlette Jouanna, « considérée comme la meilleure spécialiste du 16e siècle en France » et qui sera sa directrice de thèse.

Des huguenots à la cité natale de victor-hugo

Après avoir effectué toute sa scolarité à Avignon, c’est à Montpellier qu’il poursuit des études supérieures. Sa spécialisation, l’histoire de la pensée politique des protestants français au 16e siècle, à l’époque des guerres de religion. Un choix qui n’est pas le fruit d’un engagement personnel – « je ne suis pas protestant » – mais le hasard d’une rencontre au gré de ses lectures avec un certain Philippe Duplessis-Mornay, théoricien huguenot et principal conseiller d’Henri IV avant qu’il ne devienne roi. C’est en prenant ce personnage historique comme objet d’étude qu’il tombe dans la marmite du protestantisme politique.

Il en deviendra un spécialiste, explorant « la pensée, l’organisation politique » et la manière dont la noblesse protestante s’est organisée pour résister à la majorité catholique. Agrégé d’histoire en 1994, Hugues Daussy s’inscrit en thèse de doctorat et, en parallèle, accomplit son service national au musée de l’Armée aux Invalides comme conservateur adjoint, où il organise des concerts au département historique et musical. De 1996 à 2000, il est professeur agrégé dans un collège de ZEP, un établissement « difficile » à Carpentras, pas loin d’Avignon : une expérience qui forge sans doute un caractère.

Sa thèse soutenue en mai 2000 à Montpellier, il est recruté un an comme « Prag » (acronyme construit à partir des deux premières lettres des mots professeurs et agrégés), avant d’être élu maître de conférences en histoire moderne à l’université du Mans en 2001. Il y restera 12 ans, de 2001 à 2013. Une période féconde, marquée notamment par son entrée à l’Institut universitaire de France comme membre junior de 2005 à 2010. « Cette délégation m’a offert pendant cinq ans une décharge d’enseignement des deux tiers et des financements. Ce temps alloué m’a permis d’étendre mes recherches à une échelle européenne, de l’Allemagne à l’Angleterre, élargissant mes perspectives du seul théoricien Philippe Duplessis-Mornay à l’ensemble du parti huguenot et à ses ramifications internationales ».

Ces travaux culmineront avec la soutenance de son habilitation à diriger des recherches à Paris-Sorbonne en 2011. « Je n’ai pas de suite été candidat à un poste de professeur des universités car ma deuxième fille venait de naître, j’ai donc temporisé un an, avant de finalement rejoindre, à ce titre, en 2013, celle qui s’appelait encore l’université de Franche-Comté », raconte Hugues Daussy avouant n’être jamais venu de sa vie à Besançon avant le jour de son audition, ayant ciblé la ville, attirée par sa « logique géographique » : la proximité avec la Suisse et l’Allemagne pour ses recherches, et la relative proximité avec Avignon et Grenoble pour sa famille. Sa femme, également historienne moderniste, le rejoindra, d’abord comme agrégée dans le secondaire, puis comme maître de conférences à l’université de Franche-Comté. Désormais ancré dans la capitale comtoise, Hugues Daussy va alors ajouter à son parcours professionnel une dimension d’engagement institutionnel. Il devient rapidement directeur adjoint de son laboratoire de recherche (devenu le centre Lucien Febvre) et dirige le master d’histoire pendant huit ans. Son goût « pour l’engagement au service du collectif » s’affirme au gré des opportunités.

« Vouloir fusionner deux universités qui se dupliquaient à moins de 100 km était une utopie ! »

Élu aux conseils centraux de l’université en 2015, président de la commission disciplinaire pour les étudiants, il est ensuite nommé vice-président à la recherche et vice-président du conseil académique fin 2020, sous la présidence de Macha Woronoff. Il occupe également la vice-présidence recherche de la Comue UBFC jusqu’à son extinction en 2025 et la naissance de l’EPE Université Marie et Louis Pasteur. Son élection à la présidence de cet EPE est la suite logique d’un engagement profond dans la construction de ce dernier, un projet auquel il a participé activement. « Quand Macha Woronoff a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas se représenter, j’ai choisi de porter ma candidature pour pouvoir poursuivre avec mon équipe tous les efforts que nous avons produits au cours du mandat précédent. Il me paraissait rationnel de prendre les rênes pour déployer et faire réussir ce projet que nous avons construit pour l’intérêt et l’avenir de l’établissement ».

L’objectif de cette EPE, qui regroupe des établissements composants (SupMicrotech, l’Université technologique Belfort-Montbéliard) et des établissements associés (CHU, Établissement français du sang, l’Institut supérieur des beaux-arts de Besançon, l’École supérieure des technologies et des affaires de Belfort, le Crous BFC et le campus Arts et Métiers de Cluny), est clair : fédérer les forces de l’enseignement supérieur et de la recherche du territoire. Il s’agit de « créer une dynamique pour développer des initiatives transversales innovantes dans le domaine de la formation, de la recherche, de l’innovation et de renforcer aussi les liens avec les collectivités pour mieux ancrer l’université dans son territoire ».

Ne pas refaire les erreurs de la comue

Une ambition qui va au-delà, s’inscrivant dans une « dynamique nationale » de création de pôles universitaires plus « visibles et bien identifiés ». En ligne de mire, le souhait de devenir un « grand établissement d’ici à la fin 2028, à l’issue de la période expérimentale, ancrant ainsi la position de l’université dans le paysage national, européen et même mondial, afin d’assurer visibilité, financements de l’État au plus haut niveau et une offre de formation et de recherche d’excellence et attractive ». Pour y parvenir, l’EPE s’appuiera sur des finances saines : « Nous sommes parmi les rares universités françaises à ne pas afficher de déficit. Ce qui tient de plus en plus de la gageure avec l’accroissement des charges qui pèsent sur nous et qui ne s’accompagne pas d’une augmentation des moyens donnés par l’État. Ainsi, pour maintenir l’équilibre de nos finances, nous couplons à une gestion saine et rationnelle la recherche de ressources complémentaires comme des partenariats renforcés avec le monde socio-économique, notamment industriel, et la mise en place d’actions de mécénat. »

Mais au-delà du seul aspect financier, l’université entend réussir le pari de l’EPE par une structuration innovante en quatre instituts thématiques (Sciences et technologie, Humanités et droit, Santé et sport, Territoire, environnement et politique publique). « Leur vocation n’est pas de devenir des bâtiments en dur, mais des lieux de réflexion pour créer des synergies et de l’innovation transversale entre les partenaires ». Chaque institut est doté d’une École universitaire de recherche, ou graduate school, pour renforcer le lien entre formation et recherche, du master au doctorat. Un collège de premier cycle, unique et transversal, complète le dispositif. Quant à la possible concurrence pour l’obtention du titre de grand établissement avec l’université de Bourgogne, qui a elle aussi son propre EPE, Hugues Daussy l’écarte : il n’y a « pas de rivalité, chaque projet étant examiné sur ses propres mérites. Ce qui nous est demandé et ce à quoi nous travaillons actuellement, c’est d’avoir une articulation territoriale entre les deux EPE. Nous devons ainsi signer très prochainement avec l’Université Bourgogne Europe (UBE) une convention de coordination territoriale pour gérer les projets communs (collège doctoral, projets scientifiques comme Harmi, PIA, France 2030…). Il reste quelques points à discuter, et cette discussion, elle se fait dans le cas d’une nouvelle dynamique entre l’UBE et nous. Une dynamique qui consiste à nous rapprocher, à discuter de manière constructive. J’ai rencontré le président Vincent Thomas, il y a peu. Notre détermination à tous les deux, c’est d’aplanir nos différents en remettant à zéro l’ensemble des compteurs afin que les points forts de l’un et de l’autre s’expriment au bénéfice de chacun ».

Hugues Daussy fait une distinction claire avec l’échec de l’ancienne Comue UBFC, qui, elle, avait une « vocation intégrative suscitant la crainte de fusion ». Avec le nouveau modèle, les deux universités restent « totalement distinctes ». Pour lui, vouloir fusionner deux universités qui se « dupliquaient exactement à moins de 100 km de distance était une perspective utopique. Agir aujourd’hui sur la complémentarité des points forts de chaque établissement sera bien plus productive et rationnelle. À nous de définir au mieux l’identité portée par chaque EPE pour qu’en fonction du domaine dans lequel on construit un projet ensemble, ce soit, soit l’UBE, soit nous qui le portions. Je suis convaincu que nous pouvons réussir sans qu’aucun des deux établissements n’en souffre ».