Jean-Bruno Gosse
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Jean-Bruno Gosse

Rêve de gosse

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En prenant la place de chef de Loiseau des Ducs, Jean-Bruno Gosse écrit un nouveau chapitre à l’aube des dix ans de cette belle adresse dijonnaise ouverte par Dominique Loiseau en 2013. (Crédit : Jonathan Thévenet).

Le 20 février 1865, l’Académie des sciences donne raison au scientifique Louis Pasteur au détriment du médecin biologiste Félix Pouchet, mettant ainsi fin à la théorie de la génération spontanée. Un principe désavoué qui pourrait cependant trouver creuset dans le récit du portrait de cette semaine : le nouveau chef du restaurant une étoile Loiseau des Ducs à Dijon, Jean-Bruno Gosse. Et s’il est autant à l’aise derrière un piano, ce n’est en aucun cas parce qu’il fût bercé par des mélodies qui aiguisent les sens - nées d’une batterie de casseroles de cuivre - ou biberonné de bons petits plats qu’une mère cordon-bleu y aurait laissé mijoter. Non, car n’en déplaise à Rabelais, dans la famille Gosse on ne goûte que peu l’hédonisme culinaire. Et pourtant, c’est bien sans liant héréditaire, que Jean-Bruno Gosse va maturer, dès son plus jeune âge, son destin de chef. « Je ne manquais jamais un épisode de La Cuisine des Mousquetaires de Maïté ou de Bon appétit bien sûr, de Joël Robuchon... Je connaissais par cœur tous les noms des étoilés de l’époque  », se souvient-t-il.


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Toutefois, le jeune homme n’embrasse pas de suite cette passion. Il préfère la réserver, l’émoussant en amateur, en à côté d’études jugées alors plus prometteuses. « À l’époque, la cuisine est plutôt vue comme une voie de garage, j’ai donc passé un bac scientifique et poursuivi sur une licence d’arts : une autre de mes passions », confie-t-il. Après avoir goûté au dessin, à la peinture et à la sculpture, à 22 ans, conscient qu’il ne saurait faire taire plus longtemps cette envie de cuisine - qui vous fait alchimiste des sens - il obtient un BTS Arts culinaires, qu’il complète d’une formation de chef cuisinier. « J’ai toujours été attiré par les vraies valeurs de la cuisine, celles de l’authenticité, de l’honnêteté, d’une certaine gastronomie à la française défendue par des icônes comme Paul Bocuse, Pierre Gagnaire ou encore Bernard Loiseau... En intégrant l’école c’est ce que j’ai trouvé. » Et cette congruence avec ses rêves d’enfant achève de le conforter dans ce nouveau choix de carrière. Un chemin culinaire qui sera pavé d’étoiles.

Coup de cœur bourguignon...

Il débute sur la Côte d’Azur, puis à Vence avec le chef 2 étoiles Yannick Franques, avant de rejoindre Courchevel pour l’ouverture d’un palace. Et c’est en rejoignant la brigade de l’Hostellerie de Levernois, en 2013, qu’il découvre la Bourgogne. Entre cet enfant de la mer né à Abbeville dans la Somme et la région, la sauce prend immédiatement. « Il y avait quelque chose du comble pour moi, qui avait toujours habité près de l’océan, que d’atterrir dans le lieu géographique qui en était le plus éloigné de France. Et pourtant, je me suis pris d’un amour pour la région dès que j’y ai posé les pieds. C’est le territoire épicurien par excellence riche de produits exceptionnels et variés, de vins magnifiques... un vrai paradis pour tout cuisinier qui se respecte ». C’est là aussi qu’il rencontre sa future compagne Chloé Scher, céramiste de formation, qui a récemment pris la gestion du Dressoir, une boutique spécialisée dans l’art de la table à la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon.

« J’ai toujours été attiré par les vraies valeurs de la cuisine, celles de l’authenticité, de l’honnêteté, d’une certaine gastronomie à la française »

Au bout de trois ans, à Beaune, auprès du chef Philippe Augé, il quitte son poste pour un détour de deux ans en Suisse chez le deux macarons Georges Wenger. « Bien que je ne me sois pas totalement senti en phase avec un rapport à l’assiette très libre, j’ai pris conscience a posteriori de l’apport important de cette expérience dans la construction de ma cuisine, notamment sur la notion de liberté d’esprit dans le processus créatif ». De retour en terres bourguignonnes, Jean-Bruno Gosse s’offre un nouveau challenge avec l’ouverture de la brasserie chic Le Pré aux Clercs, estampillée du sceau de Georges Blanc et située place de la Libération à Dijon. En tant que chef des cuisines, il veut se prouver qu’il peut adapter ses principes culinaires à une brasserie ouverte toute l’année et qui sert plusieurs centaines de couverts. « L’idée c’était de donner vie à une adresse 100 % fait maison et un maximum de produits locaux qui fleurent bon la Bourgogne. Un pari que j’ai pu réussir notamment grâce un réseau de petits producteurs qui m’ont fait confiance ».

… Et œuf meurette en signature

Après cinq ans, se fait jour chez Jean-Bruno Gosse le souhait de revenir à ses premières amours : les étoiles, le rêve de devenir lui-même chef étoilé. Ainsi, quand il apprend que le chef du restaurant une étoile Loiseau des Ducs, Louis-Philippe Vigilant et sa femme Lucile Darosey, s’apprêtent à rejoindre les cuisines de la maison-mère à Saulieu, il tente sa chance. « L’histoire et la personnalité de Bernard Loiseau m’ont toujours impressionné et inspiré. C’est un rêve que je réalise en rejoignant le groupe Bernard Loiseau, d’autant que je me retrouve parfaitement dans les fondamentaux culinaires de la maison : la mise en avant du terroir, des artisans, des goûts francs, des bonnes sauces... Je passe derrière Louis-Philippe qui, travaillant à deux pas de ma brasserie, est devenu un ami. Il est aujourd’hui chef adjoint de la Côte-d’Or au côté de Patrick Bertron. Un chef avec qui le feeling s’est immédiatement établi et avec qui j’ai discuté de la carte de Loiseau des Ducs et de comment j’envisageais d’imprimer mon identité culinaire ».

Le nouveau chef retravaille ainsi les plats typiques du terroir et les transpose dans un registre raffiné. Telle son interprétation du célèbre œuf meurette qu’il appelle « Comme un œuf en meurette, nuage de blanc et jaune confit fumé au foin ». « Ce plat qui n’existe pas dans le Nord et que je n’avais jamais goûté avant fut une révélation, c’est pourquoi je voulais qu’il devienne ma signature. Je cuis l’œuf par le froid pour une texture très crémeuse (24 heures à -22 degrés), la sauce est celle d’un bourguignon que je réalise avant de lui ajouter du cassis, le blanc est un nuage aérien, les lardons et les oignons sont en brunoise et en chapelure ».

« Je m’inscris également pleinement dans la course pour valider l’étoile »

Également à la carte, son pigeon de Corton, maturé au sel et au sucre, permettant une cuisson très rapide en dernière minute. Pour le bœuf et le veau, il travaille avec la Ferme de Clavisy, les légumes viennent du Potager des Ducs. L’escargot de Bourgogne se marie à l’anis de Flavigny. Le soufflé est au Safron-Gin de la maison Boudier. Le fromage est de la fromagerie Porcheret, la moutarde de Fallot, le pain d’épice de Mulot et Petitjean... Même la vaisselle et les décorations en céramique sont circuit court, grâce au grain de sel de sa femme, qui l’a mis en relation avec le sculpteur céramiste dijonnais Matthieu Mary.

Avec le nouvel adjoint de direction, Damien Jasmin, passé par Le Relais Bernard Loiseau, Jean-Bruno Gosse écrit ainsi un nouveau chapitre à l’aube des dix ans de cette belle adresse dijonnaise ouverte par Dominique Loiseau en 2013. « Il a fallu que je m’installe que je trouve mes marques... Aujourd’hui, je mets de plus en plus de mon identité dans ce lieu, notamment dans le management. Mes gars passent avant beaucoup de choses, je vais dans leur sens. Ainsi si j’imagine des plats qui dans l’assiette s’avèrent trop compliqués à réaliser pour eux, je rectifie le tir, car au final sans son équipe le chef n’est rien... Je m’inscris également pleinement dans la course pour valider l’étoile, avec ma cuisine alliant vision contemporaine et ancrage sur ces piliers classiques qui m’ont fait aimer cet art culinaire qui, plus que tous autres, est absolu ».