

« Je dors très peu », justifie Jacques Carrelet de Loisy derrière ses lunettes quand il énumère ses nombreuses activités. Arrivée en Côte-d’Or à l’époque de Marguerite de Flandre, sa famille s’est installée un temps en Saône-et-Loire avant que son père, d’abord salarié agricole, ne reprenne une exploitation de 100 hectares à Hauteville-lès-Dijon en 1980. « L’agricole au sens large me plaisait. Mon père ne m’a jamais imposé de reprendre, c’était simplement une option. » Pourtant, quand en 1988 ce dernier décède alors qu’il n’a que 16 ans, la reprise devient logique pour Jacques de Loisy qui mène de front ses études et le travail sur l’exploitation. « C’est à cette époque que j’ai commencé à peu dormir. » Après l’obtention de son bac en 1990, il poursuit son cursus à Paris en rejoignant l’Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole, IHEDREA. « Je me souviens des dégâts causés par le gibier. J’avais échangé sur le sujet avec un expert national mandaté par la fédération des chasseurs. Le sujet m’a intéressé », explique-t-il alors qu’il est lui-même chasseur. Après avoir officiellement repris l’exploitation familiale en 1994, il enchaine avec un DESS audit et gestion en alternance en 1995.
Essayer de nouvelles choses
« À Hauteville-lès-Dijon, il n’y a ni source ni étang, donc c’est peu propice à l’élevage. Nous produisons des céréales et des oléoprotéagineux », précise cet amoureux de la bonne chair. Outre le blé, l’orge, le colza, le tournesol ou encore les pois, le producteur a commencé à planter des bourgeons de cassis. « C’est une culture qui se récolte l’hiver pour la parfumerie. » En parallèle, en 1996, l’exploitant s’ouvre à une nouvelle activité professionnelle, l’expertise agricole et foncière. « Ça m’intéressait de voir les exploitations sous un autre angle, de les aider à sortir d’un conflit. Je voulais aussi utiliser mes compétences de droit, d’audit et de gestion. » Rejoint par son frère sur l’exploitation en 2002, ils développent ensemble l’exploitation qui atteint alors 200 hectares. Entourés d’apprentis, les deux hommes se répartissent les rôles. En 2008, Jacques de Loisy arrête ses activités d’expertise pour collaborer avec l’assurance Abeille. « À force de côtoyer les assureurs en tant qu’expert, j’avais fait et vu pas mal de choses. J’ai donc repris un cabinet d’assurance à Dijon avec une salariée. » Dans la foulée, il reprend un second cabinet sur la commune de Créancey.
S’entourer pour se développer
Quand en 2010 son frère décède à son tour, l’épouse de Jacques de Loisy abandonne son commerce pour lui prêter main-forte sur l’exploitation et devient son associée. Au fil du temps, l’exploitation poursuit son développement, comptant désormais deux collaborateurs à temps plein et s’adaptant aux évolutions climatiques. « En 2024, nous avons arrêté le cassis à cause de la sécheresse pour le remplacer par du lavandin sur une petite surface afin de tester cette culture. Avec un jeune associé qui étudie à Bordeaux, nous avons également planté de la vigne sur trois hectares en 2024, nous espérons réaliser notre première vendange en 2026. » Jacques de Loisy multiplie les projets en s’entourant chaque fois au mieux. Il est ainsi devenu maire de sa commune en 2014 et devrait briguer un troisième mandat. Autre projet en cours, avec cinq autres exploitations, il a notamment initié la construction d’un méthaniseur qui sera alimenté par les cultures intermédiaires.
Engagé pour la profession
Jacques de Loisy mise aussi sur le soutien d’un écosystème. Comme son père avant lui, il a très tôt adhéré au syndicat agricole FDSEA, jusqu’à présider la commission production végétale et rejoindre la commission fiscale. Également administrateur de l’association générale des producteurs de blé, de Dijon Céréales et de l’organisme de recherche appliquée Arvalis, à 53 ans, il a succédé à Vincent Lavier à la présidence de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or en février 2025 alors qu’il n’avait même jamais été membre de la chambre. « On est venu me proposer de prendre une liste et nous avons gagné avec plus de 50 % des voix. » En tant que représentant du monde agricole, il connait les grands défis de la profession. « Il faut continuer à produire de la qualité en dégageant un résultat d’exploitation pour faire vivre dignement une famille et permettre de réinvestir pour que les exploitations ne décapitalisent pas. »
« Quand on parle des produits, il faut se poser les bonnes questions et s’intéresser à d’autres batailles plus impactantes pour la santé publique comme le tabac, les accidents de la route, l’alcool ou les accidents domestiques. »
Aléas climatiques, sanitaires et économiques créent du tumulte dans le quotidien des agriculteurs. « Au cours des 20 dernières années, nous augmentons nos importations de blé, de soja, de poulets, de vaches sans réel contrôle, mettant l’agriculture française face à une concurrence déloyale. » Autre enjeu majeur qui impacte l’agriculture, la ressource en eau. Alors que la filière est montrée du doigt, la loi d’orientation agricole de mars 2025 change un peu la donne. « L’agriculture n’aura plus à se justifier, c’est désormais au contradicteur d’apporter la preuve d’un manquement. L’agriculture consomme moins de 1 % de l’eau qui tombe en Côte-d’Or chaque année pour irriguer. » Avec l’évolution de la loi agricole, les projets de stockage de l’eau et d’installation des élevages devraient être facilités, tandis que Jacques de Loisy insiste sur l’ambition de la profession de se limiter aux eaux de ruissellement et de remettre en eau des étangs et des plans d’eau, tant pour les productions que pour la défense incendie.
Et quand le président de la chambre d’Agriculture de Côte-d’Or évoque l’agribashing dont sa profession s’estime victime, il lui préfère l’agriloving et souligne : « Quand on parle des produits, il faut se poser les bonnes questions et s’intéresser à d’autres batailles plus impactantes pour la santé publique comme le tabac, les accidents de la route, l’alcool ou les accidents domestiques. D’ailleurs, de quand date le dernier accident sanitaire lié aux productions végétales ? Il n’y en a pas eu ces 40 dernières années », conclut Jacques de Loisy.